Anorexie, en sortir en douceur | Le témoignage de Caroline

Bienvenue dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir ». Aujourd’hui, vous allez découvrir le parcours de Caroline. Grâce à son témoignage, vous réaliserez que l’on peut souffrir d’anorexie sans pour autant être dans un sous-poids alertant. Pour elle, tout a commencé à l’âge de 15 ans lorsqu’elle a souhaité perdre 2 ou 3 kilos pour mieux s’intégrer aux jeunes de son âge. Recevant des commentaires positifs sur son apparence, elle s’est sentie valorisée et s’est dit qu’elle ne devait surtout pas reprendre le poids perdu, mais son poids a continué à chuter. Ses parents s’en sont vite rendu compte et l’ont emmenée consulter un spécialiste qui a diagnostiqué l’anorexie et lui a demandé de reprendre un peu de poids pour ne pas être hospitalisée. Caroline a alors décidé de contrôler son alimentation, en reprenant les kilos demandés, puis en stabilisant son poids grâce au comptage de calories. Pour elle, tout allait bien, tout était sous contrôle. Cela a duré plus de 10 ans, jusqu’à la naissance de sa première fille. Je vous laisse découvrir son parcours de guérison et l’histoire de son compte Instagram “appetitlibre”.

« Je suis venue ici pour parler de mon rapport à l’alimentation qui me suit depuis l’âge de mes 15 ans, à peu près. »

« Mes parents se sont très vite aperçus du fait que je perdais du poids. Mais pour moi, je ne faisais pas d’anorexie. Ce n’était pas possible. »

« C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Ouai tu vas remanger, mais tu vas quand même contrôler. ». »

« Moi, j’ai quand même 15 ans de recul sur le comptage de calories. Vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez. Ce n’est pas une vie, en fait ! »

« Je me suis dit : « Tant qu’à faire, sautons des repas ! », donc, j’avais inventé le jeûne intermittent avant l’heure. »

« Mon but n’était pas de maigrir. Mon but, c’était juste de ne pas grossir. »

« Ça a participé au cheminement, de me dire que, maintenant que j’avais un enfant, que j’avais ce petit être, je ne voulais pas qu’elle ait une maman malade. C’est là que j’ai accepté de me dire que je ne m’en sortirais pas seule. »

« La société ne changera pas du jour au lendemain, mais on peut, petites briques par petites briques, essayer de véhiculer des messages. »

Les 2 ou 3 kilos à perdre pour s’intégrer

  • Bonjour Caroline. Je suis vraiment ravie de te recevoir dans ce nouvel épisode de mon podcast « La pleine conscience du pouvoir » et je suis aussi ravie que tu m’accueilles chez toi. Je te remercie vraiment ! Je suis arrivé avec « mon fourbi » comme je t’ai dit : mes micros, mon sac à dos, etc. Nous nous sommes installés, tranquillement, pour échanger ensemble. Vraiment merci de m’ouvrir ta porte et de m’accueillir dans ton « chez toi » pour que nous puissions avoir cet entretien et que tu nous apportes ton témoignage. C’est la première fois que nous nous voyons de visu, mais nous nous sommes rencontrés via Instagram et via ton compte « appetitlibre », dont tu nous parleras, je l’espère en tout cas, tout au long de cet épisode. 😉 Je le redis à nouveau : je trouve qu’Instagram est une super façon de faire des rencontres, de créer du lien et d’entrer en contact avec de nouvelles personnes. Je ne sais pas ce que tu en penses, si toi aussi tu as pu faire d’autres rencontres comme ça ? Moi, en tout cas, j’en suis assez émerveillée. Est-ce que tu veux bien te présenter à nous, Caroline ?
  • Oui ! Avant ça : merci, Anne, d’avoir fait le déplacement jusque chez moi. Je m’appelle Caroline, j’ai 35 ans et j’habite à Paris. Mon métier, c’est médecin anatomopathologiste. C’est un bien grand mot pour dire que je regarde des prélèvements au microscope pour faire des diagnostics. Je suis venue ici pour parler de mon rapport troublé à l’alimentation qui me suit depuis l’âge de 15 ans, à peu près. C’est l’âge où j’ai commencé à vouloir contrôler ce que je mangeais dans le but de perdre un peu de poids.
  • D’accord, ça a commencé comme ça, à 15 ans. Tu as souvenir de comment ça s’était construit, cette envie de perdre du poids ?
  • C’est assez flou, mais ce dont je me rappelle, c’est que je voulais plaire à un garçon. Il est parti dans un autre lycée et à ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, j’ai décidé qu’il fallait que je perde 2 ou 3 kilos. Je savais que je n’avais pas grand-chose à perdre, que ce serait rapidement réglé et qu’après on n’en parlerait plus, si je puis dire. Pourtant, ce garçon était sorti de ma vie, à ce moment-là. Je pense que son départ m’avait fait beaucoup de peine. Il ne s’est rien passé, ça a juste été un garçon qui me plaisait, mais nous n’avions jamais eu de relation. Quoiqu’il en soit, le fait est que c’est comme ça que je me suis dit que perdre du poids me permettrait peut-être d’être plus séduisante, plus intégrée aux autres.
  • Tu t’étais construit une représentation de toi qui serait meilleure, qui te plairait plus, sans qu’il y ait eu d’injonctions extérieures, de remarques ou demandes de ce genre. N’est-ce pas ?
  • C’est ça. Ceci étant, en ce qui concerne le fait que c’est vers la perte de poids que je me suis tournée, je pense clairement que c’est à cause de ce que nous renvoie la société. C’était en 2000 et à cette époque-là, les filles que nous voyions dans les médias étaient encore plus minces, voire maigres, que maintenant.
  • Oui, c’est exact.
  • Moi, par rapport à ces filles-là, j’étais grosse. Factuellement je n’étais pas grosse, mais…
  • Je vois. Comment ça s’est poursuivi alors ? Tu t’es simplement dit « je vais perdre 2 ou 3 kilos, ça va être facile, on y va », c’est cela ?
  • Je ne me suis pas dit « juste 2 ou 3 kilos ». Je me suis aussi dit qu’il fallait changer toute la garde-robe, changer de coiffure, mettre du maquillage, etc. C’était une refonte totale du look. Je suis passée du stade de l’ado un peu garçon manqué à la fille qui faisait attention à ce qu’elle portait comme habits et achetait du maquillage, etc. J’ai eu des commentaires assez positifs et c’était concomitant avec ma petite perte de poids.
  • D’accord.
  • Par conséquent, ça m’a un peu donné un sentiment de cause à effet. J’étais contente de recevoir ces commentaires positifs.
  • Oui, c’était très valorisant, je suppose.

