Anorexie et boulimie | Le chemin de guérison de Cassandra

Dans cet article, en lien avec mon podcast sur l’alimentation, je vous invite à découvrir le témoignage de Cassandra, jeune femme qui a appris seule à se réconcilier avec la nourriture. Son long parcours contre les troubles du comportement alimentaire a duré 9 ans. Cela a commencé avec l’anorexie à l’âge de 15 ans, avant de continuer avec la boulimie vomitive. Si quelques professionnels lui ont apporté une certaine aide, c’est surtout grâce à un énorme travail personnel et beaucoup de recherches que Cassandra a réussi à vaincre ses TCA. Pour elle, c’était devenu une question de vie ou de mort, et elle a toujours, toujours choisi la vie. Je vous laisse découvrir son témoignage !

« À cette époque, on ne m’a jamais parlé de trouble du comportement alimentaire, on ne m’a jamais dit que j’avais un problème avec l’alimentation. En gros, mes parents me disaient que c’était la crise d’adolescence et que c’était pour les embêter. »

« Je me revois, car ce sont des scènes qui marquent, je me revois avec le couteau, désespérée après une crise, à me dire que je ne m’en sortirai jamais… avant de le balancer contre le mur et de me dire « Mais qu’est-ce que tu fais, quoi ! C’est impossible, tu te relèves et tu fais quelque chose ! »

« Si vous êtes dans le « down » et que vous vous dites que « Non non, ce n’est pas pour moi, je n’y arriverais pas » : nourrissez quand même, tout le temps, tout le temps, cette vision de vous guéri, ce que vous voulez vraiment dans votre vie, de comment vous êtes quand vous êtes guéri. Gardez ça en vous tout le temps. »

Les débuts avec l’anorexie

  • Avant de commencer, peux-tu te présenter rapidement ?
  • Bien sûr ! Je m’appelle Cassandra, j’ai 26 ans et je suis actuellement coach pour des entrepreneurs, débutants ou avancés, qui sont dans le flou et qui ont envie de se reconnecter à leur mission, qui ont envie d’être plus à l’aise dans leur business, tout cela avec un côté très spirituel.
  • Merci. Aujourd’hui, le but de ce témoignage est de partager ton expérience, de nous raconter l’histoire de ton rapport à l’alimentation. Peux-tu nous expliquer ce que tu as vécu, là où tu en es aujourd’hui, ce qui a pu t’aider, etc. ?
  • Je vais commencer en faisant le lien avec ma présentation, car si j’exerce le métier qui est le mien actuellement, c’est en grande partie grâce aux troubles alimentaires que j’ai traversés. Le parcours que j’ai eu m’a énormément fait travailler sur moi, ça a nécessité beaucoup de développement personnel, ça m’a amené à bien me connaître. Ce genre d’histoire amène à une connaissance de soi assez particulière, différente de celle des personnes qui n’ont jamais eu de TCA. Les TCA, justement, ont été un long parcours pour moi, dont je suis sortie il y a très peu de temps. Au total ça a duré à peu près 9 ans. Ça a commencé avec de l’anorexie mentale, pendant un an ou un an et demi.
  • Est-ce que tu te souviens comment ça a commencé et quel âge tu avais ?
  • Il y a eu une énorme fracture dans ma sphère familiale, qui a tout changé dans ma vie. J’ai dû changer de pays, d’environnement, etc. Je suis passée de la vie avec ma maman à la vie avec mon papa… Suite à ces gros changements, j’ai commencé à me réfugier dans la nourriture de façon inconsciente, avec des choses sucrées, des grignotages. J’étais alors quelqu’un de très, très mince et j’ai pris du poids très rapidement. Autour de moi, les gens ont commencé à le voir et à me faire des remarques : « Cassandra dis-donc, tu as pris du poids, fais attention »…On m’a conseillé des régimes. Au premier régime, je pense que j’avais 15 ou 16 ans. Au début, je ne m’inquiétais pas, je me disais que ça reviendrait, je continuais à grignoter. Mais petit à petit, j’ai développé une obsession physique pour mon corps. À partir de là, j’ai commencé réellement à faire des régimes, jusqu’à tomber dans l’anorexie. Si on me demandait de manger une soupe, je pleurais et je restais 3 h devant parce que je ne pouvais pas l’avaler. C’était compliqué, mais ça n’a jamais été détecté comme une anorexie. À cette époque, on ne m’a jamais parlé de trouble du comportement alimentaire, on ne m’a jamais dit que j’avais un problème avec l’alimentation. En gros, mes parents me disaient que c’était la crise d’adolescence et que c’était pour les embêter. Les gens autour de moi ne comprenaient pas ce qu’il se passait, donc je n’avais moi-même aucune conscience du trouble alimentaire dans lequel j’entrais. Je me suis enfermée dans une obsession pour un certain type d’alimentation, en triant chaque petit morceau de gras, en refusant tout ce qui était sucré, en mangeant très peu et seulement certaines catégories d’aliments, etc. La nuit, dès que je me réveillais, j’en profitais pour faire des abdos. Du coup, forcément, j’ai reperdu du poids très rapidement et tout le monde m’a félicitée. Mes copines s’exclamaient « oh wouah, comme tu as perdu du poids ! » et moi, j’en étais fière ! Je trouve que l’anorexie donne un sentiment de pouvoir. On est tellement dans le contrôle, qu’on se sent forte, on se sent fière, on se sent puissante… alors qu’au final on ne l’est pas. On n’a plus de nutriments. On se sent en vie mais, en réalité, on fait le cheminement inverse. Heureusement, je n’ai pas fait partie de ces cas extrêmes qui nécessitent d’aller à l’hôpital et où la vie est réellement en danger.

