Nutrition intuitive | Comment cocooner sa santé ET son moral ?

Dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir », nous allons parler de nutrition. Mais attention, il ne s’agira pas de vous dire quand et quoi manger, en quelle quantité. Il ne s’agira surtout pas non plus de vous faire culpabiliser de ne pas bien faire. Dans cet article, nous allons rentrer plus en détail dans le 10e principe de la thérapie d’alimentation intuitive, celui de la nutrition bienveillante. Aussi appelée « nutrition intuitive », elle propose un chemin vers le respect de notre corps et de prendre soin de nous et de nos santés : santé physique, santé mentale et sociale. Pour en parler avec moi, j’ai invité Amélie Carlot-Chichoux, diététicienne passionnée, spécialisée dans la psychologie du comportement alimentaire et des TCA, les troubles du comportement alimentaire.

La place de la santé dans la nutrition intuitive

– Bonjour Amélie !

– Bonjour Anne ! 😊

– Merci d’avoir accepté cette invitation ! C’est toi, Amélie, qui as construit le module sur la nutrition d’Indépendance Cannelle. Je vous propose cet accompagnement de 12 mois pour retrouver une relation plus apaisée avec votre alimentation et avec votre corps. En tant que diététicienne, Amélie propose des consultations, des ateliers et elle fait également de la création de contenus, notamment sur Instagram. Avant de passer à la suite, souhaites-tu compléter cette présentation ?

– Non, c’est bon. 😊

– Dans cet article, nous allons parler du vaste sujet qu’est la nutrition intuitive, ou nutrition bienveillante. C’est le 10e principe de la thérapie d’alimentation intuitive. L’un des reproches qui sont faits à cette démarche, ce serait de ne pas se préoccuper de la nutrition. Le cliché peut même aller jusqu’à dire qu’il s’agirait de manger tout et n’importe quoi, sans se soucier des effets sur la santé. Vrai ou faux ? Nous allons commencer par répondre à cette question – même si ce sera vite traité. 😉 J’aimerais que tu partages avec nous ta vision sur ce point.

– Effectivement, ça fait partie des reproches les plus couramment entendus sur la thérapie d’alimentation intuitive, et plus largement sur toutes les approches comportementales. Globalement, c’est faux, tout simplement. 😊 On va quand même prendre rapidement le temps de détailler ça. L’alimentation intuitive est une approche qui a été fondée par 2 diététiciennes, c’est-à-dire des professionnelles de santé. Nous ne sommes donc pas dans un cadre de déni de la science ou du fait que manger des légumes, c’est bon pour la santé. La nutrition bienveillante, ça consiste à avoir une alimentation, une nutrition, qui va dans le sens de sa santé, et plus précisément, de sa santé physique. Au sein de la thérapie, c’est la partie durant laquelle on va essayer de comprendre comment fonctionne les nutriments et quels effets ils ont dans notre corps. L’idée, c’est de pouvoir, ensuite, utiliser ces connaissances pour avoir une santé qui soit la plus optimale possible. Bien sûr, il s’agit aussi de prendre en compte toute la thérapie qui a été faite en amont, qui traitent plutôt de la santé mentale.

– C’est ça. Ce n’est pas pour rien que ce principe arrive en dernière place. Nous ne les explorons pas forcément dans l’ordre, mais il n’empêche qu’il y a besoin de faire un certain travail avant de pouvoir se pencher sur ce 10e principe. Pour des questions de santé mentale, il est important de commencer par déconstruire un certain nombre d’idées reçues, entre autres choses.

– Voilà, tout à fait. C’est exactement là où je voulais en venir ! En effet, ce n’est pas pour rien si ce principe est le dernier. Il nécessite d’avoir, en amont, fait ce travail de déconstruction sur toutes les croyances, sur toutes les fausses idées qu’on peut avoir sur l’alimentation. Évidemment, la santé physique est importante. C’est d’ailleurs le message principal de tous les régimes et des professionnels de santé. L’intérêt de l’alimentation intuitive, c’est de mettre aussi en avant la santé mentale et de faire comprendre que les 2 ne sont pas incompatibles.


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La flexibilité face aux recommandations nutritionnelles

– Exact. Je me dis que ça peut être un jeu d’équilibriste… Encore que, pas forcément. Qu’en penses-tu ?

