Bienvenue dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir ». Aujourd’hui, vous allez entendre le témoignage d’Éliette. Vivant avec son trouble du comportement alimentaire depuis l’âge de 15 ans, Éliette cherche à comprendre comment sortir de la boulimie depuis 2 ans. En janvier 2020, elle a pris la décision de lui dire merci et au revoir et a commencé un travail sur elle-même, sur ce sujet précis. Au fil du temps, elle a réalisé combien ce TCA pouvait être à la fois son meilleur ami et son pire ennemi. Évoluant par vagues, cette maladie est parfois une compagne encombrante et d’autres fois une alliée pour avancer. Tout ce chemin a abouti, entre autres, à la co-organisation du premier sommet en ligne francophone sur le thème des TCA et de la boulimie, intitulé « Plein d’amour ». Ce sommet, auquel j’ai participé, est aujourd’hui terminé, mais vous trouverez dans cet article le moyen d’accéder aux vidéos, si vous aussi, vous vous demandez comment sortir de la boulimie.
« Je suis une femme de 45 ans, maman de 5 enfants. La grande quête de ma vie, c’est : comment guérir des TCA. Il y a des gens pour lesquels ce sont vraiment des maladies chroniques. »
« Ma boulimie s’est déclenchée quand j’avais 15 ans. Depuis, c’est à la fois ma pire ennemie et ma meilleure amie. »
« Le corps, dans toute son intelligence, a trouvé ça comme moyen de survie. »
« Quand on est plutôt dans la partie boulimie et hyperphagie, il y a une pulsion de vie. Le corps veut vivre. »
« Quand on est dans la galère avec la boulimie, on croit que ce sera toujours comme ça, mais non, en fait ! »
« J’ose dire, maintenant, que oui, ce sont des maladies dont on peut guérir. »
La co-organisation du premier sommet en ligne sur les TCA
– Bonjour Éliette !
– Bonjour Anne !
– Je suis vraiment ravie de t’accueillir dans ce nouvel épisode de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir », pour que tu partages avec nous ton parcours dans ta relation avec la nourriture. Je vais peut-être commencer par raconter la façon dont nous nous sommes rencontrées, il y a quelques mois à présent. Au moment où nous enregistrons cet épisode, nous sommes fin janvier 2022. Tu m’as contactée pour m’inviter à participer à un sommet que tu as organisé autour des troubles du comportement alimentaire et plus spécifiquement de la boulimie. J’ai été très honorée que tu penses à moi, que tu me contactes et de pouvoir y participer. Avant que tu ne nous en dises un peu plus sur ce sommet, pourrais-tu te présenter à nous ?
– Je suis une femme de 45 ans, maman de 5 enfants. J’habite Dijon et, effectivement, j’ai organisé ce sommet, terminé à l’heure où cet article paraît. C’est le premier sommet francophone sur les troubles du comportement alimentaire et je l’ai organisé parce que c’est la grande quête de ma vie que de trouver comment sortir de la boulimie – ou des autres TCA. Il y a des gens pour lesquels ce sont vraiment des maladies chroniques.
– Tu as raison de le préciser : c’est le premier sommet francophone ! Il y a vraiment une idée précurseur dans le pays, pour en parler plus, communiquer, diffuser plus de l’information. Il s’agit aussi, à l’instar de mon podcast, d’essayer que les personnes se sentent entourée, comprises et non plus seules dans ce qu’elles traversent.
– C’est ça ! En ce qui me concerne, quand la boulimie est arrivée, j’avais 15 ans, donc c’était en 1991. Autant vous dire qu’en 1991, c’était hyper mal pris en charge. En tout cas, je ne suis pas tombée sur des gens compétents et, sans citer de nom, même les gens compétents, ou du moins reconnus dans ce domaine, n’ont eu aucun impact sur ma situation à moi. Il y a une grosse errance thérapeutique sur ce sujet. Ce n’est pas que je n’étais pas diagnostiquée, c’est qu’il n’y avait rien de proposé. Pour le sommet, mon projet de cœur, c’était une envie, comme tu le fais avec ton podcast, de mettre la lumière sur ces maladies car elles sont vécues dans la honte et cachées. Parfois même, elles engendrent le rejet des familles. Il y a beaucoup de souffrances là-dedans et je voulais en parler car il y a plein d’endroits où personne ne les évoque. Je voulais donc communiquer dessus pour montrer que nous ne sommes pas folles et pas seules non plus car il y a plus de 15 millions de personnes en France souffrant de TCA.