Le basculement dans l’hyperphagie et la boulimie

  • Ensuite, je suis tombée dans l’hyperphagie, en gardant le comportement que j’avais de manger peu pendant les repas. C’était compliqué pour moi de manger en société. Par contre, si mes parents étaient absents, je me servais dans les placards pour manger des gâteaux en cachette. Parfois, quand je rentrais du lycée, je prenais des gâteaux ou des bonbons, je les dissimulais sous mon lit pour les manger en cachette le soir. Pendant l’anorexie, ces aliments m’effrayaient, je les mangeais désormais de façon compulsive en me cachant.

Puis, j’ai eu 18 ans et je suis partie habiter dans un appartement, seule. Je me suis éloignée de mon environnement familial et amical. Pendant cette période, j’en avais marre de me voir grossir. Ça me déprimait. Je faisais d’ailleurs beaucoup de sport pour compenser, mais ça ne suffisait pas. Ça ne suffisait pas du tout, parce que j’habitais seule, ce qui fait que l’hyperphagie était très forte, très présente. Je faisais très régulièrement des crises et c’est là que les vomissements sont apparus. C’était la solution pour moi, à ce moment-là, pour éviter de prendre du poids, pour éviter que ça se voit que je mangeais de cette façon.

  • Tu disais que, pendant cette période-là de ta vie, que ce soit autour de tes 15 ans ou de tes 18 ans, personne n’avait pas de mis de mots sur ce qu’il se passait.
  • Non, absolument pas. Personne n’a mis de mots là-dessus. Je n’ai pas de regret sur ce point, car ce n’est pas ma façon de penser. Mais quand j’y repense, je réalise qu’il y avait un énorme vide sur ce sujet-là, notamment au niveau médical. J’ai quand même perdu mes règles pendant 2 ans, mes cheveux tombaient énormément, j’ai perdu 50 % de ma masse capillaire, j’étais extrêmement stressée… Il y avait quand même beaucoup de symptômes qui auraient dû alerter, mais au lieu de détecter une problématique mentale liée à l’alimentation, on m’a dit que je souffrais de stress et on m’a donné des cachets pour le stress et des cachets pour les cheveux… Mais jamais, jamais on ne m’a parlé d’alimentation. Pour l’absence de règles, j’ai fait des échographies. Mais personne, pas même dans le milieu médical, n’a relié ça à un problème d’alimentation et un déficit de nutriment. Quand j’y repense, je trouve ça incroyable !
  • Avec le recul, et vu tous les symptômes, c’est sûr que ça parait incroyable ! On s’est arrêté à tes 18/19 ans, alors que tu commençais à tomber dans la boulimie. Et après ?
  • À cette époque-là, je faisais des études, donc j’étais chez moi surtout le soir. Le midi, je mangeais à l’école. Je faisais des crises avec vomissement tous les soirs. Les week-ends, ça pouvait aller jusqu’à 3 ou 4 crises dans la journée. Je pouvais passer ma journée à faire ça. Ceux qui savent ce qu’est une crise de boulimie savent que, dans ces moments-là, on ne peut rien faire. On a le ventre extrêmement gonflé, on déprime énormément. Ça tire vraiment notre estime et notre confiance en nous vers le bas.
  • C’est ce que j’allai te demander : dans quel état d’esprit étais-tu ? Comment tu te sentais, d’une manière générale ?
