Anorexie mentale | Le témoignage de Caroline

Dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir », découvrez le témoignage de Caroline, qui a souffert d’anorexie mentale pendant plusieurs années. Son trouble a commencé l’année après le bac, alors que Caroline est partie dans une autre ville pour commencer ses études. La perte de poids a débuté assez naturellement, mais sa volonté de maintenir ce poids plus bas coûte que coûte l’a précipitée la spirale infernale du TCA… Aujourd’hui, même si sa relation avec la nourriture n’est pas totalement apaisée, elle peut témoigner que ce n’est plus un problème dans sa vie. Découvrez comment elle est tombée et comment elle a réussi à guérir de l’anorexie mentale, et pourquoi elle a parlé de son trouble du comportement alimentaire dans son livre, « Je ne voulais plus manger », aux éditions City.

« Dans la famille, c’était toujours moi qui m’occupais de tout. J’ai un peu pris la place de l’adulte. En fait, on m’avait toujours dit : « Caroline, il n’y a aucun problème, tout fonctionnera toujours très bien ». »

« J’ai perdu les quelques kilos de l’adolescence, qui m’avaient toujours gênée. Je ne sais pas pourquoi, dans ma tête s’est imprimé : « 48 kilos, c’est le chiffre parfait ». Mais je ne suis pas dit « je veux en perdre plus », je me suis dit : « je ne veux surtout pas reprendre ». »

« Ma mère m’avait dit que j’étais en train de m’éteindre comme une bougie. »

« Je n’aimais pas spécialement être très maigre, mais ça montrait que je n’allais pas bien et les gens s’occupaient de moi, comme je n’allais pas bien. »

« Ça m’a beaucoup aidée, de lire des témoignages de personnes qui vivaient la même chose. Du coup, j’ai voulu écrire ce témoignage, en me disant : « je vais pouvoir aider, peut-être, d’autres personnes ». »

« Ce n’est pas de l’anorexie, c’est de l’anorexie mentale. C’est une maladie qui touche d’abord la psychologie. »

« En fait, quand ça va mieux, quand ça pète, le corps est bien fait : il suit tout seul. »

Présentation de Caroline, auteure d’un livre sur les TCA

– Bonjour Caroline !

– Bonjour Anne. 😊

– Je suis vraiment ravie de te recevoir dans ce nouvel épisode de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir ». Je suis d’autant plus contente que nous nous trouvons dans la même pièce, dans mon cabinet, à Dourdan. Nous nous sommes rendu compte que le hasard a fait que nous habitons et travaillons dans la même ville. Nous pouvons donc nous rencontrer en vrai !

– Oui, le hasard fait parfois bien les choses !

– Exactement. Nous dématérialisons beaucoup les relations depuis quelques mois, quelques années même maintenant. Du coup, le fait d’être dans la même pièce et de rencontrer les gens « en vrai », c’est agréable !

– Oui, ça fait du bien, nous avons besoin de contact humain. Je pense que le confinement nous a montré que tout ne peut pas être virtuel.

– Exactement ! Est-ce que tu veux bien te présenter, Caroline ?

– Oui. Je m’appelle Caroline et je suis professeur d’histoire-géo au collège. À part ça, je fais un milliard et demi d’autres choses dans ma vie ! Je suis un peu hyperactive et j’ai du mal à me poser. 😉 J’écris des livres, je publie des vidéos sur Youtube, j’enregistre des podcasts, je lis beaucoup… Bref, je fais plein d’activités pour combler mon temps.

– D’ailleurs, en parlant de livre : dans cet article, tu nous raconteras l’histoire de ta relation avec l’alimentation, mais tu parleras aussi de ton livre-témoignage sur le sujet. Nous reviendrons sans doute sur le processus qui t’a amenée à cette écriture à la fin de ce témoignage. Mais j’avais aussi envie d’évoquer ton livre dès le début. Je l’ai lu il y a quelques semaines maintenant, mais j’ai quand même envie de redécouvrir, avec tes paroles, toute cette traversée que tu as réalisée dans ta relation avec la nourriture. Alors, comment as-tu envie de nous raconter ton histoire ?

– Nous allons commencer par le début, de façon chronologique, ce sera le plus simple. 😉 J’ai écrit un témoignage, dans lequel je traite de mon rapport à l’alimentation, mais surtout aux troubles du comportement alimentaire. J’ai fait de l’anorexie mentale pendant plusieurs années. Dans le livre, il est question de guérison, mais j’ai toujours du mal à l’exprimer ainsi. D’une part, le terme de guérison peut donner l’impression qu’il s’agit de prendre un médicament et hop, nous sommes soignés, guéris. Or, je pense plutôt que ça fait partie des choses avec lesquelles nous apprenons à vivre. Je pense que le trouble n’est plus handicapant à un moment donné, mais je ne dirais pas, aujourd’hui, que ma relation avec l’alimentation est 100 % tranquille. Pour autant, ce n’est plus un problème, hormis peut-être dans des moments de grand stress. Dans ces moments-là, il m’arrive de retrouver mes problématiques liées à l’alimentation, mais il n’y a plus de stress. C’est plutôt que, parfois, je cogite un peu trop. Mais, après avoir discuté sur l’alimentation avec plein de personnes, je constate que, de toute façon, nous avons toutes et tous un rapport différent à la nourriture. Il ne s’agit peut-être même plus réellement de mon trouble. C’est juste que nous avons chacun une histoire avec l’alimentation…

– Tout à fait, et cette histoire peut se cristalliser autour d’un trouble.

– Exactement. J’ai discuté de ce sujet avec plusieurs amis et j’ai notamment souvenir d’une discussion, avec plusieurs personnes, à table. L’une d’entre elles évoquait ses difficultés avec l’alimentation et celle d’en face à dit : « Ce n’est pas compliqué : quand tu n’as plus faim, arrête de manger. ». Ce à quoi elle a répondu : « Mais en fait, pour moi, c’est très compliqué, ça. ». Là, je l’ai regardée en expliquant que je comprenais. J’ai dit que, pour elle, ce n’était peut-être pas un souci lié à un trouble, mais que, pour certains, c’est très très compliqué. Cette phrase, « Tu arrêtes quand tu n’as plus faim. », semble logique ! Mais pour réussir cela, encore faut-il connaître et reconnaître sa faim.