– Oui, ce n’est pas pour rien.
– Aujourd’hui, il existe des tas de prises en charge possibles, par des personnes différentes, car ce n’est pas tellement la technique qui va vous faire sortir de la boulimie ou non, vous soigner de votre TCA quel qu’il soit ou non… Ce sont plutôt les personnes avec lesquelles vous interagirez. Je voulais vraiment informer là-dessus et, encore une fois, montrer que nous ne sommes pas seules et qu’il y a des endroits pour échanger. De la même façon qu’il existe les alcooliques anonymes, moi, les « boulimiques anonymes », ça me faisait rêver. 😉 Je crois d’ailleurs qu’il existe quelques groupes comme ça.
– Il me semble aussi.
– En tout cas, il n’y a rien eu, à mon époque, qui m’a attirée et c’est aussi pour ça que je voulais mettre la lumière sur ces maladies… et mettre un peu de légèreté dessus aussi. Je pense que nous pouvons parler de sujets profonds et graves sans être obligés d’en parler avec des larmes dans la voix.
– Pour poursuivre sur le thème du sommet : à l’heure où cet article paraît, il a déjà eu lieu. Par contre, vous avez toujours la possibilité d’en obtenir les vidéos. N’est-ce pas ?
– Oui, comme tous les sommets en ligne, il y a la possibilité d’acheter les vidéos, avec un pack de 50 €, incluant les 30 vidéos, avec les 30 intervenants. Ce sont des interviews qui durent à peu près une demi-heure, donc ça fait beaucoup à regarder. Bien sûr, vous pouvez ne piocher que ce qui vous intéresse.
– Ce seront de sacrées ressources, pour les personnes qui achèteront le pack. Merci encore, Éliette, pour cette initiative… qui se renouvellera peut-être dans les prochaines années ?
– Je pense que ça se renouvellera oui, car il y a vraiment une énorme demande. Cette fois-ci, j’ai rassemblé 30 personnes qui me semblaient indispensables à citer dans ce domaine. Pour la suite, je pense que d’autres sommets se succéderont. Il y en aura déjà un par an avec le même système, et sans doute d’autres avec des spécificités, ciblés sur un sujet précis.
L’origine de la chute dans ce trouble du comportement alimentaire
– OK. Tu as commencé à évoquer ton histoire, avec l’arrivée de la boulimie dans ta vie. Est-ce que tu serais d’accord pour partager chronologiquement ce que tu as vécu, en partant du moment où ton alimentation s’est troublée ?
– Je ne pourrais pas dire que j’avais une alimentation troublée étant petite. Les seules fois où j’ai vomi, c’était parce que j’avais réellement une gastro ou à cause de l’appendicite. Je n’avais pas de relation bizarre à la nourriture, à part le fait que les repas étaient stressants. Ça s’est déclenché quand j’avais 15 ans, après un énième déménagement et l’arrivée d’une nouvelle petite sœur. Mes parents étaient vraiment fatigués, l’un étant en dépression et l’autre enceinte. 😉 Ça faisait trop à gérer pour moi. La boulimie est donc arrivée et depuis, c’est ma pire ennemie et ma meilleure amie.
– Les 2 à fois ?