  • Je me sentais très mal. Je me sentais nulle, moche. Je n’avais aucune confiance en moi. Socialement, c’était très compliqué parce que je n’osais pas me mettre en avant. Je me dévaluais beaucoup au sujet de mon comportement, ainsi que de mon physique. Mon obsession corporelle était toujours là et je me disais que si j’avais ces kilos en trop, c’est parce que j’étais nulle, que je ne valais rien. Je voyais que je prenais des kilos et des kilos, les vomissements m’ont permis, entre guillemets, de stabiliser, mais malgré ça que je continuais à prendre du poids. En plus de ça, mon visage était énormément marqué. Mes ganglions et mes joues étaient gonflés, donc ça se voyait que je me faisais vomir. Pour résumer, je me sentais vraiment extrêmement mal dans ma peau à cette époque.
  • J’ai l’impression, et tu m’arrêtes si ce n’est pas le cas, qu’il y avait beaucoup de solitude ? Quand tu décris ta vie à cette époque-là, ça me laisse l’impression de quelque chose de très solitaire.
  • Tout à fait. J’étais éloignée physiquement de ma famille et de mon entourage pour des raisons géographiques. En même temps, mon entourage ne m’avait pas beaucoup soutenue jusque-là, à part mes grands-parents avec qui j’étais très soudée. Je pense que la solitude était là depuis longtemps et que cette période l’a renforcée. On se sent tellement nulle, mal – y compris physiquement : j’avais des douleurs physiques fortes – que du coup, on n’a pas l’énergie, ni l’envie de sortir pour faire des nouvelles connaissances ou passer du temps avec des proches. Je trouve que c’est une maladie qui fait s’enfermer sur soi-même.

Le passage de l’anorexie à la boulimie fut une première fracture, un premier tournant important dans mon histoire. Le second fut quand j’ai commencé à me dire que se faire vomir, ce n’était pas normal. Je me suis dit « Ola ! » et j’ai commencé à faire des recherches. Je voulais comprendre ce que signifiait de se faire vomir, d’avoir peur de manger et de grossir, etc. C’est ainsi que je suis tombée sur les troubles du comportement alimentaire. C’est grâce à mes propres recherches que j’ai compris ce qu’il se passait. Suite à cela, j’ai consommé tellement, tellement de contenus sur les TCA et sur le développement personnel qu’avec le recul, je trouve ça incroyable. Je voulais vraiment comprendre ce qu’il se passait, pourquoi ça m’arrivait à moi, etc. J’avais peur aussi. L’anorexie, c’est de l’hyper-contrôle et la boulimie, c’est l’inverse, c’est une totale non-gestion de soi. C’est assez effrayant de réaliser qu’on n’est même plus maître de soi-même, qu’on n’est plus capable de gérer ses pulsions ni son corps. Je ne contrôlais pas même ma vie comme je le voulais en fait, puisque ce problème me rattrapait tout le temps.

  • Du fait d’être passée d’un extrême à l’autre, de l’hyper-contrôle à l’hyper-lâchage, t’es-tu sentie encore plus incompétente ? Puisque tu savais, justement, que tu avais été capable de contrôler, que tu avais auparavant eu cette sensation de pouvoir que donne l’anorexie, ce devait être d’autant plus compliqué de constater que tu n’étais plus capable du moindre contrôle, non ? Tu devais te demander : « Qu’est-ce que je suis, qui suis-je ? » au final ?
  • C’est vrai, je me rends compte que j’avais occulté cet aspect-là ! Pendant la boulimie, il y avait des moments, au début, où j’arrivais à contrôler, puis je lâchais, puis je recontrôlais, puis je relâchais… Plus j’avançais dans les années, moins le contrôle était possible, jusqu’à devenir impossible, complètement impossible. Au début, j’arrivais à me dire « OK, je peux sauter un repas », ou « OK, aujourd’hui, je ne fais de pas crise. » Mais ça a finit par devenir impossible, j’avais perdu à 100 % la gérance de moi-même.

