Orthorexie : le témoignage d’Émeline, naturopathe, sur l’obsession du « manger sain »

Avec ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir », je vous propose de découvrir un témoignage d’orthorexie. J’avais déjà reçu Émeline dans un précédent épisode, pour parler de sa posture anti-diet culture dans sa pratique de naturopathe. Cette fois-ci, ce n’est pas avec sa casquette de professionnelle qu’elle s’adresse à nous. Émeline vient témoigner des troubles alimentaires qu’elle a traversés, et en particulier l’orthorexie. Ce trouble du « manger sain » est encore assez peu connu, mais, me semble-t-il, de plus en plus présent.

Au travers de notre échange, on a abordé l’orthorexie via ses symptômes : alimentation « healthy » pour prendre soin de sa santé, perfectionnisme et besoin de contrôle. Elle nous a confié son histoire et notamment, le rôle qu’a joué la naturopathie. Enfin, vous découvrirez comment l’alimentation intuitive, un nouveau regard sur la santé et la déconstruction de croyances lui a permis de guérir de ce TCA.

Orthorexie, les symptômes d’Émeline

La santé (physique) avant tout

Dans son témoignage, Émeline explique bien que l’orthorexie n’est pas le premier trouble alimentaire dont elle a souffert. Les précédents étaient passés presque d’eux-mêmes… C’est à l’occasion d’un rendez-vous chez la gynécologue qu’elle réalisa, malgré elle, le premier pas vers l’orthorexie.

« Lors de l’examen, elle me palpe un peu au niveau du ventre et me dit : « vous êtes quand même gonflé ». Alors que moi, je ne ressentais pas d’inconfort digestif. Et ça, c’est important de préciser : je ne ressentais pas d’inconfort digestif. Mais elle disait : « je vous trouve quand même gonflé, il faudrait essayer d’arrêter le gluten et les produits laitiers ». »

Dans la foulée, elle a commencé à s’intéresser à la naturopathie, à se renseigner sur cette pratique, puis à se former… Cela a augmenté ce qui compose l’essentiel de l’orthorexie : l’obsession du fait de manger « sain ». Elle en est arrivée à un point où même ses collègues la taquinaient au sujet de ses « gâteaux sans ».

« Ils rigolaient parce que je ramenais des gâteaux. Et en fait, c’était : « Bon […] qu’est-ce que tu as modifié ? » Parce qu’à chaque fois, c’était : « j’ai fait un brownie, mais sans ci, sans ça ». Mais vraiment, la liste était… C’était un gag, parce que quand j’y repense, c’était : « Bon alors, c’est un brownie, mais sans gluten, sans sucre et sans matières grasses. ». Vraiment, à chaque fois, c’était : sans, sans, sans. C’était devenu quelque chose de drôle, mais en vrai, quand j’y repense, ce n’était pas drôle. J’étais incapable de faire un gâteau avec la recette classique, pour des raisons, entre guillemets, de santé. »

Émeline explique très bien, dans l’épisode, le rôle qu’a joué la posture d’expert du gynécologue (même s’il n’est nullement expert du système digestif…). Il en est de même pour la valorisation, très généralisée dans notre société, du fait de « surveiller son alimentation », que ce soit pour la santé et/ou pour perdre du poids.

Comme pour de nombreux troubles des conduites alimentaires (TCA), la culpabilité était au rendez-vous dès qu’une règle était enfreinte.

« J’avais l’impression d’être une mauvaise personne, ou en tout cas de ne pas faire les choses bien si je faisais autrement. »

Le besoin de contrôle et de perfection

L’obsession du manger sain qui caractérise l’orthorexie se traduit aussi par une grande charge mentale à l’égard de l’alimentation. À l’instar des autres TCA, la tension devient énorme, puisque tout est surveillé, tout doit être organisé, maîtrisé.

« Tout devait être contrôlé, tout devait être parfait. Il y a la notion de perfection, derrière, finalement. L’alimentation doit être parfaite, entre guillemets. Parfaite selon les règles supposées de ce que ça veut dire « manger sain ». »

Le reste de sa vie était d’ailleurs très contrôlé lui aussi :

  • emploi du temps chargé et très bien organisé ;
  • temps de sport très réguliers et prévus…

Le mauvais rapport au corps et/ou l’estime de soi

À l’occasion de son témoignage sur son orthorexie, je souhaitais pouvoir discuter avec elle de la place du rapport au corps dans ce trouble alimentaire. On dit généralement que l’orthorexie est basée sur la volonté de manger « healthy », sur la santé (sur une certaine notion de la santé, en tout cas !), mais pas sur le poids.

Si vous écoutez l’épisode en entier, vous verrez que l’avis d’Émeline est plus nuancé.