– Oui. Elle fut ma pire ennemie pendant très longtemps, car je n’avais pas vu ce qu’elle m’apportait. Ces 2 dernières années, j’ai vraiment travaillé dessus et je suis fixé comme objectif clair de sortir de la boulimie. J’accompagne aussi mes clientes à en guérir. Tout cela m’a apporté un nouvel éclairage dessus. L’anorexie, l’hyperphagie et les autres TCA sont juste des moyens utilisés par le corps. Le corps, dans toute son intelligence, a trouvé ça comme moyen de survie, comme bouée de sauvetage.
– Vous êtes plusieurs à avoir témoigné de cela dans mon podcast. Tu n’es pas la seule à évoquer cette ressource que la personne trouve pour traverser ce qui est difficile à vivre.
– C’est aussi un refuge, un endroit chaleureux. Ça n’est pas toujours l’impact voulu, mais mine de rien, ça permet de traverser des moments de galère et ça maintient sur terre. Je pense que lorsque nous tombons dans la boulimie et l’hyperphagie, c’est que nous avons une réelle envie de vivre, plus grande que tout. Sinon, nous aurions une autre pathologie. Ça correspond à un corps qui dit qu’il veut être là et qu’il veut être écouté. Seulement, nous ne savons pas décrypter ce message, comme si notre corps parlait un langage inconnu.
– Il a besoin d’y mettre toute son énergie, tous les moyens possibles pour se faire entendre, c’est aussi ça que tu veux dire ? Ça pourrait se passer d’autres façons, mais pour certains, c’est ainsi que ça se passe. Ce que tu évoques aussi, c’est qu’il s’agit de quelque chose de l’ordre la pulsion de vie.
– Exactement. L’anorexie relève moins de la pulsion de vie, c’est plutôt du contrôle. Mais quand nous souffrons de boulimie et/ou d’hyperphagie, il y a une pulsion de vie. Le corps veut vivre et demande qu’on arrête de l’oublier.
– Tu disais plus haut que, depuis quelques années, tu as cette vision de cette maladie comme étant à la fois une ennemie et une amie.
– Oui. J’ai eu des épisodes où je passais mes journées à manger, vomir, manger, vomir, etc. Depuis que je suis maman, la boulimie a une autre place car je suis occupée ailleurs. Ma vie a quand même été un peu plus douce, on va dire, à partir de ce moment-là. La boulimie est restée, mais à des moments ciblés. C’était plutôt quand j’avais le temps et c’étaient des moments doudou. C’étaient mes moments pour moi, mes moments câlins et avec des aliments que je choisissais et non plus tous les placards. Maintenant, ça concerne plutôt les chocolats que j’aime, mes paquets de glace préférés, etc. Ce ne sont plus des pulsions pendant lesquelles je prends tout ce qui me tombe sous la main. Ce sont des aliments que je choisis et que je mange au moment où je l’ai choisi. C’est donc un peu plus vivable même si ça reste un peu encombrant. Pour en avoir beaucoup discuté avec mes clientes et lors du sommet, je pense que c’est une problématique évolutive. Quand nous sommes dans la galère, nous avons l’impression que ce sera toujours comme ça, que nous ne pourrons jamais sortir de la boulimie, ou seulement l’éloigner, mais non, en fait. Ça bouge, ça bouge pendant la grossesse, ça bouge pendant l’allaitement, ça bouge quand nous sommes stabilisées ou non par un mariage ou pas, etc. Il y a de nombreux événements qui peuvent venir interagir avec les TCA !
L’importance de venir soigner les causes de la boulimie
– En t’écoutant, je comprends que c’est un peu comme une compagne qui est présente depuis toutes ces années, avec une présence plus ou moins toxique. Parfois, elle a une présence réconfortante, d’autres fois c’est une bouée de sauvetage, parfois encore elle encombre. Ça fait comme des vagues au fil des mouvements de vie, des rencontres, de la façon dont la vie est pleine ou pas à un moment donné. En t’écoutant, je n’entends pas forcément l’idée de sortir de la boulimie, de t’en débarrasser ni de la voir disparaître complètement… Qu’est-ce que tu penses de ça ?