– C’est ça. Il peut y avoir tout un monde, dans la façon de vivre cette phrase, entre d’un côté, des personnes qui sont restées des mangeurs naturels et intuitifs et qui la trouveront logique et évidente et, d’un autre côté, des personnes pour lesquelles c’est compliqué.

– Tout à fait. Moi, quand on me dit : « C’est facile, il n’y a qu’à lâcher prise ! »… à chaque fois, ça me fait réagir. Je réponds que c’est gentil de me conseiller de lâcher prise, mais qu’ils ne sont pas dans mon esprit. Pour moi, lâcher-prise, c’est comme sauter dans le vide sans parachute. Lâcher totalement prise, c’est sauter dans mon angoisse.

– C’est une injonction fréquente, hélas…

– Je pense que ça part d’un très bon sentiment, mais, en effet, ça crée une injonction. Aujourd’hui, dans la société, on se dit qu’il faudrait être totalement détaché, savoir lâcher prise sans problème… Mais c’est oublier la société dans laquelle nous vivons et qui nous impose des pressions. Dans mon livre, j’évoque surtout mon rapport à l’anorexie mentale, mais pas seulement. J’ai suivi 4 ou 5 ans de psychothérapie, donc j’ai vu tous les spécialistes possibles et imaginables. Cela m’a permis de faire une grande analyse sur moi-même – et encore, je pense que ce n’est pas terminé et qu’on peut faire durer cela toute sa vie…

L’envie de ne pas reprendre de poids comme premier pas vers l’anorexie

– À propos de cette anorexie, raconte-nous : comment cela a-t-il commencé ?

– Le point de départ, c’est quand j’ai commencé à perdre du poids, à mes 18 ans. Je suis partie à l’université, j’ai subitement quitté ma maison, ma maman, etc. Je dis que j’avais 18 ans, mais non d’ailleurs : je n’en avais que 17 ans. Pour moi, c’était la fin du monde. Pourtant, paradoxalement, j’ai toujours été une excellente élève et j’ai toujours tout très bien réussi. J’étais persuadée que lorsque je partirai, je serais totalement capable de tout faire. Toute ma famille l’était aussi, car c’est toujours moi qui m’occupais toujours de tout à la maison. Mes parents sont divorcés depuis longtemps, donc je me suis occupée de ma sœur et j’ai géré un certain nombre de choses. J’ai un peu pris la place de l’adulte dans la famille. Du coup, on m’avait toujours dit : « Caroline, aucun problème : tout fonctionnera toujours très bien. ». Moi-même, j’en étais persuadée. Mais je me suis retrouvée à l’université en constatant que ça ne me plaisait absolument pas. Le problème ne venait pas du contenu des cours, mais moi, j’aimais mes professeurs, j’aimais être dans un cocon, j’aimais recevoir de la reconnaissance à propos de mon travail. Là, j’étais devenue anonyme, au milieu de 700 personnes.

– Et oui, quel choc !

– J’appelais ma mère pour lui dire que je voulais rentrer chez moi… Mais, paradoxalement, pendant l’été, je suis restée dans ma ville d’étude, pour travailler. J’ai rencontré de nouvelles personnes, avec lesquelles tout se passait très bien. Comme j’étais bien dans ma vie à ce moment-là, j’ai naturellement perdu les quelques kilos de l’adolescence, qui m’avait toujours gênée. J’avais toujours eu un complexe avec, je trouvais que mes cuisses étaient trop grosses. Ceci étant, « trop grosse », pour moi, c’était 2 ou 3 kilos qui m’énervaient. Quand j’étais au lycée et au collège, j’avais reçu des critiques me disant que j’étais trop grosse. Objectivement, je ne l’étais pas. Mais… voilà, le fait est que j’avais reçu ces critiques. Je me souviens notamment qu’une fois au collège, toutes les filles avaient donné leur poids et elles avaient toutes dit 48 kilos. Moi, à cette époque, j’avais dit 55. À partir de là, je ne sais pas pourquoi, s’est imprimée l’idée que 48 kilos était le chiffre parfait.

– D’accord… Et ce, quelle que soit la taille ?

– Quelle que soit la taille, quel que soit l’âge… Le poids idéal, c’était : 48 kilos. Cependant, je n’ai jamais cherché à l’atteindre ! Mais je pense que, dans ma tête, c’est ça qui était bien, c’est avec ce poids qu’on pouvait être jolie.

– D’accord, c’était le chiffre à atteindre, mais il était aussi corrélé au fait d’être jolie.

– C’est ça. Par ailleurs, chez moi, on ne m’a jamais dit que j’étais jolie. Celle qui était jolie, c’était ma sœur. C’est marrant d’ailleurs, car paradoxalement, ma sœur souffre du problème inverse : elle dit souvent qu’on ne lui a jamais dit qu’elle était intelligente, car c’est moi qui l’étais.

– Comme s’il fallait séparer les 2…

– Et oui… Pendant l’été, entre la L1 et L2, j’ai travaillé et j’ai perdu 3 kilos, sans rien faire de spécial, simplement parce que je faisais des activités, que je bougeais, etc. Et là, on a commencé à me dire que j’étais jolie. Je me suis donc pesée, ce que je n’avais pas fait depuis… un certain temps. J’ai constaté que oui, j’avais perdu un peu de poids. À partir de là, je ne me suis pas dit que je voulais en perdre plus. Je me suis « seulement » dit que je ne voulais surtout pas reprendre les 3 kilos que j’avais avant. Sinon, dans ma tête, j’allai redevenir cette fille qui n’avait pas confiance en elle, qui se trouvait moche, qui se sentait rejetée, etc. Ainsi, par crainte de reprendre du poids, je me suis mise à réduire de plus en plus mon alimentation et ce fut mes premiers pas vers l’anorexie mentale.

– OK, c’est comme ça que le cercle infernal a commencé. Ce n’était pas dans l’intention de continuer à maigrir, mais de rester à un certain poids.