Le début de la spirale pour maintenir son poids

  • Exactement, je me sentais valorisée. Une fois que j’ai atteint cet objectif de perte de 2 ou 3 kilos, je me suis senti déstabilisée. Je me suis dit : « Tu as quand même changé ton alimentation, comment tu vas faire maintenant ? Si tu remanges comme avant, tu vas revenir à ton ancien poids. »
  • Et oui…
  • C’est là que je me suis dit : « Bon… Il va falloir faire attention tout le temps. ».
  • Tu t’es retrouvée coincée.
  • Exactement, j’étais coincée. J’ai continué à contrôler mon alimentation, mais ça a dérapé parce que je continuais à perdre du poids. Je ne savais plus comment manger, en fait. C’est hyper dur de se stabiliser à un poids, quand ce n’est pas le sien.
  • Oui, parce qu’avec le recul, tu réalises que tu étais déjà en dessous de ton poids de forme.
  • Tout à fait. J’avais suffisamment contrôlé mon alimentation pour être en dessous de mon poids de forme.
  • Par conséquent, forcément, si tu voulais le conserver, il fallait rester dans ce contrôle. Mais alors, tu perdais encore plus de poids et c’était une spirale.
  • Je pense aussi que ça a commencé à déraper parce que j’ai pris un peu de poids subitement, comme ça peut arriver à 15 ans. Je ne me pesais pas, mais c’est lors d’une visite à la médecine scolaire que j’ai réalisé que j’avais pris un peu de poids. En voyant ça, je me suis dit : « Ah oui, quand même… », alors que je pense que c’était juste l’évolution naturelle de mon poids. Ça aussi, ça a participé au fait que je me suis dit que je devais faire attention.
  • Face à cette prise de poids, comment as-tu réagi ?
  • Je me suis dit, de nouveau : « Je vais contrôler un peu mon alimentation et ça va bien se passer, je vais perdre du poids. ». Ce que j’ai fait en premier, c’était de supprimer le goûter. Je me disais que « en plus, le goûter, c’est pour les enfants ». Au lycée, souvent, on finit à 18 heures, donc l’heure du repas n’est plus si loin que ça, ce qui m’a permis de me dire « c’est bon, tu vas réussir à tenir ». C’est comme ça que ça a commencé. Ensuite, j’ai demandé à ma mère d’aller à la cantine. Je n’avais strictement pas envie d’y aller, mais ça me permettait de cacher à mes parents le fait que j’allai me mettre à moins manger. Du coup, ils ne s’en sont pas rendu compte. Au goûter, ils ne sont pas forcément à côté de moi. Le matin et le soir, je mangeais comme avant. J’ai juste diminué ce que je mangeais à la cantine. Je faisais super gaffe, entre autres en ne finissant pas mon plateau alors que j’en avais envie. Et le goûter, je n’en prenais plus. Ça, ça m’a suffi pour perdre les fameux 2 ou 3 kilos.
  • Pour revenir à ce que tu disais juste avant, il y a une sorte de spirale qui s’est installée : « il faut que je continue à contrôler, sinon je vais reprendre », et donc tu continuais à perdre et à perdre. Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ?