– Pas forcément. Une fois que nous avons fait le travail de l’alimentation intuitive et qu’on est en paix avec la nourriture, on a alors développé une capacité de flexibilité mentale. Nous pouvons prendre une information scientifique, qui est vraie (au vu des connaissances actuelles) et en faire ce que nous voulons, en l’appliquant à nous-même, avec tout ce que nous savons sur notre corps et notre expérience. Il s’agit, par exemple, d’être capable de se dire que manger des légumes, oui, c’est intéressant pour la santé… Pour autant, est-ce qu’en prendre forcément à tous les repas est vraiment indispensable ? Est-ce que ça ne risque pas de m’enfermer dans une forme de rigidité qui peut me nuire mentalement ? Nous pouvons écouter cette notion de santé tout en y apportant les nuances dont nous avons besoin et/ou envie. C’est également à cela que sert la thérapie d’alimentation intuitive : à savoir aborder les choses avec des nuances.

– Tout à fait. Comme tu l’as dit, la notion de flexibilité est vraiment inhérente à cette thérapie… et à toute démarche de thérapie, quel que soit le sujet, d’ailleurs. Développer cette flexibilité, afin de pouvoir vivre notre vie avec plus de souplesse, ne serait-ce pas ça, finalement, le « but », entre guillemets, à atteindre ? En tout cas, à l’issue de cette thérapie, le but est de pouvoir aborder une recommandation, une information nutritionnelle autrement que comme une règle rigide, comme un « il faut ». C’est un des piliers de la nutrition intuitive.

– Voilà. Cette souplesse est importante à travailler, en alimentation comme pour bien d’autres aspects dans la vie. Ce qui rapproche le plus les personnes que je reçois au cabinet, qui ont eu une relation troublée avec leur alimentation, voire un TCA, c’est cette inflexibilité mentale. Souvent, il y a aussi un peu de perfectionnisme. Ils ont souvent une vision manichéenne du monde, basée sur des « c’est bien ou c’est mal », « il faut ou il ne faut pas », très noir et blanc. Ça, c’est un élément très classique parmi ce qui peut entraîner des troubles alimentaires. Au-delà du travail sur la restriction cognitive et alimentaire, il y a un travail à faire sur la façon d’aborder une information scientifique. Pour donner un exemple plus concret : oui, scientifiquement, le régime méditerranéen avec beaucoup de fibres et des « bonnes graisses » est très intéressant sur le plan physique. Ceci étant, se blinder de légumes toute la journée, ce n’est pas forcément intéressant. Nous pouvons citer, par exemple, les personnes qui ont le syndrome de l’intestin irritable. Les recommandations adressées au grand public via le plan national nutrition-santé, le PNNS, avec les messages comme « manger bouger », c’est pertinent pour une grande majorité. Ceci étant, ce n’est pas adapté à chacun et surtout, il faut quand même se rappeler que l’équilibre pondéral et nutritionnel se fait sur au moins une vingtaine de repas.

– Oui, ça, s’est très important de le rappeler, voire de le dire. L’inflexibilité de certaines personnes peut se concentrer sur l’échelle du repas, qui doit être parfait à chaque fois. De temps en temps, ça se fait à l’échelle de la journée… Mais en fait, tu nous dis que cet équilibre se fait sur une vingtaine de repas !

– Le corps est capable de gérer sur une certaine durée… Si, pendant 3 ou 4 jours, voire même une semaine, on ne mange pas de légumes, ce n’est pas grave. On en aura peut-être plus envie la semaine suivante. Le corps sait très bien équilibrer tout ça. D’ailleurs, ce week-end, j’étais à un congrès de thérapies cognitivo-comportementales. Il y avait notamment le Docteur Perroud, qui est un psychiatre assez reconnu dans la prise en charge des troubles du comportement alimentaire. Il a dit à une assemblée de psy : « Le repas équilibré comme on l’entend est dangereux. ». Évidemment, c’est un peu provoc’. L’idée était de dire qu’effectivement, s’astreindre à avoir une assiette parfaite, avec toutes les familles d’aliment, tout le temps, tous les jours, toute l’année… ça fait dériver dans la rigidité. Quand on dérive dans la rigidité, au moins d’un point de vue alimentaire, on peut facilement glisser sur des troubles du comportement alimentaire. Le premier qui me vient en tête dans ce contexte est l’orthorexie.

Nutrition intuitive : tient-elle compte de notre santé ?