– C’est ça. Ça a toujours été : « je ne veux surtout pas regrossir ». C’est pour ça que, plus tard dans mon parcours avec la nourriture, la reprise de poids a été compliquée, car ma crainte était que ça ne s’arrête jamais. Je redoutais d’atteindre de nouveau ce chiffre horrible de 57 kilos, comme au lycée. Ce chiffre n’est pas horrible en soi, bien entendu, mais mon cerveau avait du mal avec. Il l’avait associé à l’idée que ce n’est pas bien et que je ne suis pas jolie avec ce poids. À partir de là, ça s’est très rapidement dégradé : j’ai perdu 16 kilos dans la foulée… Mon but de ne pas en reprendre a trop fonctionné ! 😉 Je ne me sentais pas bien, je commençais à tomber en dépression et à appeler ma mère en pleurant, etc.

anorexie mentale

Le retour à la maison et le besoin d’attention

– Et oui, parce que le contexte de la fac continuait à ne pas te convenir.

– Ça ne me convenait pas, et en plus de ça, j’ai eu des difficultés avec ma meilleure amie. Je me sentais très proche d’elle… mais j’ai commencé à me rendre compte qu’en fait, j’étais plus proche d’elle qu’elle n’était proche de moi. Moi, j’étais vraiment engagée dans cette amitié, mais visiblement, ça faisait longtemps que ce n’était plus le cas. Je me raccrochais à l’image de ce que nous avions été au lycée et qui n’existait plus. Pendant les 3 premiers mois de ma 2e année, ça commençait à ne plus aller du tout. Est arrivé un moment où je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que je fais là ? Ma vie n’a aucun sens, je n’aime pas mes études, je suis attachée à une amie alors que je ne comprends pas pourquoi c’est encore mon amie… ». Rien n’allait. Rien ne me plaisait. La seule chose que je voulais, c’était rentrer chez moi. Un jour, alors que j’écrivais dans mon journal intime, j’ai écrit : « Et si je m’en allai ? Je fais ma valise et je pars. ». Mais il y a une différence entre la théorie et la pratique. Je suis quelqu’un de très théorique, mais la pratique, c’est compliqué. Du coup, je me suis ravisée et je me suis dit : « Non allez, retourne en cours. ». Mon cours d’histoire de la Pologne allait bientôt débuter.

– Ça t’a marquée, pour que tu te souviennes encore du sujet du cours !

– Oui ! Je me rappelle très bien que c’était l’histoire de la Pologne. Je me suis rendue à la fac. J’ai mis la main sur la poignée… et je me suis dit non. J’ai appelé ma mère et lui ai demandé : « Si je t’appelais pour venir me chercher, tu viendrais ? ». Elle m’a répondu : « Fais ta valise. » et elle est venue me chercher. Merci maman !

– Pendant ces mois compliqués, ta mère avait suivi ton état ? Tu rentrais de temps en temps ?

– Je rentrais le week-end et ma mère voyait bien que ça allait de moins en moins bien. Elle m’avait dit que j’étais en train de m’éteindre comme une bougie.

– C’est l’expression qu’elle a utilisée ?

– Oui. Ce fut compliqué pour moi, car j’avais l’impression de lui faire du mal, à elle. Je culpabilisais – et d’ailleurs, je culpabilise toujours aujourd’hui. Je continue à éprouver énormément de honte d’avoir souffert d’anorexie mentale, non parce que je me suis fait du mal à moi, mais parce que j’ai fait souffrir ma famille. Mon père avait toujours été mon super-héros, mais là, j’ai vu qu’il ne savait absolument pas quoi faire. Ma mère, elle, elle a cherché. Elle m’a emmenée voir un psychologue. Elle a trouvé une possibilité de prise en charge pour les troubles alimentaires dans le service endocrinologie de l’hôpital Sainte Marguerite, à Marseille (aujourd’hui hôpital de la Conception). Ce n’est pas que mon père n’était pas intéressé par ce qu’il m’arrivait, mais il ne savait pas gérer ça. Quand je l’appelais, il m’engueulait…

– D’accord, il était complètement démuni et c’était la seule façon qu’il avait de le vivre.

– Exactement, chacun réagit comme il peut !

– Une fois que tu es rentrée chez toi, comment ça a évolué ?

– Déjà, je me sentais bien car j’étais dans ma maison. Je me sentais beaucoup plus en sécurité, et je choisis le terme. Ma mère me disait qu’elle avait l’impression d’avoir retrouvé un bébé. Mon père a quitté ma mère quand j’avais 4 ans et j’ai eu l’impression de passer très rapidement de l’enfant à l’adulte. Du coup, je pense que j’avais besoin de revenir à cet état où on s’occupe de moi.

– Oui, de retrouver l’état de petit-enfant.

– J’avais besoin d’avoir tout le monde autour de moi et je pense que mon corps maigre accentuait cette image.

– Ça mettait en avant le besoin qu’on prenne soin de toi.

– Ma mère m’a dit qu’à ce moment-là, j’ai accaparé toute l’attention. Je lui réponds alors que je le sais et de cela je m’en veux beaucoup, d’ailleurs. Mais j’avais besoin de ça.

– D’accord. Dans ta reconstruction contre l’anorexie mentale, c’était un passage important. C’est bien cela, que tu essaies de nous transmettre ?

– Oui. Je dirais même que c’était un passage nécessaire. J’ai eu l’impression de faire, en l’espace de 3 ans, l’étape de l’adolescence que je n’avais pas vécue. Plus tard, il y a eu un moment donné où j’en ai eu marre de ma mère et où j’ai dit stop, mais c’est arrivé plus tard. Là, j’avais besoin qu’on s’occupe de moi.