Le comptage de calories comme solution pour contrôler son alimentation

  • Mes parents se sont très vite aperçus du fait que je perdais du poids. Ils avaient l’expérience de ma sœur, qui a fait de l’anorexie aussi. Elle, elle était vraiment descendue très bas. Elle a totalement arrêté de manger et elle a perdu beaucoup de poids. Elle s’est retrouvée à l’hôpital avec une sonde. J’avais déjà vu tout ça. Mais pour moi, ce n’était pas ça que je faisais, c’était juste un régime. J’avais déjà lu les magazines féminins de ma mère à la maison, donc je voyais des articles sur WeightWatchers©, etc. Je voyais bien qu’il y avait des aliments que je pouvais consommer à volonté et d’autres avec lesquels il ne fallait pas abuser. Je pouvais en prendre, mais en faisant attention. Mais mes parents m’ont dit : « Caroline, tu fais de l’anorexie. Nous allons t’emmener consulter le médecin qui a suivi ta sœur. ». Mais pour moi, je ne faisais pas de l’anorexie, ce n’était pas possible. Lui a confirmé que c’était bien de l’anorexie. Cependant, il m’a aussi dit que mon poids n’était pas encore trop critique et que si je reprenais 3 kilos, je ne serais pas hospitalisée. J’avais vu ma sœur avec une sonde, rester des mois à l’hôpital, sans téléphone ni visite. J’avais vu l’enfer que c’était. J’avais été privée de ma sœur pendant presque un an, si bien que j’ai remangé de mon plein gré. Je me suis forcée. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Tu vas remanger, mais tu vas quand même contrôler. » J’ai commencé à compter les points WeightWatchers© en me disant : « C’est bien comme ça, je vais savoir que je mange suffisamment… mais pas trop. ». Puis, je suis passé des points aux calories parce que c’était quand même plus précis. Je me suis dit : « Si tu te mets la barre à 1 900 ou 2 000 calories, c’est parfait. C’est une alimentation pour une femme adulte, ce sera bien. ». J’ai repris ces 3 kilos qu’on me demandait et j’ai réussi à peu près à me stabiliser. Après ça, tout le monde m’a laissée tranquille. J’ai eu un petit suivi avec une psy, mais à laquelle j’ai romancé un peu la situation parce que dans ma tête, pour moi, tout allait bien. Je me disais : « C’est chouette, je compte mes calories. Tout est sous contrôle, je vais faire ça toute ma vie. ». Pour moi, c’était normal.
  • C’était devenu ton mode de vie.
  • C’est même le mode de vie qui, actuellement, est prôné par certaines personnes sur Instagram, YouTube ou autres réseaux. À l’époque, c’était n’était pas du tout le cas. L’état d’esprit était plutôt aux régimes purs et durs. Maintenant, j’ai quand même 15 ans de recul sur ce comptage de calories, et j’ai envie de dire à ceux qui commencent ça que vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez… Ce n’est pas une vie.
  • Mais, à ce moment-là, toi tu te disais : « voilà, j’ai trouvé la solution à mes problèmes ».  
  • S’il y avait eu Instagram, j’aurais pu créer un compte « Compter les calories avec moi » ! 😉 Mais la question ne se posait pas, à l’époque.
  • Pour continuer, tu disais donc que tout le monde te fichait la paix, puisque ton poids était redevenu normal.
  • Oui, d’autant que j’arrivais à avoir une vie sociale correcte. J’arrivais de temps en temps à sortir au resto, à aller manger chez des gens, etc.
  • J’ai l’impression, quand je t’entends, que ça te semblait facile.
  • Oui, ça allait, c’était sous contrôle.
  • Qu’est-ce qu’il s’est passé, après ?
anorexie

Le plongeon dans un contrôle drastique et le passage à un repas unique

  • Et bien, dans la vie, il nous arrive des tas de trucs. 😉 J’ai eu une relation avec un garçon assez longtemps et il me disait tout le temps que je mangeais trop. Il me faisait des remarques de ce style. Lui, il était un peu accro à l’alcool et ça ne se passait pas très bien. Ça m’a fait beaucoup souffrir et quand j’ai pris la décision de le quitter, ça a été très dur. Là, j’ai replongé plus drastiquement dans le contrôle obsessionnel des calories. C’est arrivé à un point où je n’étais plus dans un contrôle de calories « à peu près », mais dans un contrôle au gramme près. Les ingrédients pour lesquels je ne connaissais pas les calories, je ne pouvais pas les manger. Ça m’a complètement fermé la porte des sorties au resto. Il fallait que j’ai ma balance de cuisine en permanence avec moi parce que je contrôlais les portions avec, pour être sûre d’avoir le juste nombre. Avant, je faisais du « à peu près ». Même quand j’allais au restaurant, j’estimais « à peu près ». Mais là, je suis passée dans un contrôle bien plus fort… Tout ça en faisant mes études de médecine. Pendant mes études, j’ai été amené à faire des stages pendant lesquels, parfois, je n’avais pas le temps de manger. Je me suis rendu compte que je pouvais sauter des repas… et que ça se passait bien ! Ça me donnait même de l’énergie. C’est comme ça que je me suis dit : « Tant qu’à faire, sautons des repas ! ».
  • C’est encore plus simple, entre guillemets…
  • Cependant, j’étais quand même en médecine. J’avais conscience que c’est quand même important de manger. J’ai toujours eu cette notion qu’il « ne fallait quand même pas déconner ». J’ai alors eu l’idée de manger un plus gros repas, en une seule prise. Il s’agissait, en gros, de faire une espèce de pseudo crise contrôlée, puisque le reste du temps, je faisais mon jeûne. J’avais inventé le jeûne intermittent avant l’heure ! C’est aussi comme ça que ça a dérapé. Je me suis retrouvé dans un fonctionnement avec non seulement la restriction calorique, mais aussi la restriction horaire. Je me suis dit que si je pouvais le faire une fois, je pouvais le faire 2 fois. C’est comme ça que, dans un second temps, je me suis retrouvé à ne faire plus qu’un seul repas par jour. Je mangeais 2 000 calories lors d’un repas unique.
  • Tu définis ça un peu comme une crise préméditée ou encadrée, finalement.
  • C’est ça. Il n’y avait pas de perte de contrôle, donc pour moi, je n’étais pas boulimique. Je voyais plutôt ça comme une espèce de cheat-meal organisé. En même temps, je ne culpabilisais pas, puisque je n’avais pas mangé de la journée, donc c’était normal, je rattrapais.
  • Ça restait « dans les clous ».
  • De plus, mon but n’était pas de maigrir. Mon but, c’était juste de ne pas grossir. J’avais peur de grossir. Je me pesais tous les jours, mais je me faisais violence pour ne me peser qu’une seule fois par jour. Je savais que si je commençais à me peser 10 fois quotidiennement, ça allait déraper. J’ai une tendance à faire des TOC et je savais que la balance pouvait en devenir un, donc je m’étais dit « évite ».
  • Ça veut dire que tu avais déjà un regard sur ce que tu faisais, qui était très clairvoyant. Tu pouvais te dire : « Non, là, attention, si je rentre dans ce système-là, ça va dégénérer. » et tu gardais le contrôle là-dessus.