La question compliquée de l’éducation alimentaire

– J’entends le risque qui est derrière ce comportement, en effet. Nous en avions discuté avec Clémentine Hugol-Gential, dans 2 épisodes traitant des fameuses recommandations adressées au grand public. Nous avions évoqué leur maladresse et de leurs effets possibles. Un autre sujet en lien avec tout ça est celui de l’éducation alimentaire. Je pense que ça vous pourrait faire l’objet d’un épisode de podcast entier ! Nous ne partons pas tous à égalité, selon l’ouverture alimentaire, disons, que nous avons reçu étant enfant. D’un côté, c’est important de donner de l’information. C’est important d’encourager à manger des fruits et des légumes. Certains ont besoin de l’entendre, de l’apprendre. Mais d’un autre côté, ça peut vite se transformer en une injonction qui entraîne plein de monde dans la culpabilité, dans la peur de mal faire, etc. Du coup, je trouve que c’est compliqué, de communiquer là-dessus… Dans ton travail, ça doit sans doute te faire marcher sur des yeux, cette histoire. Non ? Comment tu gères ça ?

– Dans la thérapie que je propose, ce n’est pas très compliqué, en fait. Je récupère les patients qui sont déjà atteints par la rigidité. Du coup, le premier travail à réaliser est assez clair : flexibiliser la relation à l’alimentation et sortir des restrictions et des croyances. On parle de nutrition intuitive seulement à la fin du suivi. Mais là encore, on le fait à la fin… sauf dans le cas des adultes qui n’ont pas eu accès à tous les types d’aliment dans leur enfance, pour X ou Y raison. La diversification alimentaire n’a alors pas très bien pu se faire et leur corps n’a pas enregistré tous les types d’aliment. On ne peut pas avoir envie de quelque chose qu’on ne connaît pas, même si les mécanismes de régulation du corps sont très bien faits. Si le corps n’a jamais au accès aux légumes, il ne pourra jamais en avoir envie. J’exagère, bien sûr, mais l’idée est là. Dans ces cas-là, je suis obligée de faire commencer le patient par une phase de réintroduction ou carrément d’introduction de certains groupes d’aliments. Je procède de la même façon qu’on le fait avec les enfants, généralement autour de 6 mois. Cela permet au corps de comprendre que ces aliments contiennent des nutriments intéressants pour lui. Ainsi, quand il sera en manque de ces nutriments, il pourra les réclamer.

– D’accord, il s’agit vraiment de revivre une diversification alimentaire. Je n’avais jamais imaginé que ça puisse se vivre à l’âge adulte… ou même à tout âge, d’ailleurs. Une des intentions de la thérapie d’alimentation intuitive, c’est, pour reprendre ton exemple, de pouvoir sentir que mon corps a envie de légumes si je n’en ai pas mangé pendant une semaine. Nous avons sans doute déjà tous vécu cette envie de soupe tous les soirs après la période des fêtes, qui est pleine de repas copieux et d’aliments festifs et riches. On sent bien que ça s’auto-régule. Mais c’est vrai que, si je n’ai jamais mangé de soupe de ma vie, forcément, je ne pourrais pas en avoir envie. Il va alors falloir faire cet apprentissage en parallèle ou en préambule d’une thérapie.

– C’est ça. Évidemment, ce sont des cas vraiment extrêmes. C’est particulièrement rare de n’avoir jamais eu accès à un certain type d’aliment. Même quand c’est le cas dans l’enfance, une fois arrivé à l’âge adulte, on entend les messages de santé publique, on voit ce que mangent les autres, etc.

– Bien sûr, là nous évoquions des cas extrêmes. J’imagine que, pour les personnes que tu rencontres, la problématique se situe plutôt dans le contrôle et/ou, au contraire, dans une surinformation nutritionnelle.

– Oui, c’est quand même assez rare que la diversification alimentaire ne soit pas suffisamment variée. En général, les parents font très bien ce job-là. Souvent, les premiers aliments donnés aux enfants, même en purée, ce sont les légumes, par exemple. Mon travail principal, c’est plutôt, comme nous le disions, de flexibiliser les règles, les messages institutionnels ou des régimes, etc. Il s’agit de passer d’une nutrition stricte et rigide à une nutrition intuitive et bienveillante. Le PNNS, le plan à l’origine du « manger bouger » et du « 5 fruits et légumes par jour », donne des informations qui sont basées sur la science. Effectivement, 5 fruits et légumes par jour, c’est intéressant pour plein de raisons. Par contre, c’est tellement simplifié pour être accessible au grand public que ça en devient presque faux. C’est comme pour tout sujet : dès qu’on simplifie à l’extrême, on s’éloigne de la réalité. En simplifiant, il n’y a pas de nuance et nous retombons sur ce que nous évoquions quant au manque de souplesse.