L’hospitalisation pour anorexie mentale et les premiers soins

Ma mère m’a donc emmenée à l’hôpital de Marseille et j’ai rencontré un endocrinologue. Il s’occupait de l’aspect médical, donc il me pesait et commentait pour dire que l’IMC ne correspondait pas à ce qu’il faut. Encore que, en ce qui concerne l’IMC, j’aurai des choses à redire, mais je les ai réalisées après coup. Je ne suis pas complètement pour la manière dont ça s’est passé, mais au moment où nous y sommes allées, je pense que ça m’a été utile. À posteriori, je réalise que j’étais tellement perdue au niveau alimentaire que j’avais besoin que des médecins me disent : « Tu dois faire ça. ». Lui m’a donné le poids que je faisais et le poids que je devais atteindre. Il m’a fait rencontrer une diététicienne, avec laquelle j’ai fait un plan alimentaire. Le but était que je ne perde plus de poids et que je retrouve une structure. Ça m’a fait partir un peu loin, car elle m’a donné des pesées alimentaires strictes. Je pense que, d’un côté, j’en avais besoin, mais d’un autre, je suis bonne élève et je suis les règles à la lettre près. Du coup, mon cerveau a bugué. On m’a dit qu’il faut manger 100 grammes de ci ou de ça, donc je n’avais aucunement la possibilité de dépasser les 100 grammes, parce que « Attention c’est dangereux ! Potentiellement je peux prendre du poids si j’en rajoute ou en perdre si j’en enlève. ». J’ai trouvé que c’était bien d’avoir une structure et un suivi, mais certains points m’ont gênée. Par exemple, plus tard, il m’a été reproché de peser mon alimentation, alors que c’étaient eux qui m’avaient demandé de peser ce que je mangeais. De plus, plusieurs fois, j’ai entendu des discours comme : « De toute manière, vous les anorexiques, vous êtes tous pareils : vous comptez les calories, vous vous pesez, vous avez une obsession pour votre corps et vous adorez la maigreur. ». Or je n’aime pas spécialement les corps maigres et je n’ai pas une obsession particulière pour mon corps. J’ai juste peur de trop manger. J’avais tellement peur de grossir que je ne mangeais pas, mais ce n’était pas par plaisir d’être maigre. Objectivement, à 40 kilos, je vous assure que je ne me trouvais pas jolie ! De la même manière, quand j’entendais « vous vous pesez tout le temps », j’avais envie de répondre que je ne m’étais quasiment jamais pesée de ma vie avant qu’ils me placent sur une balance !

– Ne serait-ce que la généralisation, le « vous les anorexiques », c’est dérangeant.

– Oui ! J’avais envie de lui demander si, quand il était en face d’une personne ayant le cancer, il disait « vous les cancereux »… Ça me gênait beaucoup, cette généralisation. Je pense qu’au contraire, j’avais besoin d’être un peu individualisée. Chaque personne vit différemment son trouble alimentaire. L’équipe médicale m’avait demandé de consulter un psychiatre, qui pratiquait la thérapie comportementale et cognitive, la TCC, et la pleine conscience. Il était très intéressant, notamment pour en ce qui concerne les outils qu’il m’a donnés. Mais je pense que la première que j’y suis allée, c’était trop tôt. Lui, il se basait sur une thérapie courte, comme le sont les TCC. Moi, à ce moment-là, j’avais envie de prendre le temps de comprendre pourquoi j’en étais arrivée là.

– D’accord, ce n’était pas le type de thérapie dont tu avais besoin à ce moment-là.

– Je ne pense pas. Lui, il souhaitait me faire sortir du trouble de l’anorexie mentale. Moi, j’avais encore besoin de ça parce que ça me sécurisait. Plusieurs fois, je lui ai dit que lui, il voulait juste me faire reprendre du poids, pour pouvoir dire : « C’est bon, elle est guérie, problème réglé. ». Moi, je constatais que c’était mentalement, psychologiquement, que je ne me sentais pas bien. Je n’aimais pas spécialement être très maigre, mais ça montrait que je n’allais pas bien et du coup, les gens s’occupaient de moi.

– Là, je trouve que tu soulèves une question très importante, autour de « l’utilité », entre guillemets, du trouble.

– Bien sûr ! Attention à ce que je vais dire, là aussi mettons des guillemets… mais je me suis plusieurs fois fait une réflexion autour de la boulimie. J’ai rencontré plusieurs personnes souffrant de ce trouble, et j’ai réalisé que je préfère être anorexique, parce que ça se voit. Un boulimique est une personne qui souffre sans que ça ne se voit et à laquelle, en plus, on reproche de trop manger. Elles souffrent peut-être même plus que moi. Parmi les troubles alimentaires, l’anorexie mentale est presque celui qui est « valorisé ». C’est d’ailleurs très dangereux, car on peut en mourir. Mais la boulimie, ce n’est vraiment pas bien vu. Quelque part, le fait que ça se voie a une utilité. Aujourd’hui, quand je relis ce que j’ai écrit dans mon livre, j’ai une analyse extérieure. Je pose un regard sur la façon dont j’ai vécu cette étape de ma vie, comment ça s’est passé, etc. Quand j’étais dedans, je n’avais pas conscience de tout cela. J’aimerais revenir sur le moment où je t’ai parlé du menu qui m’avait été donné. L’objectif de la diététicienne, c’était d’abord de stabiliser mon poids, puis que j’en reprenne. Mais j’ai eu beau suivre à la lettre ce qu’elle m’avait conseillé, je ne prenais pas de poids. Suite à ça, l’endocrinologue m’a engueulé, en disant que je devais sans doute tricher et me faire vomir. On m’a reproché plusieurs fois de me faire vomir, alors que je n’ai jamais fait ça de ma vie ! Je me demandais pourquoi il me disait ça, alors que j’avais suivi à la lettre ce qui m’avait été demandé. Je tenais à souligner cela, car ça rejoint ton approche alimentaire. Parfois, j’entends des personnes dire qu’elles veulent perdre du poids, mais qu’elles ne comprennent pas ce qu’il se passe parce que ça ne fonctionne pas. Elles suivent tous les régimes possibles, mais sans succès. À l’inverse, il y a aussi des personnes qui, comme moi à une période, souhaitent en reprendre et n’y arrivent pas. Après avoir vu le psychiatre, j’ai vu une psychologue, pendant 2 ou 3 ans. À l’issue de la 1re année, après avoir bien dégrossi le gros du problème, je me suis dit « maintenant, c’est bon, je veux reprendre du poids, ça va mieux ».

Le retour aux études pour avancer malgré le TCA

– D’accord, tu te sentais prête.