« Mon image corporelle, même mon estime de moi, en fait, n’étaient pas bonnes. Elles n’étaient pas du tout apaisées. Et ça avait un lien, en fait. Quand tu dis : « OK, je fais bien les choses, donc je suis une bonne personne. Quand j’ai une compulsion ou quand […] j’ai mangé du gluten […], je suis une mauvaise personne »… Il y avait aussi ce lien avec l’estime de soi et donc, indirectement, avec l’image corporelle aussi. »

« Je suis en train de me dire que, de toute façon, dans la notion de santé, dans une société et un monde médical très grossophobes : un corps gros, ce n’est pas censé être en bonne santé. Tu vois ? [Ce sont] des suppositions. Il y a cette alliance entre santé et minceur, de toute façon, consciemment ou pas. »
Anne

Orthorexie, l'obsession du "manger sain" | Témoignage d'Émeline

Son histoire avec les troubles alimentaires

Ses antécédents de TCA

Comme pour les autres TCA, connaître les symptômes de cette maladie mentale ne suffit pas, à soi seul, à bien la comprendre. C’est pour cela que, dans le témoignage sur l’orthorexie d’Émeline, comme dans tous les autres témoignages de « La pleine conscience du pouvoir », on a pris le temps de revenir sur l’histoire de son rapport avec l’alimentation.

Émeline nous a ainsi clairement expliqué que son rapport troublé avec la nourriture a commencé avant sa tombée dans l’orthorexie.

« C’est quand même intéressant que je puisse dire que j’ai quand même eu une période de boulimie non-vomitive et d’hyperphagie, pendant quelques années. [Ça] s’était calmé, mais sans réel travail sur les croyances, sur les pensées, notamment de restrictions cognitives […]. C’est vrai qu’après, il y a eu plusieurs facteurs qui ont fait que je suis… rentrée par une autre porte, en fait, finalement. »

« J’avais eu un suivi psychologique […]. On va dire [que] l’élément d’entrée était : « OK, il y a quelque chose qui ne va pas avec l’alimentation ». Finalement, dès la première séance, on s’est éloigné de ce sujet et on a travaillé sur plein d’autres sujets qui, du coup, m’ont aidé à traverser cette étape de troubles alimentaires. Mais en réalité, ce n’était pas une psychologue formée sur tout ce qui va être autour du rapport à l’alimentation. En soi, elle m’a beaucoup, beaucoup aidée ! Ce n’est pas du tout un reproche […]. Il y a quelques années où c’est devenu un bruit de fond. Ensuite, c’est revenu. »

Naturopathie et orthorexie

Nous l’avons vu plus haut : ce qui a redéclenché ses troubles alimentaires (mais, cette fois-ci, sous la forme de l’orthorexie), c’est :

  • ce fameux rendez-vous chez la gynécologue ;
  • et sa découverte de la naturopathie.

« La réalité, c’est que les formations sont aussi des apprentissages à : « comment souffrir d’orthorexie ? », en fait, finalement. Il y a des personnes, dans ma promo, qui ont vu leur rapport à l’alimentation changer aussi en fait, parce que, tout d’un coup, on nous dit : « ça c’est bien, ça ce n’est pas bien », etc. Moi j’étais déjà là-dedans avant, donc ce n’est pas ça qui a déclenché. Ça aurait pu l’aggraver, ça par contre j’en suis consciente. »

En effet, le fait d’avoir une alimentation saine, ou en tout cas plus saine possible est un des principes de la naturopathie. De surcroît, ça va totalement de pair avec le « style de vie healthy » très prôné sur les réseaux sociaux, et sur l’amalgame entre minceur et bonne santé très mis en avant par notre société.

« Fort heureusement […], j’ai mieux compris, à ce moment-là, ce que c’était la restriction cognitive, donc le fait d’avoir l’intention de contrôler son alimentation. Même si, au départ, dans la définition, c’est l’intention de contrôler son alimentation vis-à-vis du poids. Mais, en réalité, moi, ce que j’ai expérimenté avec l’orthorexie, qui est d’abord, d’un point de vue officiel en tout cas, d’un point de vue santé […], [c’est que] c’était le même mécanisme. Le même mécanisme de frustration, de règles alimentaires, de la sensation d’être une mauvaise personne quand on transgresse, etc. »

Guérir de l’orthorexie : le témoignage d’Émeline

Découvrir l’alimentation intuitive

Comme pour toute guérison de TCA, le témoignage d’Émeline sur son orthorexie met clairement en avant le fait que c’est un ensemble d’éléments qui lui a permis de sortir de l’engrenage.

L’un des éléments majeurs, dans son cas, fut la découverte de la thérapie d’alimentation intuitive durant sa formation de naturopathe.