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Alliance de la nutrition intuitive et des recommandations nutritionnelles

– J’avais une question à laquelle nous avons en partie répondu : comment allier des recommandations nutritionnelles et un comportement alimentaire serein ? Finalement, il me semble que la réponse se trouve dans ce travail de flexibilité.

Je pense que ça passe déjà par la confiance en son corps. Une fois que le corps connaît les différents aliments existants, il est capable de réclamer ce dont il a besoin. S’il a besoin de calcium, il réclamera des produits laitiers, par exemple. S’il a besoin de vitamine C, il réclamera des agrumes. Le corps est tout à fait capable de nous donner envie des aliments qui ont un intérêt nutritionnel pour nous à l’instant T. Le premier travail, c’est donc de faire confiance à son corps. Tu as donné l’exemple des repas des fêtes de fin d’année, qui sont souvent suivis d’envies de soupe ou de plats moins copieux. C’est vrai : c’est ce que ressentent les gens qui ont une alimentation apaisée et régulée. Notons cependant que nous parlons ici des personnes qui font ça sans contrôle mental. 😉

– Oui, il ne s’agit pas de faire ça dans l’objectif de reperdre le poids qui a été pris, par exemple.

– Ce qui est assez marrant, c’est que, dans une alimentation intuitive, les personnes vont finalement appliquer les principes qui nous sont transmis, comme les 5 fruits et légumes par jour. La plupart du temps, ils vont les appliquer… sans avoir besoin d’y penser. Se faire confiance et manger en fonction de ses besoins et de ses envies et donc, avoir une nutrition intuitive et bienveillante, ce n’est pas incompatible du tout. Au contraire, ça va dans le même sens !

Le contexte de l’agro-alimentaire et des aliments transformés

– L’expression qui me vient à l’esprit, c’est qu’on retombe sur nos pattes. On va reconstruire tout seul ces recommandations. Maintenant, j’ai une autre question. J’ai souvent entendu : « Oui, mais avec toute la publicité, toute l’industrie agro-alimentaire qui nous pousse à manger des trucs pleins de cochonneries… dès qu’on met les pieds au supermarché, on ne voit que des aliments ultra-transformés… c’est compliqué de faire confiance à notre corps dans un environnement tel qu’il est aujourd’hui ». Qu’est-ce que tu en penses ?

– Au-delà de ce que je pense, les études qui ont été menées sur l’alimentation intuitive ont démontré que les personnes qui suivent la thérapie ne mangent pas plus d’aliments transformés que les personnes qui s’empêchent d’en manger qui, du coup, finissent par faire des craquages dessus. Je n’ai pas spécialement d’avis à donner, car il se trouve qu’on observe que ça se passe comme ça. Ça se passe bien, en fait. 😊 La nutrition intuitive se régule d’elle-même. On fait un travail qui consiste à commencer par prendre conscience qu’on a le droit de manger ces aliments. Ensuite, on observe ce que ça provoque chez nous. On se demande si ça nous tient bien au ventre, si ça nous apporte un plaisir gustatif, un confort digestif, etc. Au final, on constate que oui, il peut y avoir du plaisir, mais pas au point d’en manger dans l’excès.

– Ce n’est pas parce que nous allons passer devant une tête de gondole qui vend, par exemple, 3 gâteaux marbrés pour le prix d’un que nous allons forcément les acheter et/ou manger les 3 dans la semaine.

– C’est ça. On peut tout à fait être sensible aux publicités et au marketing sans que ça ne dégénère. Dans ton exemple, qu’est-ce qui va se passer ? Mettons que vous achetiez ces 3 gâteaux. Si vous avez une alimentation régulée, vous en ouvrirez un en rentrant parce que ça vous fait plaisir. Vous allez manger une part… et voilà. C’est tout. Ou 2, peut-être, peu importe. Vous allez manger ce qui vous convient, sans trop dépasser votre rassasiement, sans vous mettre dans l’inconfort digestif. Vous allez laisser le reste et vous en reprendrez quand vous en aurez envie. Il n’y aura pas de craquage dessus ni de surconsommation.