Les tentatives de demandes d’accompagnement

  • Pour continuer l’histoire : je m’étais donc rendu compte, grâce à mes recherches, que je souffrais d’un TCA. J’étais étudiante, donc je n’avais pas de fonds pour me faire aider. C’est pour cela que j’ai fini par en parler à ma famille, pour qu’ils m’aident financièrement, afin de pouvoir voir un psychologue.
  • Ça n’a pas dû être rien, cette étape, d’aller en parler à tes parents, ta famille…
  • D’un côté, effectivement, c’était compliqué, mais d’un autre côté, c’était un soulagement. Ça expliquait tellement de choses pour moi, ça expliquait aussi beaucoup de choses pour eux. Cette compréhension, ce fut comme une petite libération, que j’ai voulu leur apporter à eux aussi. Il y a eu de la difficulté, mais il y a aussi eu un côté positif. J’ai été entendu, même si je pense, encore aujourd’hui, qu’ils ne comprennent pas réellement ce qu’est un trouble du comportement alimentaire. Peut-être que tant qu’on ne le vit pas, on ne peut pas réellement comprendre ce que ça fait et comment ça se vit. Quoiqu’il en soit, j’ai été entendue et j’ai pu être accompagnée. J’ai commencé par une nutritionniste, à laquelle j’avais vraiment expliqué que j’avais des TCA, que j’avais compris et accepté cela, mais que je n’arrivais pas à le gérer seule. Elle m’avait dit avoir des compétences sur ce sujet, donc j’y suis allée ! Mais finalement, je me suis retrouvée avec un plan alimentaire très strict, et des quantités d’alimentation qui étaient énormes pour moi à l’époque. Pendant les repas je mangeais très peu, et après je faisais de grosses crises. Elle, elle m’a établi un plan avec, pour chaque repas, le nombre d’aliments, le grammage, etc. Ça m’a effrayée ! Vraiment, ça m’a fait extrêmement peur. Je ne pense pas qu’elle était compétente pour un cas comme le mien. Je ne me suis pas sentie écoutée, elle me répondait avec des « Mais mademoiselle, il faut faire attention »… Ce qui n’était pas du tout adapté à ma situation. Je le savais, que je ne devais pas faire ça ! Mais ce n’était absolument pas de l’ordre de la volonté. Après cette expérience très compliquée, j’ai vu une psychologue avec laquelle, de nouveau, je ne me suis pas sentie écoutée au sujet de mes TCA. Sincèrement, tout au long de mon cheminement, j’ai vu des spécialistes très incompétents, selon moi. Je vais le dire encore une fois : je trouve qu’il y a un gros vide sur ce sujet. Ce sont sûrement des personnes à qui on a expliqué ce que sont les TCA durant leurs études, mais qui ne comprennent pas réellement. Ces personnes ne sont généralement pas compétentes pour le traiter ou comprendre ce que vivent les personnes qui en souffrent. Ils ne l’ont pas vécu, ils ne se sont pas réellement penchés sur le sujet, je ne sais pas exactement d’où vient le problème, mais le fait est que, dans mon parcours, je me suis sentie seule au niveau de l’assistance médicale.
  • C’est vrai ce que tu dis. J’entends régulièrement des personnes qui arrivent jusqu’à moi et qui me racontent avoir rencontré des professionnels qui ont minimisé leur problématique. Soit, à coup de « il faut », « vous devriez », bref des histoires de volonté, soit qui ont l’impression que ce n’est pas grave.
  • C’est tout à fait ça. Ces professionnels ne prennent pas en compte l’aspect mental, mais seulement des questions de volonté, d’engagement…