Une anorexie peu visible et sans poids dangereusement faible

  • Oui et d’ailleurs au fond de moi-même, je savais que j’étais anorexique. Cependant, nous, ce qu’on nous apprenait en médecine, c’était la triade : anorexie, aménorrhée, amaigrissement. Je savais bien que j’avais les 3. J’étais persuadé que j’avais l’aménorrhée même si j’avais la pilule. Mais du coup, ça cachait un peu. Quand j’avais des entretiens médicaux, la pilule cachait l’aménorrhée. De plus, je n’avais pas le poids d’une anorexique. J’avais un poids bas, oui, mais je n’avais pas non plus un IMC à 14.
  • Tu n’étais pas en danger.
  • J’étais à la limite de la « maigreur », mais pas plus. Du coup, aux médecins, je leur disais : « Je prends la pilule, j’ai des cycles réguliers. ». Ils me répondaient « Avez-vous toujours eu une constitution assez fine ? », je répondais « oui oui » et ça passait. Ainsi, personne ne se rendait compte que ça n’allait pas.
  • Mais il y a une part de toi qui s’en rendait bien compte, de ce qu’il se passait. Tu avais quel âge, donc ? C’était encore pendant tes études, à cette période, donc tu avais la vingtaine, c’est bien ça ?
  • Ça a été crescendo de 20 à 30 ans. Quand j’avais 20 ans, je faisais du comptage de calories à la louche. Puis, ça a dérivé vers le contrôle strict avec la balance de cuisine. Encore après, ça a continué avec le jeûne pour sauter des repas et n’en faire qu’un seul, énorme. Parfois, j’en avais mal au ventre parce que 2 000 calories, ça fait mal au ventre !
  • Oui, c’est beaucoup en une fois ! J’en ai même du mal à me rendre compte. D’ailleurs, tu comptais les calories, mais en choisissant le type d’aliments, ou pas ? Est-ce qu’il y avait ce contrôle-là aussi ?
  • Non, pas trop. Je m’étais dit ce qu’on entend parfois maintenant dans le monde du fitness : « c’est important de se faire plaisir ». Je m’achetais des gâteaux industriels, des plats surgelés… En plus, il y a le nombre de calories écrit dessus. 😉
  • Oui, c’est facile.
  • Par contre, ça m’a ruiné ma vie sociale. Quand on sort avec des gens, souvent, c’est pour boire un verre ou manger un truc. Mettre ça de côté, c’est ça qui me faisait souffrir. Ce n’est pas tellement l’alimentation… Parfois, si j’en avais envie, je pouvais me faire un resto toute seule. Mais ce qui m’a manqué, ce sont tous ces moments de partage, avec les autres.
  • Oui, parce que du coup, tu ne les faisais plus. Tu n’avais plus de vie sociale…
  • Dans les soirées étudiantes, il y a souvent de l’alcool, qui fait tout de suite monter le quota calorique, si bien que je ne pouvais plus rien manger après… C’est d’ailleurs ça qui m’a fait dire que j’en avais marre.

L’envie d’avoir un enfant comme déclencheur de l’envie de vaincre son TCA

  • Cette solitude a été un déclencheur pour commencer à vouloir sortir de tout ça, c’est cela ?
  • Oui, même si ça n’a pas suffi. J’en avais fait trop, je m’étais trop isolée.
  • Oui, parce que si je comprends bien, ça a été crescendo et ça a duré dix ans.
  • J’arrivais à conserver des petits liens sociaux, mais c’était compliqué. J’essayais d’inviter les gens, mais pour aller au musée, au ciné… mais pas au resto.
  • Ni au café, ou autre… Je reste marquée par cette durée de 10 ans. Ça paraît long, 10 ans à contrôler ! Je ne sais pas comment tu vois ça toi, avec le recul ?
  • Oui, c’est long… surtout que ça avait commencé avant et que ça ne s’est pas fini quand j’ai eu 30 ans. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’à 30 ans, j’ai voulu avoir un enfant, avec mon mari. J’ai arrêté la pilule… et comme je m’y attendais, je n’ai pas eu mes règles.
  • Tu le savais au fond de toi, mais là, c’est devenu « noir sur blanc ».
  • Oui, je le savais, que j’étais en incapacité. Je le sentais dans mon corps. Nous avons attendu 2 ans avant d’aller faire une PMA. Ça a marché du premier coup et j’ai eu ma petite fille. Ça, ça a participé au cheminement, de me dire que, maintenant j’avais un enfant, que j’avais ce petit être à m’occuper. Je ne voulais pas qu’elle ait une maman malade. Je ne voulais pas ça. Bien sûr, il y a eu plusieurs éléments qui ont joué. Ça n’a pas été un déclic comme ça, le jour de l’accouchement, je ne me suis pas dit « Ça y est, c’est fini ! ». Je n’avais presque pas pris de poids : j’avais dû prendre 9 kilos en 8 mois. Le jour de l’accouchement, je me suis dit « il va falloir revenir à ta petite routine », parce que je faisais beaucoup de sport, en plus du contrôle. En post-partum, je me suis donc remise à faire du sport et à contrôler. Là, j’ai beaucoup perdu. L’allaitement, ça m’a beaucoup fait perdre de poids. Je n’avais jamais maigri aussi vite de ma vie. Ma fille est née en juin et en décembre, à Noël, j’ai été au poids le plus bas de toute ma vie. Je n’avais jamais été aussi maigre. Un jour, mon père a appelé mon mari dans mon dos et lui a longuement parlé pour lui dire qu’il s’inquiétait, etc. Il voulait savoir si j’allais bien. Là, je me suis dit « Ça ne va plus du tout. Maintenant, tu as une fille, mais tu continues à être obsédée par ton poids, tes calories… ». C’est là que je suis allée consulter une psy et une diététicienne et que j’ai accepté de me dire que je ne m’en sortirais pas seule.
  • D’accord. Cette prise de conscience provient de différentes choses, mais avec au cœur l’arrivée de ta petite fille, le fait que tu ne voulais pas qu’elle grandisse avec une mère malade. Tu mettais ce mot-là, de « maladie » ? 
  • Oui. Juste après le post-partum, je me disais « je vais m’en sortir toute seule ». J’avais déjà l’idée de me faire livrer des repas et de me forcer. Je ne mangeais pas le midi, donc ça m’aurait obligée à avoir un repas tous les midis, pour lequel je ne pourrais pas compter les calories. Je mettais dit que je ferais ça, mais je n’arrivais pas à le mettre en pratique. Il m’a fallu 3 mois de consultation avec la psy et la diététicienne pour mettre cette idée en pratique. Ce sont elles qui m’ont dit : « Mais oui, c’est une bonne idée, faites-le » et qui m’ont encouragée.
  • C’était effectivement une super idée !
  • Quand on peut se le permettre, oui. À posteriori, je me dis que j’ai une chance inouïe de pouvoir me payer ce que je veux, de ne pas être à l’euro près pour manger. 