– On en revient à ce que nous disions juste avant : on retombe naturellement sur nos pattes. Avec une nutrition intuitive, notre corps finira par nous dire si on le supporte ou pas, si c’est bon pour nous ou pas, etc. Certes, ce sont des aliments qui n’existaient pas il y a 50 ans ou plus. La génération de mes grands-parents, par exemple, ne mangeait pas d’aliments transformés. D’ailleurs, je ne sais pas si, pour autant, ils étaient en meilleure santé que nous… Mais c’est un autre sujet. 😉 Il y a une très grande diabolisation de ces aliments, tellement de « olala » et de « l’industrie nous pousse à… ». Mais en fait, les faits sont là, y compris via des études : quand le comportement alimentaire est régulé, ça se passe bien. Si on a reçu une éducation alimentaire, il n’y a pas de raison qu’on mange tous les jours au fast-food ni qu’on passe notre temps à acheter des paquets de chips. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Pour ceux qui nous lisent : je suis sûre que vous connaissez, autour de vous, des personnes pour lesquelles ce n’est pas un problème et qui ont toujours eu un comportement alimentaire serein, quel que soit le type d’aliment. Pour ces personnes, ce n’est pas parce que tel aliment est plus palatable (c’est-à-dire qu’il procure un graaand plaisir) que les autres, qu’elles en mangent plus que de raison. Je pense que tu es d’accord avec ça ?

– Oui. Et puis même si, un jour, on en mange plus à l’occasion d’un gros apéro ou d’une grosse soirée ou autre : ça n’a pas d’impact en une seule fois.

Nutrition intuitive : prendre soin de sa santé ET de son moral

La distinction entre TCA et relation troublée avec la nourriture

– Exact. Ça rejoint ce que tu disais sur la régulation alimentaire qui se fait sur une vingtaine de repas, ou encore les envies de soupes après les fêtes. Maintenant, j’ai une question sur la frontière parfois tenue entre un TCA diagnostiqué et ce que nous pouvons appeler une « alimentation troublée ». Tu vois ce que je veux dire ? Pour moi, il y a une frontière assez fine et je souhaite savoir comment tu vois les choses.

– C’est une bonne question. 😊 Les TCA au sens strict du terme, ce sont des maladies psychiatriques décrites dans des manuels, comme le DSM 5 ou encore le CIM 11. Ce sont des diagnostics psychiatriques, posés par un psychiatre. Comme c’est décrit dans des manuels, c’est vraiment encadré. Il y a des critères et s’il en manque 1, on considérera que le patient n’est pas atteint. Ce sont des diagnostics médicaux. Ceci étant, il y a plein de gens qui souffrent de leur relation avec l’alimentation, sans pour autant cocher toutes les cases des manuels de psychiatrie. C’est ce que moi et d’autres appelons les troubles subcliniques, qui nécessitent quand même une prise en charge. Cette dernière permet soit d’éviter que ces personnes dérivent vers le trouble alimentaire strict, soit de prendre en charge leur souffrance, tout simplement. Ceci étant, la différence, en soi, elle est minime. Ça peut juste être : « je fais une crise de boulimie toutes les 2 semaines », alors que pour rentrer dans les cases, il faut que ce soit toutes les semaines.

– Je précise que ce n’est pas pour autant qu’on va hiérarchiser la souffrance. Il n’est pas question de ça. Ça fait souffrir quoiqu’il en soit, diagnostic ou pas.

– Tout à fait ! J’essaie de répéter ça le plus possible. À partir du moment où il y a un questionnement, une souffrance, une charge mentale, etc., en lien avec l’alimentation, il faut s’en occuper, diagnostic ou pas. Enfin… ou pas, chacun fait ce qu’il veut et personne ne doit la santé à personne. Mais en tout cas, j’estime que si vous avez une souffrance, vous avez le droit de vous en occuper.

– Exactement. Est-ce que l’accompagnement est le même, ou est-ce que tu remarques des différences entre les troubles diagnostiqués et ceux qui ne le sont pas ?

– Pour répondre, je pense que nous pourrions faire une analogie avec un gradient, indiquant si on est très très éloigné du trouble strict ou si on s’en rapproche beaucoup. Mais globalement : non, l’accompagnement n’est pas si différent.