– Voilà, je me sentais prête parce que je commençais à aller psychologiquement mieux. Tout n’était pas réglé, mais j’étais prête à accepter l’idée qu’il fallait aller de l’avant, ou tout simplement quitter le cocon de ma maman. De plus, je voulais reprendre des études, après cette première année pendant laquelle je n’avais rien fait d’autre qu’être chez moi… J’avais quand même travaillé un peu à côté, parce que je culpabilisais de ne pas ramener de l’argent, mais j’étais surtout centrée sur moi. J’ai donc repris mes études et quand je suis retournée en fac d’histoire, je ne voulais pas perdre de poids. Je me disais : « Attention, si tu recommences, tu n’arriveras pas à suivre tes études. ». J’étais dans l’idée que « maintenant c’est bon, je veux être professeur, je veux prendre ma vie en main, donc j’ai aussi besoin en être physiquement capable ».

– Et oui, le corps doit pouvoir suivre !

– Quand j’ai passé les concours d’enseignement, je me disais : « Si tu es sous-alimentée, tu sais très bien ce qu’il va se passer : tu ne vas pas y arriver ! ». Il fallait manger aussi pour ça. J’ai vu une première diététicienne. Puis j’en ai vu une autre qui m’a, elle aussi, donné un régime à suivre. Mais moi, j’avais beau le suivre, je ne grossissais pas. Le moment où j’ai vraiment réussi à reprendre du poids, c’est quand j’allai beaucoup mieux dans ma vie, après le concours et les études. Ces études, je pense qu’elles ont cristallisé une tension, un stress, de remise en question, etc. Une fois que j’ai passé mon concours, c’est passé. Pourtant, j’ai été mutée très très loin de chez moi, alors que je n’avais pas du tout demandé à partir à 600 km ! Mais une fois arrivée ici, je me suis sentie bien. J’ai rencontré de nouvelles personnes, qui ne me connaissaient pas, moi et mon passé d’anorexie mentale. Cela a compté. J’adore ma famille, mais j’étais à 600 km d’eux et pour une fois, je n’avais pas besoin de m’occuper d’eux.

– Et oui…

– Je pense que ça m’a enlevé une pression. J’ai le souvenir d’une phrase de ma psychologue qui me revient. Elle m’avait dit : « Vous savez, ce n’est pas en mangeant que vous guérirez, c’est en allant psychologiquement mieux. C’est en guérissant la tête que vous mangerez et que le poids et le corps suivront. ».

– Et c’est exactement ce qu’il s’est passé ! J’entends vraiment une différence par rapport à la première fois où tu as quitté la maison, à 17 ans. Tu n’étais alors pas très loin, mais suffisamment pour ressentir une fracture car tu n’étais, à priori, pas du tout prête. Il te manquait ce processus que tu as eu après, de cocoonage.

– À l’époque, j’étais persuadée d’être prête, mais je pense que c’est parce que j’avais toujours donné cette impression de n’avoir aucun problème et que tout irait toujours bien.

– Tu as évoqué cela tout à l’heure : « Caroline, elle avance. Caroline, elle est forte, elle peut… ».

– C’est ça… Dans toute la première partie du processus de guérison de l’anorexie mentale, j’avais envie qu’on s’occupe de moi, et donc, d’une certaine façon, de rester dans le trouble. Bien entendu, c’était inconscient et j’analyse cela après coup. Mais je pense qu’il y avait de ça. Lorsque j’ai réussi le concours, ça a changé beaucoup de choses. J’ai souvenir d’avoir consulté une sophrologue, avec laquelle je faisais des exercices. À la fin de l’un d’entre eux, elle nous avait demandé de nous visualiser sur scène et elle nous a demandé ce que nous voyions. Je me suis représentée debout sur une scène, avec aucun public. Là, je me suis dit : « Caroline, tu n’as plus besoin du regard des autres. Tu t’en fous. ». Je suis rentrée chez moi en me disant : « Ça suffit, c’est bon. J’en ai marre des troubles alimentaires. Stop. ». Pourtant, je pesais encore scrupuleusement mes aliments et j’étais angoissée de me séparer de cette minuscule balance. Je ne me pesais pas, mais je pesais tout ce que je mangeais. Mais là, j’ai dit : « Allez, maintenant, elle m’énerve. ». Cette balance, c’était celle qui m’avait été donnée à l’hôpital. Depuis, ça avait toujours été une béquille pour m’aider avec l’anorexie mentale. À ce moment-là, je l’ai regardée et j’ai dit : « Mais en fait, tu m’embêtes ! Tu me brimes ! J’en ai marre d’être obligée de prendre un goûter si je n’ai pas envie de prendre un goûter ! J’en ai marre d’être obligée de ne me servir que 100 g si j’ai encore faim après ! Stop, maintenant. ».

– Du coup, qu’en as-tu fait ? Tu l’as mise à la poubelle ?

– Au départ, je me suis dit que j’allai m’en débarrasser. Mais j’ai un côté écolo qui m’a fait me dire que non, je ne pouvais pas jeter une balance à la poubelle… Du coup, je l’ai gardée. Ça peut servir !

– C’est ce que j’allai dire : pour suivre des recettes, ça peut être utile.

– Exactement, mais je n’ai plus un rapport malsain avec. Ce n’est plus obsessionnel, même si je sais que j’ai besoin de maîtriser quelque chose quand je suis stressée.

– Quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Or, l’alimentation est un bon support pour ça.

– Exactement. Je crois que c’est la sophrologue qui m’avait dit : « De toute manière, il y a plusieurs domaines qu’on maîtrise quand ça ne va pas : la sexualité, l’alimentation et… », j’ai oublié le 3e ! Mais je m’étais dit que c’était vrai, il s’agit effectivement de points sur lesquels nous pouvons avoir un certain pouvoir.

anorexie mentale

Le végétarisme et la gestion de la faim dans la guérison contre l’anorexie mentale

– Du coup, il y a eu ce moment clé où ça a basculé, où tu as dit stop. Qu’est-ce qu’il s’est passé, après ?

– Après, il y a plusieurs éléments. Déjà, je suis partie, je me suis détachée de ma famille.

– C’était à peu près au même moment alors ?