– C’est intéressant que tu le soulignes ! Moi, je vois ça comme une quête. Tant que les symptômes, c’est-à-dire la nourriture, qui n’est que la partie visible, sont là, c’est qu’il y a quelque chose de plus profond à travailler. Je pense que je suis née pour travailler là-dedans et, comme je viens de le dire, je me suis toujours dit que tant que les symptômes sont présents, c’est qu’il reste quelque chose. Au fur et à mesure des années, car ça fait quand même 30 ans que ça dure, j’ai découvert tellement de choses ! C’est comme si, couche après couche, il me restait encore des parties de moi sur lesquelles travailler, mais elles sont de plus en plus profondes. Cela me donne une palette pour accompagner mes clientes, car je pense que les personnes pour lesquelles c’est aussi profond que moi ne sont pas si nombreuses. Je ne parle pas là des niveaux de souffrance différents, je dis que ça ne s’accroche pas toujours aux mêmes endroits. Pour certaines personnes, un travail énergétique suffira. Pour d’autres, il faudra une approche par le système nerveux. Toutes, nous avançons en enlevant des couches une par une. Moi, je serais bien pour une personne à un moment donné, mais elle aura peut-être été suivie par d’autres personnes avant et elle continuera peut-être après. Nous ne faisons que passer sur la route des gens. Moi, je peux passer sur la route de plein de gens car j’ai plein d’approches différentes, après tout ce que j’ai pu vivre depuis 30 ans, de par mon vécu, ainsi qu’en formation de techniques différentes. Toutes ces approches me permettent de pouvoir accéder à la porte nécessaire pour la personne que j’ai en face de moi. À côté de ça, tu as raison en disant que, par moments, je ne veux pas m’en séparer, car j’aurai alors l’impression que ma quête s’arrêterai. Je suis justement en train de changer ça. Je réalise que ma quête pourrait continuer même si les symptômes n’étaient plus là. Mais c’est encore en travail !
– D’accord. J’entends que, pour toi, c’est une autre étape que de te dire ça. Je suis marquée par cette image des différentes portes d’entrée à utiliser en fonction de la couche à éplucher. Ce, afin de creuser de plus en plus profondément, ou en tout cas à d’autres endroits, selon les besoins – sans notion de hiérarchie de souffrance ou quoi que ce soit, il ne s’agit pas de ça. C’est comme une clé qui arrive au bon moment, au bon endroit, pour faire avancer, faire cheminer. Je retiens aussi cette image de la quête que tu donnes ici. Ce n’est pas rien, comme image !
– Ça, pour moi, c’est très clair depuis… pas depuis mes 15 ans, mais depuis longtemps. J’ai fait les groupes de Catherine Hervé à 17 ans et pas mal d’autres choses. À 20 ans, j’ai commencé à me former professionnellement avec la PNL. Vraiment, à chaque fois, je me suis dit « Je me forme et je teste sur moi ce que je pourrais utiliser sur d’autres personnes. ». Je me suis toujours formée pour moi et pour les autres. Il y a toujours eu les 2 niveaux. Pour moi seule, ça ne m’aurait pas suffi. Rien que pour les autres, je me serais ennuyée. Du coup, depuis que j’ai 20 ans, je me suis toujours formée pour les 2 facettes, pour apprendre pour moi-même afin de pouvoir transmettre plus tard.
– Oui, je ressens cette valeur de transmission, comme un passage de flambeau. Ça m’évoque une sorte de chaîne humaine, basée sur l’idée de traverser d’abord soi-même ce que nous avons à traverser, avant de transmettre. C’est une quête à la fois personnelle et beaucoup plus large.
– C’est ça. Du coup, tout prend forme avec ce sommet. Je n’ai pas pu inclure toutes les personnes que j’ai croisées, mais je suis vraiment allée chercher les personnes dont j’avais envie. Nous sommes 3 à l’organiser, mais c’est un premier bel aboutissement de ma quête, qui continuera avec d’autres aventures. Ça m’a permis de beaucoup apprendre sur moi-même et sur plein de sujets. Ma quête est valable ! 😉
Les moments clé dans ma relation avec cette maladie
– Je crois que tu peux le dire oui ! Est-ce que tu serais d’accord pour partager avec nous les moments clé, s’il y en a, de cette quête ? Quels furent les prises de conscience les plus importantes et les événements qui t’ont le plus fait avancer ?