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L’importance de la renutrition en parallèle du travail psychologique

– Qu’il s’agisse de troubles stricts et diagnostiqués ou de cas subcliniques, je trouve intéressant de voir comment le nutritionniste/diététicien et le ou les psy/thérapeutes se complètent. Nous travaillons sur les mêmes axes : restriction cognitive, flexibilité, nutrition intuitive, etc. Mais, en même temps, ces axes sont différents. Je trouve intéressant d’essayer de déterminer où s’arrête le rôle de chacun et/ou comment ils se complètent.

– C’est une très bonne question. Effectivement, il peut y avoir des redites entre nous. Typiquement, moi, en étant diététicienne, je suis formée à un peu de psycho et à ce qu’on appelle les TCC, thérapies cognitivo-comportementales. Ce sont des approches purement psychologiques. Je fais donc, entre autres, des choses qu’un psy formé au TCA pourrait aussi faire, comme, par exemple, travailler sur la flexibilité. De la même manière, quand les psy sont formés aux TCA, en général, ils font aussi un peu de nutrition. À mon sens, ce n’est pas gênant, car les patients ont souvent besoin de recevoir plusieurs fois le message, peut-être expliqué de différentes manières. De plus, on ne se marche pas trop dessus, notamment parce que, même si je suis formée aux TCC, je ne sais pas tout non plus. Dans les troubles du comportement alimentaire, il peut y avoir des choses qui ne rentrent pas du tout dans mon domaine, comme une dépression associée, un psycho-trauma, une relation d’attachement néfaste, etc. Plein de choses complètement de l’ordre du psy peuvent rentrer en jeu et je ne sais pas du tout traiter ces sujets. Tout ce qui touche à l’éducation psycho-émotionnel, je ne peux pas le prendre en charge non plus. Il en est de même pour le psy, qui ne peut pas traiter certains aspects des TCA, notamment des TCA restrictifs, mais pas que. Par exemple, à partir du moment où il y a des vomissements, des jeûnes prolongés, etc., le cerveau en pâtit. La restriction alimentaire et la dénutrition impactent fortement les capacités cognitives de la personne. Du coup, parfois, et même souvent, on est obligé de passer par une phase de renutrition, avant tout travail psychologique.

– Tout à fait ! La dénutrition fait que la personne n’aura… ce n’est pas qu’elle n’aura plus la capacité à penser, mais en tout cas, ce sera ralenti. Elle éprouvera de la difficulté à entrer dans un travail psycho-thérapeutique, à prendre de la distance avec ces pensées, à réfléchir sur la restriction cognitive…

– Ou sur la flexibilité, qui est sans doute le point le plus dur. 😉 Ce qui est le plus difficile devient alors inaccessible. Je précise qu’il n’y a pas besoin que ce soit pathologique pour en arriver-là. Il n’y a pas besoin que la dénutrition soit sévère pour qu’elle altère les capacités cognitives.

– D’accord. Si je comprends bien, même à un degré moindre de dénutrition, ça a quand même des effets. Ça peut aussi être le cas, par exemple, avec des repas pas assez nourrissants ou un jeûne, mais pas spécialement long. C’est bien ça ?

– Oui. Voilà un exemple qu’on peut tous avoir rencontré : il est 11 h 30 ou midi, nous sommes au bureau… et nous avons du mal à nous concentrer.

– Exact, tu as raison !

– Il n’y a pas besoin d’être en dénutrition pour ne plus être au top de nos capacités cognitives.

– Ton exemple permet de mieux imaginer à quel point ça peut impacter notre cerveau quand on est dans une restriction alimentaire forte… Quand j’accompagne des personnes qui souffrent d’anorexie ou d’un comportement assez restrictif, je travaille sur un principe d’alliance thérapeutique.

La nécessité d’une équipe pluridisciplinaire pour soigner un TCA

– C’est indispensable de le faire, effectivement ! En tout cas, je pense que le diététicien est capital au moins au début, car on a besoin de cette renutrition.

– C’est aussi pour ça que ce sont des troubles que je n’accompagne pas seule. Quand j’accompagne des personnes qui souffrent de troubles des conduites alimentaires, c’est important pour moi qu’il y ait un suivi pluridisciplinaire. Pourtant, ce n’est pas toujours évident, de recréer ça en libéral, hors structure hospitalière… Il me semble important, dans ce cadre, d’être sur la même longueur d’ondes. Tu parlais de message que la personne a souvent besoin d’entendre et de réentendre plusieurs fois… mais encore faut-il que ce soient les mêmes !