Les conséquences de l’anorexie sur la santé pendant la grossesse

  • D’ailleurs, je reviens un petit peu en arrière, mais comment as-tu vécu ta grossesse ? Vous êtes plusieurs, à être venues témoigner et à parler d’un déclic autour de la naissance des enfants. Colette en a témoigné, il me semble qu’Émilie aussi.  Il peut vraiment y avoir une prise de conscience, à ce moment-là. Mais avant ça, il y a la grossesse. Comment tu l’avais vécu, toi, cette grossesse avec laquelle tu avais pris le minimum de poids ?
  • Je continuais à contrôler. Je crois que je n’avais même pas augmenté mes apports. Peut-être que j’avais augmenté de 100 ou 200 calories, parce que je m’étais dit « quand même… », mais pas plus. Sinon, ma grossesse s’est à peu près bien passée. J’ai bien vécu le fait que mon ventre s’arrondisse. Il faut savoir que j’ai un complexe sur mon ventre. Ça aussi, ça a participé au déclenchement de ma maladie parce que je le trouvais toujours trop trop gros. Mais là, je me suis dit : « C’est le seul moment dans ta vie où tu peux t’en foutre ! T’attends que ça qu’il soit gros pour qu’on te laisse la place dans les transports en commun et passer la première dans les supermarchés ! ». J’ai super bien vécu le fait d’avoir un gros ventre. Je trouvais ça sympa. Niveau alimentation par contre, je n’arrivais pas à lâcher le contrôle. J’ai même continué à faire de la course à pied. C’était mon sport de prédilection et j’ai continué jusqu’au 5e mois de grossesse. Un matin, je me suis réveillée avec une énième fracture de fatigue. En raison de mon aménorrhée, j’avais développé une ostéoporose. Je me faisais des fractures sans traumatisme. On m’a expliqué que : « Vous êtes enceinte, donc votre bébé puise dans vos os pour avoir son calcium. Lui, il n’en a rien à faire : si vous ne mangez pas assez, ce n’est pas grave, il va puiser dans vos réserves. ». C’est là que je me suis rendu compte qu’à vouloir contrôler mon alimentation pour ne pas prendre de poids, je détruisais encore plus mon corps parce que mon bébé utilisait toutes mes réserves, déjà très maigres. J’ai donc eu un mois d’arrêt à cause de la fracture. Mais ce n’est pas ça qui m’a arrêtée : je me suis mise à faire de la piscine à la place. Heureusement que nous n’étions pas en confinement parce que je ne sais pas ce que j’aurais fait ! J’ai nagé à la piscine quasiment tous les jours. Je ne pouvais pas lâcher ce sport.
  • C’était à 2 niveaux : tu contrôlais ce qui rentrait et tu contrôlais ce qui sortait. Si nous poursuivons : tu as évoqué la naissance de ta fille, l’allaitement, la perte de beaucoup de poids… Là, il y a la sonnette d’alarme et tu commences à mettre en place des solutions, à chercher de l’aide et du soutien pour t’en sortir. C’était il y a combien de temps ?
  • J’ai commencé en septembre 2018, quand j’ai rencontré ma diététicienne.
  • Là, ça a été le début de cette aventure. Tu veux bien nous en parler un peu, de ce processus de guérison, jusqu’à aujourd’hui ?