Les premiers pas vers la guérison de l’anorexie et de la boulimie

  • Du coup, qu’est-ce qui finalement a pu t’aider ? Et puis surtout, qu’est-ce qui a fait que tu ne t’es pas découragée ? Tu aurais pu, te dire que personne ne t’écoute, que personne ne te comprend et abandonner… Ce n’est déjà pas simple d’aller chercher de l’aide ! Toi, non seulement tu l’as fait, mais en plus, après ne pas avoir reçu l’aide demandée, tu ne t’es pas découragée.
  • Tout au long de mon parcours, j’avais vraiment cette soif de m’en sortir. Vraiment, je ne me voyais pas passer ma vie comme ça. Je savais que soit je finirai par sortir de ce problème, soit je mettrais fin à tout ça. Je ne me voyais vraiment pas vivre toute ma vie avec ça. J’oscillais entre des phases hautes et basses : soit j’avais une soif de vivre et je faisais des recherches à gogo, soit ça ne servait à rien de vivre, parce que vivre comme ça, ce n’était pas du tout ce que je voulais.
  • C’était vraiment une question de vie ou de mort, n’est-ce pas ? C’est ça que j’entends, dans ce que tu dis.
  • Complètement. C’était une question de vie ou de mort et c’est pour ça que j’ai continué. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu des « down », pendant lesquels j’ai eu envie d’abandonner et me suis dit que « je ne m’en sortirai jamais », mais le lendemain je me remotivais un peu. Chaque chute, chaque après-crise est extrêmement décevant, il faut vraiment s’accrocher. Ça entraîne de gros « down » et il faut en permanence rebondir. C’est beaucoup de hauts, de bas, de hauts, de bas. C’est cela qu’il faut garder en tête : c’est qu’après le bas, il y a le haut. C’est pour ça aussi que je pense que ces témoignages que tu recueilles sont très importants, car ça permet de s’appuyer sur des personnes qui ont réussi à s’en sortir. Ça permet de se dire, quand on est tout en bas : « Moi aussi, je vais m’en sortir. » Peu importe le temps que ça prendra, il faut garder en tête : « Je vais y arriver » et ne pas se laisser le choix là-dessus.
  • On entend toute cette énergie de vie qu’il y a en toi, qui te disait alors que tu allais y arriver. C’est assez incroyable, je ne sais pas si tu t’en rends compte de ça !
  • Aujourd’hui oui, je m’en rends compte. Quand j’ai fait face à cette errance médicale – ou en tout cas que je ne suis pas tombée sur les bons professionnels – je me suis donné à moi la responsabilité de m’en sortir seule. Ce n’était pas forcément le plus juste, ni le plus facile. Ça a duré quand même 9 ans et je pense que si j’avais eu les bons spécialistes, ça aurait duré quelques mois, ou quelques années, mais en tout cas ça n’a pas duré aussi longtemps. J’ai quand même cette peine-là. C’est d’ailleurs vrai sur n’importe quelle thématique, si on est en face d’une personne compétente, que ce soit dans un domaine pro ou perso, on va beaucoup plus vite. C’est un vrai pouvoir, d’être accompagné par une personne qui a fait le parcours avant nous et de se faire tirer vers le haut pour arriver au même résultat, ou en tout cas de pouvoir dégager ce qui nous inspire chez cette personne.
  • Alors que toi, tu as construit ton chemin toi-même, en fait.
  • Tout à fait. Ma guérison, je l’ai créée seule, à travers mes cheminements et je ne le souhaite à personne. Je souhaite vraiment à ceux qui vivent ça de se faire accompagner ! Après cette période d’errance, pendant laquelle j’ai essayé de trouver un spécialiste, a commencé la période pendant laquelle j’ai travaillé, seule, sur mes problèmes. Le soir après les cours, je rentrais, je faisais mes devoirs et après j’étais su Youtube, Internet, des forums, etc. sur lesquels je cherchais des personnes qui avaient vécu la même chose. À l’époque, c’était très très rare d’en croiser, donc dès que j’en trouvais une, j’étais émerveillée ! J’essayais de capter dans leurs discours ce qui les avait aidées, ce qu’elles avaient fait pour s’en sortir, j’essayais de le reproduire, etc. Je me mettais en place des plans d’action, en fait.