– Oui, effectivement ! Je vis dans un monde un peu utopique, mais c’est vrai que c’est difficile. Pour moi, en tant que diététicienne, c’est difficile de trouver des psychologues qui sont formés aux TCA et qui, une fois formés, ne transmettent pas leurs propres croyances alimentaires. Même en étant formé, si on ne fait pas de travail sur soi, c’est quand même compliqué… Je suppose que, pour toi aussi, ce doit être compliqué de trouver des diététiciens qui sont dans une optique de nutrition intuitive, sans cette idée que « attention, le poids, il faut qu’il soit comme ça… ».

– Heureusement, on se trouve quand même ! 😉

– Oui, on arrive malgré tout à se trouver. Quand bien même ce ne serait pas le cas, ça n’empêche pas non plus la guérison du client. Ça sera peut-être un peu plus long, ou moins fluide, mais des discours pas totalement concordants n’empêchent pas dans s’en sortir.

– Tout à fait, soyons aussi positifs et optimistes là-dessus. 😊 J’ai une dernière question sur laquelle j’aimerais échanger avec toi. Tu as évoqué le travail sur ses propres croyances pour aller vers une pratique dans laquelle nous n’allons pas continuer à « promouvoir » des idées reçues sur le poids, la santé, etc. Comment s’est déroulé ton parcours professionnel pour avoir cette vision-là aujourd’hui ? Cette déconstruction de tes croyances s’est-elle faite dès le début de ta pratique ? Raconte-nous ça, je suis curieuse. 😊

Nutrition intuitive : cocooner sa santé ET son moral

Les étapes de la construction de la diététicienne qu’Amélie est aujourd’hui

– Par où commencer…? 😉 Je pense qu’il y a plusieurs facteurs à prendre en compte pour arriver à la diététicienne que je suis aujourd’hui. Avant même de commencer ma formation, j’avais déjà commencé un travail de psycho sur moi-même. C’était sans rapport avec la nourriture, mais je pense que faire ça jeune m’a permis de plus m’intéresser à cet aspect de nous-même. Ensuite, j’ai eu mon diplôme et j’ai eu besoin de bosser tout de suite. Comme tout le monde, en sortant des études, je me lançais dans la vie, j’avais besoin d’argent, etc. Du coup, j’ai pris le premier job que j’ai trouvé. Il se trouve que c’était un travail chez Naturhouse©, pour ceux qui connaissent… Je ne suis pas restée longtemps, car je sentais bien que ce n’est pas du tout ce que je voulais. Je ne suis restée qu’une semaine, pour tout vous dire. 😉

– Ah oui, effectivement ! Ça t’a très vite confrontée à tes valeurs, à ce que tu souhaitais faire professionnellement, etc.

– Oui oui, ce fut très net ! J’ai somatisé pendant une semaine…

– Ah oui ! Entre parenthèses, pour ceux qui nous lisent et qui ne connaissent peut-être pas Naturhouse© : c’est une chaîne qui vend de la perte de poids avec des compléments alimentaires.

– À cette époque-là, je n’étais pas encore formée aux TCA, mais même sans ça, je sentais bien que ça n’allait pas du tout dans le sens de mes valeurs. Ce n’était pas ce que je voulais faire. J’ai arrêté et j’ai ensuite commencé à faire des remplacements en cabinet libéral, avec des diététiciens plus ou moins classiques. Ça, ça m’a plu. Je me suis dit que c’était ça que je voulais : le libéral. En revanche, au bout de quelques mois, j’ai commencé à m’ennuyer. Je traitais tous les jours la même chose, toute la journée : perte de poids, plan alimentaire, rééquilibrage, etc. De plus, je remarquais que les patients revenaient… OK, leur parler de perte de poids, ça répondait à leur demande, mais, manifestement, ça ne résolvait pas leur problème.

– Et oui… Tu constatais déjà ce phénomène.