Le lent chemin de guérison pour se réconcilier avec la nourriture

  • C’est long. Quand on a vécu plus de 15 ans ainsi, on ne s’en sort pas du jour au lendemain. J’avais commencé par faire des séances d’hypnose. C’était bien, mais ce qui ne m’allait pas, c’est que je parlais très peu. Je ne disais pas ce que j’avais sur le cœur. J’écoutais juste la personne. Ça m’a fait cheminer quand même, elle m’a fait travailler malgré tout. Après, je me suis dit : « je vais prendre une psychologue classique ». Nous avons beaucoup parlé de moi. Évidemment, il y avait des choses psychologiques qui n’allaient pas, mais il s’agissait de vieux dossiers. Ça m’a quand même donné l’impression de tirer un trait sur certains trucs. J’ai fini par admettre que ce qui ne convenait pas, avec cette psy, c’est que nous ne parlions jamais d’alimentation, alors que c’était quand même le cœur du problème. Là, j’ai pris mon courage à 2 mains en me disant que j’allais aller voir une diététicienne. Je savais qu’elle allait me demander : « Qu’est-ce que vous mangez tous les jours ? ». Ça, je n’avais vraiment pas envie d’en parler parce que j’avais honte. Finalement, ça s’est super bien passé, elle a été très bienveillante. Elle ne m’a pas brusquée, elle m’a accompagnée dans mon propre cheminement. À chaque fois que j’allais la voir, elle me demandait par exemple si je faisais encore du sport. Elle m’a demandé de diminuer le sport, j’ai répondu « non, je ne peux pas… » et elle ne m’a pas brusquée : « et bien continuez, nous verrons ça plus tard ». C’est allé petit à petit, étape par étape. Comme je ne faisais qu’un seul repas par jour, elle m’a demandé de commencer par faire un repas du midi, c’est-à-dire un autre repas dans la journée, sans contrôle. C’est là que j’ai commencé à tester plein de restos. Ça faisait 10 ans que j’habitais à Paris, mais je n’en avais jamais fait, ou très peu. En parallèle de ça, le soir, je n’avais rien modifié. Je continuais à manger mes 2 000 calories en un seul repas. J’ai aussi demandé d’arrêter de me peser et elle a accepté. Je pensais qu’avec mon IMC qui était limite, elle voudrait contrôler que je prenais bien du poids. Mais elle a dit : « Non, si vous ne voulez pas vous peser, je vous pèserai quand vous serez prête. ». Alors, je ne me suis pas pesée pendant 3 mois.
  • Ça veut dire que tu t’étais sevrée de la balance aussi à la maison ?
  • Oui, à la maison et chez elle. J’allais la voir toutes les 2 semaines et chez moi, il n’y avait pas de balance. Pendant 2 mois, j’avais donc cet ancien repas unique et ce nouveau repas, ce qui faisait un excédent de calories, j’en étais consciente. D’autant plus que le midi, il fallait que je mange vraiment ce que j’avais envie, donc, évidemment, c’était souvent des repas caloriques, qui m’avaient un peu manqué. Au bout de ces 3 mois, je me suis dit : « bon, maintenant, je suis prête à affronter la balance ». Je savais qu’elle n’irait pas dans le sens négatif, vu tout ce que j’avais mangé. Ce n’était pas possible autrement. Je me suis pesée et en fait, j’ai eu un choc parce que je n’avais pris que 2 kilos. Dans mon esprit, j’avais la fausse croyance que j’allais prendre 10 kilos en mangeant autant de calories. Là, elle m’a dit : « Non, vous savez, prendre du poids, c’est long. C’est bien plus long que d’en perdre. On peut perdre facilement 2 ou 3 kilos en une semaine. Mais prendre 2 kilos, c’est long. ». Là, j’ai réalisé que ça allait être hyper long de retrouver un poids de forme. Ça m’a pris un an et demi, pour 18 kilos de plus. C’est petit à petit, en reprenant des kilos, que, naturellement, le soir, je n’avais plus envie de manger autant de calories. Je ne me forçais pas, c’est juste que ça faisait trop. C’était too much et petit à petit, j’enlevais des aliments le soir et ça s’est rééquilibré. À un moment, j’ai aussi incorporé un petit-déjeuner. C’était plus réparti et j’essayais de plus écouter mes envies.
  • Je suis marquée par la bienveillance et la patience de la diététicienne, qui t’a laissé aller à ton rythme, ainsi que par ces 2 kilos en 3 mois. Je ne suis ni médecin ni diététicienne, mais j’imagine que le métabolisme a du mal à se remettre en route, qu’il se passe quelque chose de cet ordre-là ? 
  • C’est ça, même si c’est propre à chacun. Je pense que d’autres auraient pris plus de poids. Mais je ne partais pas non plus de 1 000 calories par jour. Je mangeais 2 000 calories quotidiennement, donc j’avais quand même un apport.
anorexie