Le temps passant, j’avais avancé dans mes études. J’étais alors à Lyon et il me restait encore 3 années. J’étais en alternance et j’ai été suivie par une femme médecin. J’étais à la SCNF et contrairement à ce que j’avais vécu jusqu’à présent, on avait accès quand on voulait à des médecins en tous genres. C’était simple d’accès, bref c’était génial. J’étais donc suivie par une médecin généraliste, qui, elle, m’a un peu forcée à avancer, à un moment donné. Elle m’a dit « stop, maintenant tu t’arrêtes ». Elle m’avait organisé un mi-temps malgré mon contrat d’alternance, pour me dégager du temps. Elle m’a trouvé un hôpital à Lyon, qui était spécialisé dans ce type de problématiques. Certains jours, j’étais hospitalisée de jour et je participais à des ateliers. Ça m’a un peu aidée, mais j’ai trouvé qu’on était trop mélangés. On était en hôpital psychiatrique, tous mélangés, donc il n’y avait pas forcément que des troubles alimentaires. Cette année-là, j’étais vraiment juste au bord de la frontière entre la vie et la mort. Par deux fois j’ai eu le couteau à la main et j’ai choisi la vie, j’ai eu cet espoir de m’en sortir. Je me revois, car ce sont des scènes qui marquent, je me revois avec le couteau, désespérée après une crise, à me dire que je ne m’en sortirai jamais… avant de le balancer contre le mur et de me dire « Mais qu’est-ce que tu fais, quoi ! C’est impossible, tu te relèves et tu fais quelque chose ! » Je rêvais, rêvais, rêvais, qu’on m’interne. J’avais tellement l’impression de ne plus avoir de pouvoir sur moi que je rêvais qu’on m’enferme quelque part et qu’on m’aide à changer, qu’on m’aide à évoluer. Je ne voulais plus être seule face à moi-même.

Il se trouve qu’en fait, juste à quelques pas de l’appartement que je louais, il y avait un centre pour les personnes qui avaient des TCA. J’ai essayé d’y rentrer à maintes et maintes reprises. J’y suis allée moi-même, j’ai demandé à mon médecin de m’y interner… Mais ce centre ne prenait que des cas vraiment extrêmes. J’ai vraiment été très très déçue de ça, j’ai vraiment trouvé ça injuste. Je suis donc restée à l’hôpital de jour, où malgré tout, les ateliers sur la cuisine m’ont aidée. Je n’y suis pas allée souvent, mais le fait de faire la cuisine, ça a changé les choses. Jusque-là, la nourriture pour moi c’était vraiment juste pour me remplir. Alors que dans ces ateliers de cuisine, l’idée c’était de créer des recettes et de cuisiner ensemble. Cuisiner, je ne le faisais pratiquement plus, et ça, ça m’a reconnectée avec mon alimentation. Ça a été un petit déclic.

  • Le fait de faire ensemble, de créer, de faire plaisir aux autres, ça donnait une autre fonction à la nourriture, en fait, ça remettait en évidence le fait que ce n’était pas juste pour se remplir. C’est bien cela ?
  • Voilà ! On parlait des saveurs, de la satiété, de la faim… alors que moi je ne faisais plus attention à ça depuis longtemps !
  • Finalement, il y avait une notion de réapprendre à manger en pleine conscience.
  • C’est ça, il fallait que je me reconnecte avec mon alimentation. Comme tu le dis, manger c’est là pour nous apporter les nutriments dont on a besoin pour avoir de l’énergie, mais il y a aussi une notion de plaisir. Sans cela, on n’aurait pas le sens du goût. Il y a une notion de plaisir dans l’action de manger, et grâce à ces ateliers, j’ai pu m’interroger de nouveau dessus, car je l’avais complètement perdue. Quand on est aux prises avec des TCA, cette fonction de l’alimentation peut être décuplée, ou contraire complètement inhibée. La remettre à sa place fait aussi partie du processus de guérison.