– Il y a pas mal de moments clé. Certains furent douloureux, mais pour du bien derrière. D’autres ne le sont pas spécialement. Je pourrais commencer par dire que je suis partie aux États-Unis à 16 ans, pour un an. Là-bas, j’ai naturellement réussi à sortir de la boulimie pendant quelques mois, car j’étais dans une famille au sein de laquelle nous nous amusions beaucoup. Il y avait quelque chose de fun, de léger, et ça s’est arrêté. J’ai alors vu que ça pouvait se stopper.
– Ça ne devait pas être rien, de constater ça !
– Oui, c’était énorme ! Mais, quand tu pars un an aux États-Unis, ça veut dire que tu dois rentrer chez toi après. Là, ce fut l’horreur. Je suis retournée dans ma famille et rien n’avait changé, dans le sens où le système de vie était le même qu’à mon départ. Je suis donc retombée dans la boulimie. Ensuite, pour résumer, j’ai été mise à la porte par mes parents, mais avec l’idée que ça ne servait à rien de rester chez eux car c’était trop douloureux pour moi et pour eux. Ça, honnêtement, je l’ai vécu en ressentant beaucoup d’injustice et j’ai bien mis 15 ans à le digérer. Mais c’était une bonne chose au final. D’abord, je trouve bon que ma mère ait eu le courage de dire ce qu’elle avait à dire et de protéger mes autres sœurs et elle-même. Moi, ça m’a obligée à me prendre en main et à organiser ma vie à moi. Ce fut donc très très douloureux, mais assez bénéfique. Après, comme moment clé, il y a eu mon mariage et ce moment où mon père est venu à la fin, pour me dire : « Écoute Éliette, prends soin de toi. Occupe-toi de sortir de la boulimie pour ne pas la transmettre à ta famille. ». Je n’ai plus les mots exacts en tête, mais il m’a encouragée à régler ça pour ne pas transmettre les problèmes familiaux, on va dire. J’ai trouvé ça très émouvant. Je n’en ai pas fait grand-chose sur l’instant, car je ne savais pas comment faire. Mais ce fut un moment où je me suis dit : « Oui, je n’arrive pas à le faire pour moi, mais pour mes futurs enfants, je vais faire quelque chose. ».
– D’accord. On retrouve cette idée de ne pas le faire que pour toi.
– Et oui, car au travers des TCA, tu n’es rien, tu n’es pas important, tu ne vaux pas le coup. En tout cas, nous sommes très nombreuses à le vivre ainsi. Pour moi, ça ne vaut pas forcément le coup de se battre et de chercher des solutions. Mais, pour les futurs enfants que je voulais, pour la famille nombreuse que je souhaitais et que j’ai eu, ça valait le coup.
– D’ailleurs, vous êtes plusieurs à partager ce moment de déclic, à la naissance des enfants, avec cette envie de non-transmission. Par contre, cela signifie que ta maladie n’était pas cachée ? Tes parents étaient au courant, ta famille connaissait cela ?
– Oui, mes parents étaient au courant, tout le monde était au courant. Par contre, c’était très mal vécu et nous n’en parlions pas. Il y avait des incompréhensions monumentales et mes parents étaient en souffrance par rapport à ça. De plus, à l’époque, un coup nous étions allés chez un psy et on nous a dit que c’était la faute de mon père. Mais sans mettre d’explication, on nous a juste dit que « la boulimie, c’est la faute du Papa ». Puis, nous sommes allés consulter une autre psy et là on nous a dit que « ah non, la boulimie c’est la faute de la maman ». Bref, ils en ont pris plein la figure aussi, ne sachant pas comment jongler avec ça. En plus, ils avaient 3 autres enfants ! Ça faisait beaucoup de stress. Pendant très longtemps, j’ai cru que ma famille était sans dessus-dessous à cause de moi et de ma boulimie, jusqu’à ce que je comprenne que non : ma famille était sans dessous-dessus et moi, j’ai exprimé ça avec la boulimie. Ce n’est pas du tout la même chose !