« C’est vraiment en découvrant l’alimentation intuitive que j’ai compris que non, les conclusions, ce n’était pas que je n’allais pas bien. C’était que j’étais dans un mécanisme, au niveau alimentaire […]. Et c’est drôle parce qu’il y a des choses où vraiment, cognitivement, je trouvais ça bon. Alors que maintenant, tu me refais manger ça, je me dis : « Mais comment j’ai pu aimer à ce point-là ? ». »

Découvrir l’alimentation intuitive et la naturopathie en même temps lui a d’ailleurs permis de mieux comprendre la restriction cognitive et l’impact des croyances, des règles extérieures sur notre propre rapport à la nourriture.

« Ce qui est intéressant c’est, que du coup, je comprenais vraiment l’impact des croyances alimentaires et l’impact des pensées autour de l’alimentation. Quand on nous diabolisait les aliments, en fait, je le voyais. Du coup, je voyais aussi l’impact chez les autres et chez moi […]. Finalement, j’avais un peu le mécanisme grandeur nature […]. La journée, on pouvait me dire : « bah ça, ce n’est pas bien, ça, ce n’est pas bien, etc. […]. Je voyais bien après, le soir, que j’avais plus de tension au niveau alimentation. »

Envisager la santé autrement

Cela va de pair avec l’alimentation intuitive : Émeline a commencé à envisager la santé sous un autre angle, avec une vision plus globale des choses.

« En fait, la santé, est-ce que ce n’est vraiment que ça, quoi ? Et est-ce que si, finalement, j’ai cette charge mentale qui est énorme, si je me prends la tête avec mes amis sur l’alimentation, etc., est-ce que c’est vraiment ça, la santé que je veux ? Avoir aussi des compulsions parce que trop de frustration, est-ce que c’est ça, la santé que je veux ? La réponse était non. »

« Je trouve qu’il est important de se rendre compte que dans le terme santé, en fait, on peut mettre différentes choses. C’est ces fameux trois piliers, selon l’OMS, de la santé physique, psychique et sociale, en fait. Et là, tu décris ça très bien. Ta santé mentale, ça n’allait pas du tout. On en parlait tout à l’heure. La santé sociale, ça devenait compliqué, en fait, les relations. Donc, OK, comment on peut équilibrer tout ça ? Et […] même cette santé physique ne passe pas que par l’alimentation, finalement. »
Anne

Déconstruire les croyances et idées reçues

Enfin, même si c’est loin d’être la plus facile des étapes nécessaires pour guérir d’un TCA, Émeline nous raconte qu’elle a pris le temps de déconstruire ses croyances sur l’alimentation, la santé, le style de vie « healthy »…

« Je comprenais le mécanisme frustration-compulsion, donc ça m’aidait aussi à comprendre. J’ai vraiment travaillé à dédiaboliser les choses et à enlever cette hiérarchisation qu’il y avait entre les « bons » aliments, ceux qui font une alimentation parfaite, et les autres. »

Elle a progressivement remis l’alimentation a une place plus juste. Elle a travaillé pour l’aborder avec plus de souplesse, d’équilibre, de fluidité.

« En fait, je ne m’en rendais pas compte sur le moment […], mais l’alimentation me prenait toute la place. Le côté organisation, et contrôle, et il faut faire ci, il faut manger ça, mais ça, il faut que j’en rachète parce que si je mange ça, ce n’est pas bien… Enfin, tout ça, c’était trop. »

Pour terminer cet épisode, Émeline a mis un point d’honneur a rappelé qu’il est important de faire attention aux contenus qu’on consomme sur les réseaux sociaux. Le style de vie « healthy », lui aussi, nous berce facilement de croyances et d’illusions dangereuses.

« Je trouve que c’est aussi intéressant de se rappeler que ce qu’on voit sur les réseaux sociaux n’est pas la réalité […] Mes proches et mon entourage, à l’époque, [je pense que] ils me voyaient comme quelqu’un qui maîtrisait bien son planning, qui mangeait bien sainement, etc. En tout cas, qui maîtrisait les choses et s’était vu positivement. Mais en réalité, j’allais pas du tout bien. Finalement, sur les réseaux, c’est pareil, en fait. La personne, on a l’impression qu’elle maîtrise, entre guillemets, son mode de vie, qu’elle fait tout comme la société dit qu’il faudrait faire. La réalité, c’est qu’on ne sait pas comment elle va mentalement. »

*

Si l’idée de « manger sain » prend trop de place dans votre esprit et dans votre assiette, j’espère que cet article vous aura permis de mieux comprendre les risques et mécanismes qui se cachent derrière l’orthorexie. Pour aller plus loin, je vous suggère d’écouter l’épisode de podcast en entier. Vous y découvrirez des nuances et des compléments sur les éléments abordés dans cet article. Pour continuer à explorer une vision de l’alimentation différente de celle imposée par le culte de la minceur, abonnez-vous à ma newsletter.

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