La suite de mon chemin, jusqu’à l’équilibre actuel

  • Aujourd’hui, tu dirais que tu en es où de cette relation avec la nourriture ? Comment tu la décrirais ?
  • Au fil des années, ma relation a doucement bougé. Je vous parlais au tout début de mon métier. Pendant mes études, j’étais passionnée par ce que je faisais, une école de commerce en l’occurrence. Mais, à l’intérieur de moi, j’avais toujours un vide, un sentiment de ne pas être à ma place. Je me demandais un peu ce que je faisais sur cette Terre. Tout le temps, chaque jour, je me posais des questions existentielles de ce type. Je pensais trouver une réponse dans la sphère professionnelle… mais quand je suis rentrée dans le monde du salariat, en alternance, dans diverses entreprises, j’ai constaté que ce vide n’était toujours pas comblé. Le travail de recherche de soi-même, de qui on est, que l’on fait lorsqu’on entame une démarche de développement personnel, souvent nécessaire pour lutter contre un trouble du comportement alimentaire, ça m’a énormément aidée. C’est grâce à cette démarche que j’ai pu comprendre ce que je voulais faire en tant que professionnelle, qui je voulais être, ce que je voulais créer, etc. Ça m’a aussi permis de comprendre le type de vie que je voulais avoir, car le mode de vie que j’ai aujourd’hui, plein de liberté, je n’aurai jamais pu l’avoir en tant que salariée. Les TCA que j’ai traversés, ça m’a remise au cœur de ce que je voulais vraiment, de qui je suis vraiment. Ça m’a permis de trouver ma place, notamment au travers de mon métier de coach. Ça m’a fait beaucoup de bien d’avoir osé dire « stop », lorsque j’ai senti une fracture, tant au niveau professionnel que personnel, entre d’une part mes envies et besoins et d’autre part ce qu’attendaient les gens avec lesquels je travaillais, et ce qu’attendait mon entourage, qui me voyait déjà dans une grande entreprise. Le fait de dire « stop, maintenant je m’écoute », m’a permis de rentrer dans une phase de reconnexion à moi-même et à mon corps, et ça, ça a crée de gros déclics. J’ai réalisé que j’étais capable de me choisir, de savoir ce qui est bon pour moi et de créer ce dont j’ai besoin à partir de ce que je ressens. Ça m’a beaucoup rassurée et fait gagner en confiance de constater que j’étais capable de faire toutes ces choses. L’alimentation restait malgré tout une béquille. Je l’ai dit, je ne suis réellement sortie de ces problèmes que récemment. Ça c’était grandement atténué, j’avais moins de crises, je n’étais plus seule, car j’ai vécu avec mon copain de l’époque, puis avec ma famille quand nous nous sommes séparés. Ça m’a permis de remettre l’alimentation au cœur d’une vision conviviale, qui en fait quelque chose que l’on partage, que l’on prépare en cuisinant avec ses proches, etc. J’avais donc bien avancé dans mon cheminement, mais je sentais bien que dès qu’il y avait une petite contrariété émotionnelle, que ce soit professionnellement ou dans ma vie personnelle, dès que les émotions devenaient trop lourdes, je me réfugiais dans la nourriture. Ça restait un refuge et j’ai vraiment cherché à comprendre. J’ai toujours voulu comprendre pourquoi certaines personnes souffrent de troubles du comportement alimentaire. C’est avec ce recul, avec les années, que j’ai compris que c’est multifactoriel et qu’il n’est pas possible d’avoir pour toutes et tous une seule et même cause qui amène au TCA. Ça dépend vraiment des personnes, des histoires… Du moins, c’est mon point de vue, je ne sais pas ce que tu en penses.
  • En effet, ça peut être tout un puzzle à reconstituer ! Ça peut être un événement précis, un traumatisme sur lequel on peut finir par mettre le doigt. Mais, d’après ce que je vois chaque jour, en général, c’est tout un faisceau de facteurs. Ça peut être intéressant d’avoir des éléments de compréhension, c’est un passage indispensable, de comprendre et d’analyser. Mais souvent, ça ne suffit pas pour s’en sortir. Je ne sais pas si tu seras d’accord avec moi, mais je pense que beaucoup de personnes qui souffrent de cela sont beaucoup dans l’intellect et peu dans le corps. Il y a une coupure avec le corps, si bien que mener une réflexion et tenter d’analyser avec la tête ce qui empêche cette reconnexion est important, mais pas suffisant. Mais, pour répondre à ta question : oui, je pense qu’il existe plein de raisons différentes qui peuvent nous amener là. Il y a autant de facteurs que de personnes concernées. Ce sont des problématiques très vastes et ça peut être très compliqué de répondre à cette question du « pourquoi ».
  • En t’écoutant, je me rends compte que cette coupure avec le corps dont tu parles, je n’en ai pas parlé dans mon récit, mais c’est quelque chose que j’ai souvent évoqué au cours de mon histoire. J’en parlais à mon médecin, aux psychologues, etc. Mais revenons-en à comment j’en suis arrivée à la situation actuelle et quel est, aujourd’hui, mon rapport avec l’alimentation. Ces toutes dernières années, c’est un ami qui fait de l’EFT qui est intervenu dans mon parcours. À l’époque, je n’étais pas du tout en adéquation avec ce type de pratique. On m’en avait déjà parlé et je n’avais jamais testé, mais ça ne m’inspirait pas confiance. Pourtant j’aime beaucoup tout ce qui est énergétique, mais j’étais sceptique. Quoiqu’il en soit, cet ami m’a proposé de m’accompagner sur une thématique de mon choix, car il avait besoin de s’entraîner. Je lui ai bien dit, dès le départ, que je n’y croyais pas, que ça faisait plus de 8 ans que j’étais là-dedans, que je voulais bien être son cobaye et l’accompagner dans son apprentissage, mais, en gros, qu’il ne fallait pas qu’il rêve. Finalement, j’ai senti que ça c’était bien apaisé ! Mais sans sentir que c’était vraiment passé. Je commençais à perdre espoir que ça disparaisse à 100 %. Au final, ce qui m’a beaucoup aidée, c’est de travailler sur certains éléments du passé, qui m’avaient perturbée, ainsi que sur des schémas qui se répétaient et que je continuais de créer. J’avais notamment une grosse problématique avec le regard des autres, notamment le regard que l’on porte sur les femmes. J’ai subi du harcèlement, de la part de mes camarades. De camarades femmes, mais aussi d’hommes. J’ai été sexualisée très très jeune. Cette problématique du corps et de la place qu’on lui donne, je trouve que c’est vraiment un sujet important. Le corps de la femme est jugé, que ce soit par les femmes ou par les hommes et je sais que ça aussi, c’est un gros sujet de société. Aujourd’hui j’en suis sortie, je vis chez moi et je m’en sors bien, dans le sens où je ne fais pas de crise. Cependant, je sens que ça peut encore m’arriver de tomber dans un fonctionnement de compensation émotionnelle. Mais je ne suis plus du tout dans le même état d’esprit. Le regard des autres, la vision de soi, tout cela, ça a changé.