– Oui et non. Pendant ma première année de licence, j’étais encore à moitié chez mes parents. Après, je me suis retrouvée toute seule la semaine, pour rentrer chez mes parents le week-end. À un moment donné, je me suis rendu compte que, quand je rentrais, j’avais envie de retourner chez moi, dans mon appartement. Je me suis dit que ça voulait peut-être dire que la transition était opérée avec ma mère, dont c’était difficile de me séparer au départ. Je pense que pour elle comme pour moi, c’était le bon moment. Du coup, finalement, cette mutation, j’ai réalisé que c’était un mal pour un bien, même si je n’aurais pas fait cette demande de moi-même.

– D’accord, ce n’était pas voulu, mais malgré tout bienvenu.

– Exactement. Maintenant, dans l’endroit où je suis, je me sens bien. J’ai rencontré plein de monde. On me demande souvent si je vais retourner chez moi, mais je me sens aussi bien quand je suis chez moi, là où j’ai grandi, qu’ici, où j’habite.

– Cela doit venir aussi, comme tu disais, du fait que tu arrivais dans un endroit neuf, neutre, dans lequel personne ne te connaissait. Tu n’avais aucune étiquette liée à ton anorexie mentale.

– Tout à fait. En arrivant ici, une autre transition s’est opérée chez moi, au sujet de quelque chose m’a toujours gênée dans l’alimentation. J’ai une très très grande préoccupation pour l’écologie et de ce fait, la viande et le poisson me posaient un véritable problème éthique. Mais, dans une alimentation classique, tel qu’on nous l’apprend, il faut prendre des protéines. Et, par « protéine », beaucoup de personnes, dont les diététiciens de l’hôpital en tout cas, entendent : « protéines animales ». Du coup, en arrivant ici, j’ai dit aux gens : « Je suis végétarienne. » et j’ai commencé à revoir mon alimentation de manière totalement différente. J’ai commencé à composer des assiettes très colorées, avec des féculents, des légumineuses, plein de légumes, ainsi que du pain, car j’adore le pain ! J’avais ce projet depuis quelque temps, mais je savais que ça coincerait avec ma famille… Alors que là, en disant directement aux personnes rencontrées que je suis végétarienne, ça a tout de suite clos le sujet.

– Ce fut un non-sujet dès le départ.

– Voilà. Ça m’a permis d’opérer progressivement la transition auprès de ma famille. Au départ, j’ai seulement dit « pas de viande », puis « le poisson non plus ». Maintenant, je me rends compte que je prends un vrai plaisir à passer à table. J’en suis très contente car je mange ce que je veux manger.

– Oui, ça te plaît parce que c’est toi qui choisis.

– Mon rapport à la faim a évolué également. C’était quelque chose que j’avais du mal à reconnaître. Néanmoins, j’ai toujours un souci avec les horaires : j’aime manger à heure fixe. De toute façon, avec le métier que j’exerce, mon emploi du temps est fixe ! 😉

– Oui, tu n’as pas trop le choix. Nous sommes aussi gouvernés par l’aspect social de notre vie, qui fait que nous ne pouvons pas toujours choisir le moment où nous mangeons.

– Exactement ! Une amie est venue me rendre visite pendant les vacances et cette amie qui est plus grosse que moi – sans jugement que moi. Elle a une silhouette plus ronde que moi… mais elle mange beaucoup moins que moi. Lors d’un repas, elle m’a demandé : « Tu reprends encore du cake ?! ». Mais oui, parce que j’avais super faim ! Souvent, je mange le soir… mais 2 h après, je retourne me préparer une tartine. Les premières fois, je me suis dit « mais c’est horrible… ». J’avais encore cette crainte, si je cédais à ma faim, de manger à l’infini sans jamais m’arrêter. Puis j’ai compris qu’en fait, le corps est bien fait. 😉 On ne peut pas manger à l’infini. À un moment donné, nous n’avons plus faim. Cependant, j’ai encore du mal, de temps à temps, à gérer. Parfois, j’ai très très très faim et ça me donne l’impression, justement, de manger à l’infini.

– Ça me fait penser à la faim extrême que décrivent les personnes qui sont en guérison d’anorexie.

La fin de de l’aménorrhée et les craintes familiale face à la restriction

– C’est ça et ça, c’est très compliqué. J’ai remarqué que c’est revenu avec mes règles. Pas pour toutes, mais pour la plupart des personnes souffrant d’anorexie mentale, les règles s’arrêtent. Nous sommes en aménorrhée. Ce que m’avait expliqué le médecin, c’est que le corps féminin est fait pour porter la vie. Par conséquent, s’il n’est pas en capacité de s’apporter lui-même ce qui est nécessaire pour ses propres organes, il ne peut pas, en plus, se préparer à répondre aux besoins d’un autre être humain. Mais, ce médecin m’avait aussi dit qu’il fallait absolument que j’atteigne un IMC de 18,5 pour retrouver mes règles. Or, mon IMC est inférieur à 18,5.

– Mais tes règles sont revenues…

– Pourtant, je mange à ma faim, sans me priver. Pour ma mère, je suis toujours trop mince, mais moi, je ne me prive pas. Je ne fais pas de restriction pour rester à un poids particulier. D’ailleurs, je ne sais pas combien je pèse ! 😉

– Il n’y a plus du tout de mentalisation de ton alimentation, en fait, c’est bien ça ?

– En effet, il n’y en a plus. Globalement, j’ai toujours la même structure de repas, parce que c’est plus facile pour moi, notamment pour prévoir mes repas de midi. Mais ce n’est pas obsessionnel, c’est une question de praticité.

– La question de l’équilibre dans les protéines joue peut-être aussi ?

– C’est ça. Je suis végétarienne, donc à un moment donné, il faut que je sois vigilante là-dessus. C’est ce que j’ai expliqué à ma mère quand elle a paniqué, redoutant que ce soit une manière de réduire mon alimentation. De toute manière, ma famille réagit toujours ainsi maintenant. Peu importe ce que je dis, quand je parle d’alimentation, ça finit ainsi : c’est pour contrôler, pour réduire, etc. J’essaie de leur répondre que, paradoxalement, je contrôle beaucoup moins depuis que je suis végétarienne.