Une nouvelle vie entre parentalité et plaisir de manger

  • Comment tu le vivais émotionnellement, cette prise de poids ?
  • Dès le départ, ça peut paraître bête, mais… moi, j’ai trop kiffé. J’ai redécouvert de la nourriture que je ne mangeais plus, que je ne m’autorisais pas. Je me suis focalisée là-dessus et j’ai oublié le reste.
  • Ça voulait dire que j’allais pouvoir choisir ce que j’allais manger sans avoir un ordre de la maladie derrière qui me réprimait avec des « non pas ça ! ».
  • Tu arrivais à la mettre bien en retrait, cette voix.
  • Uniquement le midi, au départ, mais pour moi, c’était une victoire parce que je ne compensais pas le soir.
  • C’est là qu’on voit la détermination que tu avais, en lien avec ta petite fille qui était là, et sans doute d’autres facteurs en même temps.
  • Ma petite fille grandissait, nous l’éveillions à la vie, c’était merveilleux, etc. J’avais d’autres choses à penser que mon corps.
  • Il y avait quelque chose qui se déplaçait, en ce qui concerne le focus.
  • C’est ça. Devenir maman, c’est tellement fabuleux. Me dire que j’ai un petit-enfant qui m’attend, qui est trop content de me voir, ça fait chaud au cœur.
  • Ce nouveau défi est venu prendre le pas sur le défi de contrôle du poids et de l’alimentation, et c’est un défi merveilleux ! Aujourd’hui, tu attends ton second bébé, une petite fille. Quand cet article sortira, elle sera parmi nous. Comment as-tu vécu cette seconde grossesse, par rapport à la première ?
  • Ça me fait bizarre. Lors de la première, j’arrivais à manger 2 000 calories en un seul repas. Aujourd’hui, clairement, je ne pourrais pas ! Il n’y a pas la place ! Je ne sais pas comment je faisais. Je me rends compte que le corps, quand il est sous-nourri, a une capacité à ingurgiter une quantité d’aliments incroyable. Ceci étant, je ne veux pas nier qu’il existe aussi des hyperphagies émotionnelles. Je ne dis pas le contraire. Mais quand on est dénutri, on a une capacité à mettre une quantité de nourriture absolument énorme dans son corps.
  • C’est clair…
  • Au premier trimestre, j’avais quelques nausées, donc j’avais moins envie de manger. Au second trimestre, ça allait à peu près et là, je sens que mon estomac est comprimé. C’est aussi en ça que je réalise que ma guérison est assez fragile : quand j’arrive à me limiter au niveau des quantités, il y a comme un petit truc qui se ravive, avec des pensées comme « C’est bien, tu n’as pas trop abusé ».
  • En effet, des pensées peuvent se réveiller quand la guérison n’est pas loin.
  • Et oui, elle est récente. J’avais trouvé mon poids de forme juste avant de tomber enceinte. J’avais stabilisé mon poids seulement en septembre et octobre 2020.
  • Ah oui, c’était tout récent !
  • C’était la première fois que, d’une consultation à l’autre, j’avais le même poids. Sinon, de janvier 2019 à septembre 2020, mon poids n’avait fait que de monter. Même si ce n’était que des augmentations régulières et progressives, il n’a fait qu’augmenter. C’était la première fois que je le voyais se stabiliser sans modifier mon alimentation. Je l’ai vécu comme une petite victoire : « ça y est, c’est mon poids d’équilibre » !
  • Oui, il était enfin arrivé !
  • Juste après, je suis tombée enceinte… 😉 Mais ça reste merveilleux, bien sûr !
  • Merveilleux oui, mais c’est à nouveau un défi. C’est cela que j’entends, dans tes mots.

Le post-partum comme prochain défi

  • Oui, le plus gros défi, je pense que ce sera le post-partum.
  • Le post-partum oui, je pense aussi. Avec l’allaitement à nouveau, peut-être ? D’un autre côté, j’ai le sentiment que ces pensées sont là, que tu les vois, mais que tu peux choisir de les suivre ou pas : « Tiens, tu es là ! OK, je te vois, mais je ne me laisserai pas m’engouffrer là-dedans ! ». Ceci étant, j’entends que tu vois quand même cela comme un défi, le post-partum.
  • Oui, mais je suis assez confiante. Je sais qu’il s’agira de pensées que je pourrais mettre à distance. Je pense que le plus dur dans cette maladie, c’est de faire le premier pas, les premiers mois. Les 3 premiers mois, pendant lesquels je ne me suis pas pesée, furent les plus durs. J’étais dans l’incertitude, je ne savais pas si je prenais 10 kilos ou pas. Enfin… je le savais quand même avec mes vêtements.
  • Oui, c’est réellement un défi. À ce moment-là, tout est tellement nouveau, tout est un défi, même quand on est super motivée. C’est aller vers l’inconnu !
  • Exactement, on est confronté à des tas de choses. De plus, il y a une espèce de faim, une rage de faim qui se réveille. Parfois, même après des gros repas de midi, gros en calories en tout cas, pas forcément en quantité, j’arrivais encore à avoir faim. Je me disais : « Ce n’est pas possible, je ne suis pas normale ! ». Mais en fait, c’est seulement la faim qui se réveille et le corps qui a envie d’y retourner. Je pense que j’aurai pu grossir plus vite si j’avais vraiment lâché totalement prise. Mais je me demande souvent s’il faut lâcher totalement… Ça dépend des gens. Moi, je l’ai fait petit à petit et ça m’a bien convenu. D’autres préfèrent tout lâcher d’un coup, mais ça peut être à double tranchant. Si je l’avais fait, j’aurais pu me réveiller un mois plus tard et me dire d’un coup « ah non, non, non, je ne peux plus faire ça ».

La création de son compte Instagram et son message contre la culture des régimes

  • Je reste vraiment marquée par ce rythme personnel que tu t’es appliqué, ce rythme qui était possible pour toi à la fois physiquement, psychiquement et émotionnellement. Je suis en train de voir que nous arrivons bientôt à la fin de ce témoignage. J’aimerais bien que tu nous parles de ton compte « appétit libre ». Quand est-ce que tu l’as créé ? Qu’est-ce qui a fait que tu l’as créé ? Quel est ton message avec ce compte ?
  • Je l’ai créé en mai 2020. J’en étais à 2 ans de thérapie, j’étais mieux dans ma tête, j’avais repris plus de 15 kilos. J’étais vraiment transformée et j’avais une passion qui était presque une addiction : tester les restaurants de Paris. J’ai eu envie de créer un compte pour parler de ça. Puis je me suis dit que j’avais aussi envie de créer un compte sur l’anorexie. Mais je ne pensais pas réussir à gérer 2 comptes. Du coup, j’ai décidé de faire le lien, de créer un mix des 2, pour parler de mes découvertes de restaurants tout en parlant de ma maladie. Je pense que ça pourrait être une super thérapie pour plein de gens. Si on pouvait faire rembourser quelque chose par la Sécurité sociale, avec des livraisons par exemple, ce serait super ! 😉 Peut-être qu’il y a des gens auxquels ça ne plairait pas, mais honnêtement, quand on habite dans Paris, l’offre est quand même gigantesque. J’ai vu ça comme une opportunité. Si j’habitais au fin fond de la Creuse, je ne pense pas que j’aurai utilisé cette thérapie.
  • D’accord, c’était vraiment le mix de 2 idées. Moi en tout cas, ça me met l’eau à la bouche à chaque fois ! J’habite un peu loin de Paris, mais je regarde les photos avec appétit. Ceci dit, même si c’est un mix des 2, tu parles beaucoup d’alimentation, de la culture des régimes, etc. Il y a une composante qui devient aussi militante.
  • C’est l’évolution que m’a fait prendre Instagram, grâce à des rencontres. Personnellement, je ne vois que le bon côté de ce réseau parce que je n’utilisais quasiment pas Instagram avant. Je me faisais très peu influencée par la sphère négative. Mais je sais qu’elle existe et c’est d’ailleurs là que j’ai développé une certaine colère et une certaine rage, parce qu’à mes yeux, je suis tombée dans l’anorexie à cause de la société. Certes, je n’avais pas confiance en moi et je cherchais l’approbation des autres. J’aurais pu mettre à fumer du shit ou je ne sais quoi d’autres pour me faire intégrer… À la base, à mes 15 ans, ce que je voulais, c’était m’intégrer aux autres. Le maquillage et le changement de look, tout ça, c’était vraiment dans une volonté de m’intégrer. Je pense que la minceur a pris le pas peut-être parce que j’étais quelqu’un d’assez sérieuse…
  • Tu as « choisi » ça, entre guillemets, plutôt que de te mettre à fumer ou à boire plus que de raison.
  • Oui, et pour moi, c’est à cause de la société. Si j’avais vécu dans un monde sans culte de la minceur, je n’aurais pas eu cette idée. Ça ne serait pas passé par ce biais-là.