– Et non, ça n’a rien à voir ! Tu en étais à ce déclic que tu as eu lors de ton mariage grâce au message de ton père. Même si tu n’en as pas forcément fait quelque chose sur le coup, ça a semé des graines pour la suite. Y a-t-il d’autres moments que tu souhaiterais partager avec nous ?
La prise de décision de sortir de la boulimie
– Un moment très très fort a eu lieu quand je faisais du chamanisme. J’ai voyagé au Pérou pour participer à des cérémonies, avec l’ayahuasca, un ensemble de plantes de là-bas. La première cérémonie que nous avons faite fut un peu violente pour moi, mais elle a fait voler en éclats mes barrières. Cette carapace bien costaud que je m’étais érigée autour de moi a explosé à ce moment-là. Ce ne fut pas agréable, bien sûr ! Il est possible de le faire d’une manière beaucoup plus douce. 😉 Mais pour moi, je pense qu’il fallait un événement très fort pour faire bouger les lignes. Ça, ce fut vraiment un moment fort. Ensuite, je peux citer ma décision, en janvier 2020, de me mettre vraiment comme objectif que cette année soit la dernière année. Je suis encore en cours de travail, mais n’empêche que ça m’a fait avancer et qu’il y a vraiment une ouverture qui s’est faite dans ma tête. J’ai décidé, consciemment, de prendre en charge cette partie-là de moi. Il ne s’agissait pas de m’occuper de mal-être ou autre. Non, il s’agissait de prendre en charge spécifiquement la possibilité de sortir de la boulimie. À mettre le focus dessus, ça m’a notamment amenée à co-organiser le sommet. Me dire clairement que j’allai travailler sur la boulimie, pour lui dire « merci, au revoir », comme j’ai appelé mon programme d’accompagnement, ça m’a permis d’y faire face, d’en parler et de ne plus la garder cacher. Ça y est, aujourd’hui nous en parlons avec ma famille. Ce fut le dernier gros événement sur mon chemin.
– À travers tes mots, j’entends vraiment la prise de décision à ce moment-là. Tu saurais dire d’où elle est venue ?
– Mon couple a explosé en 2018, quand mon mari a décidé de partir. Je suis restée avec les enfants. J’étais femme au foyer pendant longtemps, donc il a fallu que je mette à travailler, et beaucoup, car c’était un divorce fâcheux. À force de ramer, ramer, ramer, je suis arrivée au bout du bout de ma capacité à supporter les trucs qui me tombaient dessus. En janvier 2020, j’ai donc décidé que ça suffisait, que j’avais suffisamment supporté, suffisamment tenu. L’image que j’ai en tête, c’est celle d’un enfant qui tombe du tire-fesse et qui tient, qui tient, alors qu’il est traîné par terre. Les parents lui crient alors : « Lâche ! Lâche ! ». C’est ce que je me suis dit à moi-même : « lâche », mais dans le bon sens du terme.
– Elle est forte cette image ! Je me permets de la garder et je pense que je m’en servirai car je la trouve extrêmement parlante.
– Alors que si nous lâchons, nous redescendons et nous recommençons, c’est beaucoup plus cool que de tenir à bout de bras en étant traîné avec toute la neige qui nous arrive dessus…
Le mot de la fin pour tous ceux qui souffrent d’un TCA
– Mais oui ! Je vois que nous arrivons bientôt à la fin de cet article, même si, comme à chaque fois, il y aurait encore tant à dire et à partager. Si tu devais revenir sur une dernière chose importante, à ne vraiment pas oublier selon toi, un message que tu souhaites transmettre plus que tout le reste, etc., qu’est-ce que ce serait ?