– Au contraire même ! Ce que j’entends, au travers de ce que tu en dis, c’est que ça t’a permis de trouver une liberté dans tes choix alimentaires. Ça t’a permis de vraiment suivre ton éthique personnelle et tes valeurs. Du coup, tu as pu adapter ta façon de manger à ton éthique personnelle.

– C’est ça : maintenant, j’ai vraiment l’impression d’être en phase avec ce qui me correspond, ce que j’aime, ce qui me plaît. J’aimerais également rajouter un mot au sujet des quantités. Chez ma mère, c’est elle qui préparait nos assiettes. Du coup, j’ai un énorme problème aujourd’hui quand quelqu’un souhaite me servir. Je ne supporte plus ça. Je sais que, dans certains cas, ça fait plaisir aux gens donc je les laisse faire, parfois en leur donnant des indications. Je préfère qu’on me serve une petite quantité et me resservir plusieurs fois, en fonction de ma faim, plutôt qu’on m’impose une grosse assiette. Ma mère m’a toujours dit qu’on ne sort pas de table sans avoir fini de tout manger. Du coup, si je laisse quelque chose dans mon assiette, ça me stresse. Je suis capable de manger toute l’assiette non par faim, mais pour faire plaisir à la personne. Ainsi, maintenant, je préfère demander aux gens de me laisser me servir. Avec mon père, c’était différent : il posait le plat et chacun se servait comme il le souhaitait.

anorexie mentale

L’écriture du livre pour témoigner de son parcours contre l’anorexie

– Avant que nous nous quittions, j’aimerais bien que tu abordes avec nous le processus d’écriture de ton livre. Qu’est-ce qui t’a amené à vouloir témoigner ?

– J’ai toujours aimé écrire. Ça fait partie de ma vie. C’est un besoin. J’aime écrire des histoires, mais j’aime aussi toutes les émissions de témoignages qui existent à la télévision. Je me suis moi-même beaucoup documenté quand j’ai commencé à ne pas me sentir bien. Ce ne sont pas les médecins, au départ, qui m’ont informé que je souffrais d’anorexie mentale. Ma mère avait tapé les symptômes sur Google et c’est ça qui était sorti, mais j’avais aussi regardé moi-même. Je m’étais reconnue dans certains témoignages. Pas pour tout, encore une fois, car tous les critères ne me correspondaient pas, mais je pense que ce n’est jamais le cas. Nous sommes des êtres humains, pas des cases.

– Bien sûr.

– Lire des témoignages de personnes qui vivaient la même chose m’a beaucoup aidée. De la même manière, j’écrivais beaucoup sur mes ressentis, sur ce qui n’allait pas, etc. Pendant la période où je n’allai pas bien, je crois que j’ai écrit 15 ou 16 carnets de pensées… Je ne les relisais jamais, puisque c’était des journaux intimes faits pour évacuer.

– Oui, le but était de te vider la tête.

– Je ne les ai pas gardés, d’ailleurs. Un jour, j’ai tout jeté. C’était une façon de faire table rase du passé. J’étais inscrite sur un forum, appelé enfine, spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire. Une amie rencontrée dessus avait écrit un témoignage. À un moment, je me suis dit que, quand ça irait mieux, j’aimerais bien témoigner, moi aussi, pour potentiellement aider d’autres personnes, comme ça avait pu m’aider. Je trouve l’expression « guérison totale » un peu surfaite. Qu’est-ce ça veut dire, guérir totalement ? La vie n’est pas finie, on ne sait pas ce qu’il peut se passer… Mais l’alimentation n’est plus un problème et je pense avoir suffisamment de recul pour ne plus me jeter là-dedans si je rencontre un problème. Je me suis donc sentie légitime à écrire ce témoignage, en me disant que j’allai peut-être aider d’autres personnes. Je l’ai écrit très vite, car je vais toujours très vite, trop vite dans mon existence de manière générale. 😉 Je l’ai envoyé à une maison d’édition qui m’a répondu 3 jours après. Ça m’a beaucoup choquée, car j’écris des romans pour lesquels les maisons d’édition ne me répondent jamais. Là, j’étais au téléphone, j’ai entendu « Nous voulons vous publier » et j’ai cru que c’était une blague.

– Ce fut hyper rapide !

– Oui, ça s’est fait très vite. J’ai certainement envoyé mon récit au bon moment pour eux, mais il n’empêche. Il manquait quelques points qu’on m’a demandé de rajouter : des poèmes, des extraits de journaux intimes – avant de les jeter. 😉 Ce récit me permettrait aussi d’expliquer à ma famille comment j’ai vécu certaines choses, mais avec de la distance. À chaque fois que j’ai tenté de communiquer, je me mettais à pleurer et j’avais l’impression de parler une autre langue. Je pense que le fait d’avoir lu mon histoire leur a permis de mieux comprendre. Maintenant, nous n’en parlons plus beaucoup car je n’aime pas aborder ce sujet avec eux. De plus, ça n’a plus de sens, d’autant que ça me retourne un peu, émotionnellement.

– Je me souviens que tu as évoqué tout à l’heure une culpabilité encore présente.

– C’est ça. Il y a la culpabilité et puis cette espèce de honte de leur avoir fait du mal. Le livre, c’était aussi une manière de dire que je leur ai tout dit et que maintenant, s’ils ne comprennent pas, je n’y peux plus rien. En revanche, tant mieux s’ils ont compris, car j’avais besoin de leur dire.

– Le but était de témoigner d’une manière large, mais aussi d’envoyer un signe à ta famille et à tes proches. Ça avait aussi cette utilité-là.

– Oui, et c’était aussi une démarche qui me permettait de me dire que j’avais tout résumé dans ce livre. J’ai résumé ces 6 années de journaux intimes, de pensées, de thérapies, etc. Tout est là. D’ailleurs, à la fin de ce processus, je suis retournée voir le 1e psychiatre que j’avais vu en lui disant : « Ça y est, maintenant je suis prête pour la TCC ! Nous pouvons faire des exercices de méditation de pleine conscience pour que je comprenne ce que vous vouliez me dire. ». Arrivée là, je n’avais plus besoin de comprendre mon anorexie mentale, j’avais seulement besoin d’un outil.