Le mot de la fin au sujet de l’anorexie et de l’alimentation intuitive

  • Avant que nous ne nous quittions, comment voudrais-tu conclure ? Quel message voudrais-tu faire passer ? Qu’est-ce qui te semblerait vraiment important à retenir ?
  • Je pense qu’il y a plein de gens qui sont dans l’anorexie sans le savoir. Il ne s’agit pas seulement d’avoir un poids trop bas. Malheureusement, ce n’est pas du tout un critère. Si vous êtes dans le contrôle obsessionnel, c’est qu’il y a un problème. Il y a des tas de comptes sur Instagram qui prônent le « manger sain », le « healthy lifestyle », etc. Pour moi, ils ne sont peut-être pas dans un fonctionnement anorexique, mais ils ont une forme de maladie dans leur rapport à l’alimentation. Il ne faut pas croire tout ce qu’on nous raconte. Un véritable « healthy lifestyle », pour moi, c’est vivre comme ma fille de 3 ans : manger un peu comme on en a envie, bouger comme on en a envie.
  • C’est ça, c’est retrouver ce que nous avons tous et toutes su faire, lorsque nous étions enfants.
  • D’ailleurs, je ne l’ai pas dit, mais de voir une petite fille grandir à côté de soi, ça amène un message. C’est un sacré enseignement de la voir manger, découvrir les goûts, se réguler elle-même, s’arrêter de manger instinctivement, etc. C’est dingue.
  • D’autant plus que tu es sensibilisée à ça et que tu laisses faire ! Elle a vraiment cette chance d’avoir des parents qui sont sensibilisés à cela et qui la laissent avoir son propre processus.
  • Je me suis rendu compte qu’on peut dérégler tout ça dès très jeune. Quand on va chez ses copines de crèche, je vois bien que les parents n’ont pas le même rapport que moi avec tout ça. Ils sont plus dans l’état d’esprit que tout le monde enseigne : « attention les bonbons, attention le chocolat ». C’est vite fait, qu’un enfant associe le chocolat à un aliment interdit.
  • Quelle chance d’être une petite fille qui grandit dans une famille sensibilisée à l’importance de rester une mangeuse intuitive et régulée !
  • C’est une chance parce que moi j’ai été confronté à ça, mais elle vivra quand même dans cette société, car elle ne changera pas. Moi, mes parents n’ont pas vraiment été sur mon dos pour ces sujets-là, et pourtant je suis tombée dans l’anorexie. La société ne changera pas du jour au lendemain, mais nous pouvons, petites briques par petites briques, essayer de véhiculer des messages.
  • Comme tu le fais sur ton compte, en diffusant toutes ces informations et ces warning. Moi, j’adore tes reels. Je suis fan, merci pour ça ! Ils me font mourir de rire, donc je vous conseille d’aller voir le compte de Caroline et ses reels. Merci pour ça, parce que je trouve que le biais de l’humour, c’est un moyen vraiment chouette de faire passer des messages. Je te remercie beaucoup, Caroline. Merci de m’avoir accueillie, d’être venu témoigner avec toute ta sincérité. Je te souhaite une belle fin de grossesse. 😉 À bientôt !
  • À bientôt !

Depuis l’enregistrement de ce témoignage, la seconde fille de Caroline est née, le 31 août 2021. Caroline se bat toujours avec quelques pensées de restrictions, mais tout comme nous l’évoquions dans notre échange, elle peut voir ses pensées et les mettre à distance. Elle continue à se faire plaisir sans frustration lorsqu’elle mange. Je retiens particulièrement son message de prévention autour de l’anorexie. La frontière est facilement franchie lorsque vous décidez de contrôler votre alimentation, que ce soit par le biais des calories, de la quantité, des points ou des horaires. Autorisez-vous à manger ! N’hésitez pas à contacter Caroline via son compte Instagram, appetitlibre, si vous souhaitez échanger avec elle. Vos retours via mon site internet, mon compte Instagram ou en commentaire me sont toujours précieux pour mon travail, que ce soit mon podcast sur l’alimentation ou mes accompagnements pour se réconcilier avec la nourriture ou s’initier à la pleine conscience.  

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