Le conseil que j’ai envie que vous reteniez si vous êtes dans l’anorexie ou la boulimie

  • Tu as vraiment un sacré parcours ! Ponctuellement, des personnes ou des situations ont pu t’aider, mais je retiens surtout un gros travail personnel, de toi à toi. Même si, encore une fois, il y a eu… disons des « béquilles extérieures », ce que je retiens surtout c’est cette énergie de vie que tu as toujours eue. Cette scène que tu nous as partagée, du couteau que tu as balancé contre le mur, pour choisir la vie, m’a particulièrement scotchée.  J’en ai des frissons ! On arrive à la fin de notre entretien toutes les deux, et pourtant il y a encore plein de questions que j’aurais envie de te poser ! Avant qu’on se quitte, si tu devais résumer en une phrase ou en quelques mots seulement, ton parcours et là où tu en es aujourd’hui, tu dirais quoi ?
  • Si je devais ne garder que quelques mots, je garderais ceux de reconnexion à soi-même, de se choisir soi-même. J’ai remarqué que les personnes qui souffrent de TCA sont souvent des personnes qui ont une grande posture de don de soi, qui donnent beaucoup aux autres… Cela entraîne une tendance à s’oublier soi, au profit des autres. Autorisez-vous à vous choisir, à vous placer au premier plan. Dites-vous que vous êtes votre priorité, qu’on est soi-même la femme de sa vie, ou l’homme de sa vie. Il n’y a qu’avec nous-même qu’on passera toute notre vie, qu’on vit H 24, donc c’est extrêmement important de se choisir soi-même, tout le temps, tout le temps. Si vous êtes dans le « down » et que vous vous dites que « Non non, ce n’est pas pour moi, je n’y arriverais pas » : nourrissez quand même, tout le temps, tout le temps, cette vision de vous guéri, de ce que vous voulez vraiment dans votre vie, de comment vous êtes quand vous êtes guéri. Garder ça en vous tout le temps.
  • Voilà un beau message d’espoir : choisir la vie, s’accrocher à la vision de soi vivante.
  • Et se l’autoriser surtout, je pense que c’est important !
  • Merci Cassandra, pour nous avoir confié tout cela, car ce n’est pas rien !
  • Merci à toi de m’avoir offert cette possibilité.  

3 réponses

  1. Merci pour ton histoire très touchante, je me suis reconnue dans chaque parole. C’est incroyable, comment sa fait du bien de se voir comprises. J’aimerai m’en sortir un jour et être épanouie.

    1. Merci pour votre commentaire que je vais transmettre à Cassandra. Je suis heureuse de lire que son témoignage vous a aidée à garder l’espoir de voir qu’une guérison est possible 🌟

    2. Bonjour Omaia,
      Je suis si heureuse que tu puisses t’y identifier et croire en ta propre guérison ! Le seul fait que tu sois ici à écouter des témoignages montre que tu es déjà sur la voie.

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