– Ce fut la dernière tranche de thérapie que tu as suivie par rapport à ce trouble alimentaire ?

– C’est ça.

– Vous pouvez retrouver les références de ce livre en suivant ce lien. Peux-tu nous parler un peu du titre, même si je sais que tu ne l’aimes pas trop ?

– En effet, ce n’est pas celui que j’avais choisi à la base, mais ça faisait plus vendeur, d’après mon éditeur. Ça s’intitule : « Je ne voulais plus manger » et il est publié aux éditions City, sous mon nom, Caroline Fronteau.

– Quel titre souhaitais-tu, toi ?

– Moi, je l’avais intitulé « Faim de vie ».

– Pas mal ! Pourquoi ils ne l’ont pas gardé ?

– Ils ont dit qu’il n’y a que les auteurs qui aiment bien les jeux de mots et que les gens risquaient de ne pas comprendre tout de suite… Par ailleurs, la couverture ne me plaît pas non plus. Je voulais envoyer un vrai message d’espoir, or je trouve que cette couverture fait très médical. La personne qui figure dessus n’a pas l’air bien dans sa vie, alors que je désirais envoyer un message positif. J’ai trouvé que l’éditeur a un peu trop joué sur le côté misérabilisme, accrocheur, choc. Ceci étant, c’est mon interprétation personnelle ! Je suis très contente qu’ils l’aient publié, ce n’est pas pour critiquer.

– Il s’agissait sans doute aussi de savoir de quoi ça parle.

– Oui et puis là, j’évoque mon regard à moi, mais ils ont raison ! L’important, c’est que les gens achètent le livre. Ce qui m’importe, c’est le contenu, alors que là, nous n’évoquons que l’emballage.

Le mot de la fin pour ceux qui espère se réconcilier avec la nourriture

– Tout à fait. Avant que nous nous quittions, Caroline, aurais-tu un dernier message à faire passer ? Y a-t-il quelque chose que tu veux absolument dire et que tu tiens absolument partager ?

– À tous ceux qui sont au cœur d’un trouble alimentaire et qui ont l’impression que nous n’en sortons jamais, j’aimerais leur dire que si si, à un moment donné, ça ira mieux. Je pense que se focaliser sur l’alimentation et le poids pour guérir, c’est important, bien sûr. Quand nous sommes dénutris, le cerveau ne fonctionne plus normalement et il y a un réel besoin de retrouver un certain poids. Mais je pense que c’est d’abord une question psychologique. Il ne faut pas oublier un point, en tout cas pour l’anorexie : on parle d’anorexie mentale. Ça touche d’abord un problème psychologique, donc il faut d’abord traiter ce problème-là. Si vous ne faites que régler la question du poids et manger pour manger, ça ne réglera pas la problématique de fonds.

– Tu as raison de préciser que c’est important. J’ai envie de dire que le poids et l’alimentation ne sont que la surface, même si cette surface est très importante. Comme tu le disais : il peut y avoir un danger de mort. Mais il n’empêche que le fonds du problème n’est pas là.

– C’est ça. Le fonds du problème n’est pas là et je reste persuadée que le corps est bien fait : quand ça va mieux dans la tête, il suit ! Quand j’ai perdu mes 3 kilos, même si j’aurais dû m’arrêter là, c’était parce que j’étais bien dans ma vie. Ce n’était pas en faisant un régime. C’est aussi pour ça que je pense que ce que je dis est valable que l’on veuille prendre ou perdre du poids. Dans les 2 cas, avoir des aides et des outils, c’est bien, mais il y a une grosse part de psychique qui entre en jeu.

– Je te remercie beaucoup, Caroline, d’être venue partager ce moment. Je te souhaite une bonne continuation, ici à Dourdan ou peut-être ailleurs ! 😉

– Merci encore à toi, Anne !

Nous voici à la fin de cet article ! J’espère que le témoignage de Caroline vous aura inspiré si vous souffrez d’anorexie mentale ou cherchez à apaiser un trouble du comportement alimentaire. N’hésitez pas à vous procurer son livre, paru aux éditions City en février 2020 : « Je ne voulais plus manger ». De mon côté, je reste disponible via mon site internet et mon compte Instagram si vous souhaitez témoigner à votre tour ou pour toute question sur mes accompagnements.

9 réponses

  1. Merci pour ce post qui pourrait etre mon histoire tellement tout est pareil…le départ de la maison pour les études, la balance pour peser les aliments et non pas pour se peser, etre “le centre des attentions”……j’aurais beaucoup aimé avoir les coordonnés ou au moins son compte instagram pour pouvoir échanger avec elle……toutefois merci Anne pour ce magnifique témoignage

    1. Bonjour,
      Ce serait avec plaisir pour échanger. Mon compte Instagram est Caroline.Peiffer.auteure ! N’hésitez pas à m’écrire !
      Très bonne journée ☺️

  2. Mille merci pour donner corps à ces douleurs et ces pérégrinations autour des professionnels et des hospitalisations.. et cet attachement à la case balance qui enserre le corps dans un carcan infernal et contribue à augmenter ce contrôle permanant.
    Merci pour ce partage, cette lucidité, cette audace je dirais même.. et cette invitation à plonger dans l’univers vivant et singulier de l’être incarné, reapproprié.
    Serait il possible d’échanger également avec vous ? Sur votre parcours ?
    Un grand merci,
    Lilly.

  3. Ce témoignage fait écho à mon histoire sur plusieurs points. Et lire que ça peut allez mieux, c’est riche d’histoire. Alors merci !

    1. Merci Fanny pur ce retour, très heureuse que le témoignage de Marina puisse vous accompagner dans votre processus 😊

  4. Merci pour ce magnifique témoignage !
    J’aimerais beaucoup échanger avec Caroline et imaginer -si elle est d’accord- une intervention avec mes élèves (lycée).
    Belle journée 🙂

    1. Bonjour ! Merci pour votre commentaire que je transmets à Caroline 😊
      Oh oui, la prévention chez les adolescent.es est primordiale !! Merci d’y penser, merci pour vos élèves 🤩

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