– Ce qui me vient en premier, c’est d’aborder les TCA comme des maladies chroniques. Ce sont des maladies au long cours, même si je sais maintenant que nous pouvons vraiment en guérir. Malgré tout, je conseille d’aborder cela comme une maladie chronique et d’apprendre à vivre avec. Vous pouvez être maman et avoir des enfants, vous pouvez en parler avec votre entourage… Si vous vivez avec des gens avec lesquels vous ne pouvez pas en parler, c’est qu’il y a un blocage quelque part. Dans ce cas, je vous conseille de trouver des lieux, des endroits, des personnes avec lesquelles vous pouvez échanger. Enfin, j’ose dire, aujourd’hui, qu’il est possible de complètement sortir de la boulimie, que ce sont des maladies dont nous pouvons guérir.
– Pourquoi tu le formules ainsi, « j’ose dire aujourd’hui » ?
– Parce que, pendant longtemps, mon discours fut de conseiller de garder une vigilance à vie sur ce sujet. Si moi je ne guérissais pas, il y avait sans doute plein d’autres gens qui n’en guérissaient pas non plus. Aujourd’hui, j’ose dire que oui, nous pouvons en guérir, parce que ça dépend des endroits que nous guérissons à l’intérieur de nous. La guérison se fait à plein de niveaux. S’il reste seulement les crises en elles-mêmes, c’est OK. Si, à l’intérieur, il y a des endroits guéris mais qu’il en reste d’autres qui sont encore meurtris, c’est OK, à partir du moment où nous les connaissons et que nous arrivons à gérer cela, à le caler dans la vie quotidienne. J’ose dire parce que j’y crois enfin. Tu vois ?
– Oui et d’ailleurs, c’est aujourd’hui une idée reçue, mais effectivement, j’ai longtemps entendu dire que la boulimie comme l’anorexie étaient des maladies dont nous ne pouvons pas guérir. D’ailleurs, il y a des personnes qui vivent ça depuis si longtemps que nous pouvons parler de chronicisation. Elles le pensent vraiment, et c’est ce qu’elles vivent d’ailleurs, le fait qu’elles ne guériront jamais. Du coup, c’est important, ce que tu dis là, le fait qu’aujourd’hui, tu peux y croire, tu peux le vivre.
– C’est assez récent. L’intérêt du sommet, alors que c’est un point que je n’avais pas prévu, c’est aussi que ça relie, au même endroit, les personnes qui travaillent sur le TCA et celles qui en souffrent. C’est comme si j’avais enfin plongé dans ce milieu, avec plein de témoignages, comme tu le fais, si bien que j’en croise de plus en plus, des personnes qui ont guéri. Avant, ce n’était pas entendable. Même si mes clients à moi réalisaient de belles avancées, mon état d’esprit restait « les autres oui, mais moi non ». Le sommet m’a permis de me dire que « les autres oui, mais moi oui aussi ». Il y a quelque chose qui s’est ouvert dans mon cerveau. C’est pour ça que j’ose le dire maintenant : parce qu’avant, je prenais des pincettes.
– Oui, je comprends. Tu ne pouvais pas y croire, ou en tout cas pas pour toi. C’était peut-être possible pour les autres, et encore il fallait avoir une vigilance, comme si c’était quelque chose de tapi dans l’ombre, pouvant ressurgir à n’importe quel moment. Désormais, quelque chose s’ouvre de plus en plus à l’intérieur et tu peux dire que, au-delà de la rémission, si nous pouvons faire ce parallèle, il peut y avoir une guérison. C’est un sacré message d’espoir, ça !
– N’est-ce pas ? 😉
– C’est super important à transmettre, car, encore une fois, cette croyance que ce n’est pas possible existe. Merci d’avoir partagé cela avec nous, Éliette !
– Avec plaisir ! Je me le dis aussi pour moi, pour vraiment l’ancrer.