– Oui. J’avais aussi remarqué qu’à aucun moment, on ne leur demandait comment ils allaient. Par ailleurs, ma personnalité est rentrée en jeu. Je me suis naturellement demandé : « Moi, si je devais faire ce que je leur dis de faire, est-ce que je le ferais vraiment ? ». La réponse était non. Je savais qu’au bout de moment, ça me saoulerait, que ce n’était pas tenable sur le long terme. Je me suis tout simplement mise à la place de ces personnes. Du coup, je me suis formée aux comportements alimentaires grâce à un diplôme universitaire. J’ai tout de suite trouvé passionnant ce que j’apprenais sur les TCA, sur la psychologie des comportements alimentaires, etc. Pour autant, je ne remettais pas encore en question la perte de poids. Je me disais : « La perte de poids, ce n’est pas pour moi. Moi, je veux traiter les TCA. ». Mais je voyais ça comme 2 pratiques différentes, de la même façon que certains sont spécialisés dans les troubles digestifs, par exemple. Je me disais juste que j’allai me spécialiser dans les troubles des conduites alimentaires. Au final, en continuant à me former, à me former encore et à tirer tous les fils que ça m’apportait, j’ai vu plus large. J’ai réalisé qu’il y a bien plus de gens qui étaient impactés par ces troubles subcliniques que ce que je pensais. Ces gens, typiquement, ils font partie de ceux qui viennent en cabinet pour perdre du poids, en ayant déjà suivi 5, 10, 30, 40 régimes dans leur vie.

– Et oui… Réaliser ça te permettait aussi de ne pas fermer la porte à ceux qui viennent pour perdre du poids. Mais, au lieu de les accompagner pour ça, tu pouvais les accompagner, petit à petit, à comprendre que le problème n’est pas là.

– Je n’ai pas pensé comme ça. Je me suis juste dit qu’en fait, tous les gens qui viennent pour la perte de poids, ont aussi ce côté « l’alimentation me prend la tête ». Je suis partie de ce constat et je me suis dit qu’il y a un vrai travail à faire, sur le comportement et sur la relation à l’assiette, et pas seulement sur l’assiette en elle-même. Maintenant, comme je communique beaucoup sur Instagram sur la nutrition intuitive, les patients qui viennent de là sont déjà orientés vers cette approche. Mais en cabinet, les gens viennent juste voir une diététicienne et là, effectivement, j’ai un travail à faire pour expliquer pourquoi je ne propose pas de régime. Cependant, ça se fait assez vite, en général. J’ai un schéma sur le cercle vicieux des régimes et souvent, on me répond : « ah oui, oui, je me reconnais bien là-dedans ». À partir de là, je propose d’essayer autre chose, et là, c’est bon. 😊

– Ils ressentent sans doute du soulagement aussi, non ?

– Ça dépend. Certains restent malgré tout assez longtemps sur l’idée de la perte de poids. Ça peut, d’ailleurs, devenir des patients que je ne garde pas longtemps, parce que ce n’est pas l’approche qui leur convient. Mais ce n’est pas grave. Chacun fait en fonction de ses besoins. 😊

Nutrition bienveillante et TCA : le mot de la fin

– Amélie, nous arrivons à la fin de cet épisode. Je ne sais pas s’il y a une dernière chose que tu aimerais partager avant qu’on ne se quitte ?

– Je souhaite juste insister sur ce que j’ai peut-être dit un peu rapidement. J’ai dit que s’il y a de la souffrance dans la relation avec l’alimentation, vous avez le droit de faire appel à quelqu’un. Vous avez le droit de vous en occuper. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de diagnostic psychiatrique que vous n’avez pas le droit d’être aidé et pris en charge. J’aimerais aussi redire que c’est possible d’avoir une nutrition intuitive et bienveillante, à tout moment de la vie, en prenant soin de sa santé physique ET de sa santé mentale.

– Tout à fait. Il est possible d’avoir une relation apaisée et sereine avec notre assiette. Se faisant, cette assiette s’équilibrera toute seule. Je reste marquée par l’information des 20 repas sur lesquels se joue la régulation alimentaire. N’oublions pas que notre corps sait, si nous lui avons donné les bonnes clés pour apprendre et pour savoir.

– Tout à fait : notre corps sait. C’est une bonne conclusion. 😊

– Merci beaucoup Amélie, et peut-être à une prochaine fois pour un autre sujet !

– Avec plaisir !

*

J’espère que cet article sur la nutrition intuitive vous a permis de mieux comprendre le 10e principe de la thérapie d’alimentation intuitive. Faites-vous confiance, écouter vos envies et les besoins qu’expriment votre corps ! Une alimentation bienveillante et respectueuse de vos santés physique et mentale se mettra naturellement en place. Cependant, si vous désirez être accompagné dans ce processus, je vous accompagne à découvrir mon accompagnement Indépendance Cannelle.

Une réponse

  1. Super vocal très enrichissant!!
    C’était vraiment rassurant et réconfortant d’un autre côté d’avoir l’avis de la diététicienne Amélie…
    Merci beaucoup de tout votre travail 👍

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