Réflexions sur la possibilité de sortir de la boulimie définitivement
– J’ai une dernière question, avant que nous ne nous quittions, même s’il n’y a peut-être pas de réponse… Comment savoir que c’est une guérison, si notre état d’esprit nous fait aborder ça comme une rémission ? En tant que fumeur, par exemple, nous pouvons nous dire que nous refumerons peut-être un jour… Si je puis me permettre ce parallèle un peu hasardeux. Comment pouvons-nous dire que nous sommes guéris de notre TCA ? Comment pouvons-nous le sentir ? Ou bien, n’y a-t-il que l’avenir qui puisse nous le dire ? Qu’en penses-tu ?
– Je n’aurais qu’un petit bout de réponse, puisque ce n’est pas encore mon cas. Je pense que la grande différence vient de la personnalisation. Avant, je disais « je suis boulimique », jusqu’au moment où j’ai dit « j’ai la boulimie ». Déjà, j’avais mis une distance avec elle, même si elle est encore là. Je suis encore une personnalité boulimique, clairement. Je me sens encore boulimique. Alors que les personnes qui ont guéri ne se sentent plus boulimiques. Elles disent qu’elles ne se reconnaissent plus dans cette personnalité qu’elles avaient endossée pendant un moment. Elles disent « ce n’est plus moi ». Ça peut être un bout de réponse, je pense : quand on ne se sent plus être cette personne-là, je pense que la guérison est stable. C’est d’ailleurs ce que disent ces personnes : elles n’ont plus peur de retomber dedans, car elles sont devenues quelqu’un de différent.
– L’image qui me vient, c’est celle de la mue du serpent qui va abandonner sa peau. Il peut y avoir, dans la vie, un moment où nous avons eu besoin de cette peau pour traverser une période plus ou moins longue. Puis, arrive un temps où nous pouvons la laisser, et lui dire « merci, au revoir », comme tu dis.
– C’est ça. Je rajoute que je pense important de ne pas s’en vouloir. Par exemple, si pour moi ça prend 30 ans, c’est OK. Pour d’autres, ça ne prendra que 2 ans, ou que 6 mois. Il n’y a pas de comparaison à faire, comme pour le physique. Il n’y a pas lieu de penser que « elle, elle y arrive mieux que moi »… Non, c’est différent pour chacun et c’est parfait ainsi pour chacun, parce que ça veut dire qu’il y a des choses à vivre avec ça, à régler avec ça. Nous avons chacun notre chemin et il n’y a pas lieu de se fustiger plus que nous ne le faisons déjà.
– Mais oui ! Les cheminements sont tellement différents les uns des autres, tant dans la durée que dans la forme ou dans les vagues, les reculades parfois, les avancées, ainsi que dans les différentes couches que tu évoquais tout à l’heure, à creuser, enlever, décortiquer, etc.
– Selon les croyances que nous avons, nous pouvons aussi nous dire que ce n’est qu’une vie parmi celle que nous menons. À l’échelle de toutes les vies que nous aurons, ce n’est rien du tout, que ça dure 1 an, 10 ans, 30 ans… Il faut voir beaucoup plus grand, dézoomer et regarder ça de plus loin.
– Oui. Je te remercie beaucoup, Éliette, pour cet échange que nous avons eu et pour tous ces partages que tu nous as apportés, tant sur le plan personnel que professionnel.
– Merci à toi aussi Anne. Je trouve toujours intéressant de témoigner car chacun amène un angle différent et je pense que ce que j’ai dit aujourd’hui, je ne l’avais pas encore dit ailleurs, ou en tout cas pas sous cette forme-là.
– Je t’en prie ! Et à très bientôt pour un nouveau sommet !
Si vous souhaitez échanger avec Éliette ou découvrir son activité autour des TCA et son travail pour sortir de la boulimie, vous pouvez la retrouver sur son site internet ! Quant à moi, je vous retrouve bientôt pour un prochain article et reste à votre disposition sur mon site et sur mon compte Instagram si vous désirez vous réconcilier avec la nourriture.