Bienvenue dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir ». Aujourd’hui, nous allons écouter parler d’anorexie et de boulimie avec le témoignage d’Inès. À 26 ans aujourd’hui, Inès a souffert de troubles des conduites alimentaires pendant plus de 10 ans. Cela a commencé au collège, alors qu’à 13 ans, les enfants autour d’elle ne lui laissaient pas une journée sans lui parler de son apparence physique. Vivant ce harcèlement jusqu’à la fin du collège, Inès a fait son premier régime l’été entre le collège et le lycée. À la rentrée, elle a reçu tellement de compliments qu’une croyance s’est installée : « Si tu es mince, tu es appréciée et si tu es grosse, tu es harcelée. » Un régime hypocalorique est arrivé quelques années après, avant qu’une relation amoureuse toxique ne fasse plonger Inès dans l’anorexie. Il a ensuite fallu de nombreuses années pour sortir de ses TCA. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir l’histoire de sa boulimie via le témoignage d’Inès.
« J’ai 26 ans. J’ai souffert principalement d’anorexie, mais aussi de boulimie pendant une dizaine d’années. »
« Quand j’étais en classe de troisième, j’avais un léger surpoids. Je m’appelle Inès, donc le petit surnom qu’on m’avait donné, c’était « Inès la grossesse ». Donc toute la journée, j’étais là : « OK, tu es grosse, tu es grosse, tu es grosse. ». »
« La descente aux enfers, elle a commencé avec une relation amoureuse que j’ai eue. Cette personne-là, un jour, m’avait dit « J’aime pas les filles grosses. C’est bien, toi, tu n’es pas grosse. ». « OK, il n’aime pas les filles grosses, donc il faut absolument que je sois la fille la plus mince qui n’ait jamais vu de sa vie. »
« Tous les jours, j’avais ce message d’alerte : « Attention, vous mangez au-dessous de vos apports journaliers. ». « C’est bien, tant mieux, continuons. ». »
« J’avais des compulsions alimentaires, mais comme je n’acceptais pas de prendre du poids, je me restreignais ensuite. Et finalement, ce qui m’a fait sortir de la boulimie, c’est le confinement. J’avais plus peur du jugement, parce que je me disais « c’est OK, je suis chez moi, Personne ne me voit. ». »
« Je me suis dit « Mais quand tu grossis, tout le monde s’en fiche. Les trois choses, c’est il y a une vie après le collège, il y a une vie après les TCA et il y a des gens qui sont là pour vous aider. » Donc n’hésitez pas. »
Présentation d’une ancienne boulimique
– Bonjour Inès.
– Bonjour Anne.
– Merci beaucoup à toi de m’accueillir chez toi, où nous enregistrons cet épisode de podcast. J’ai pris mon gros sac à dos et je suis arrivée avec mon fourbi, comme je dis à chaque fois. 😉 Ça faisait un petit moment que je n’étais pas sortie de mon bureau pour enregistrer un épisode du podcast ailleurs que chez moi ! Nous nous sommes connues sur Instagram et je suis super contente de te rencontrer en vrai ! C’est chouette. 😊
– Oui, c’est ça. 😊
– C’est un merveilleux réseau social pour connecter avec de nouvelles personnes. Nous avons déjà échangé par Instagram et par téléphone. Mais d’être là toutes les deux, chacune de son côté de la même table, je trouve ça vraiment chouette.
– Plaisir partagé ! Ça me tenait vraiment à cœur de le faire en vrai, surtout après 2 ans de pandémie mondiale. Ce n’est pas fini, mais nous sommes dans un petit temps de repos, disons. Je suis super content de t’accueillir. C’est trop cool et ça confirme que j’aime beaucoup Instagram, parce qu’on y fait des rencontres chouettes. 😊
– Oui. Avant que nous ne passions à ton histoire avec l’anorexie et la boulimie avec ton témoignage, est-ce que tu voudrais bien te présenter, Inès ?
– Oui, bien sûr. J’ai 26 ans. Mon métier, c’est consultante en stratégie financière chez KPMG. Dit autrement : j’aide les entreprises qui ont des problématiques dans leurs directions financières à restructurer tout ça. Ça, c’est donc ma profession et ça n’a rien à voir avec ce que je fais sur Instagram, qui est beaucoup plus créatif. Pour ce qui est d’Instagram : j’ai créé mon compte « Lâche ton assiette » en janvier 2022. Dessus, je parle beaucoup de troubles du comportement alimentaire, parce que j’ai souffert principalement d’anorexie, mais aussi de boulimie, pendant une dizaine d’années. Voilà pour la présentation ! 😊 À part ça : j’ai un compagnon, nous sommes fiancés et allons bientôt nous marier. Je trouve que c’est important de le dire. 😉
– Félicitations ! C’est un sacré événement qui se prépare.
– Oui. 😊
Harcèlement et début de l’obsession pour la minceur au collège
– Comme je le propose pour chaque témoignage, est-ce que tu serais d’accord de nous raconter tout ton parcours d’une manière chronologique ? Est-ce que ça te convient ?
– Oui, totalement. Si je dis que j’ai souffert de TCA pendant 10 ans, c’est parce qu’effectivement, ça a commencé assez tôt. Selon moi, j’ai commencé à avoir des TCA en classe de troisième. Du moins, c’est ainsi que je le formule et le vois aujourd’hui, avec le recul. J’avais un léger surpoids et on a bien fait de me le rappeler après coup… Tous les enfants à l’école me faisaient beaucoup de remarques à ce sujet. Il n’y avait vraiment pas une seule journée sans que l’un d’eux ne parle de mon ventre ou de mes fesses. J’avais tout le temps des remarques à ce sujet. Comme je m’appelle Inès, le petit surnom qui m’avait été donné, c’était « Inès la grossesse ».
– C’est horrible ! Quand tu dis « on me l’a rappelé », c’est parce que ça t’était sorti de la tête ?
– À l’époque, oui. En ce moment, le body positivisme est très en vogue et c’est très bien. Quand j’étais en classe de troisième, ce mouvement avait déjà un peu commencé. Il y a 10 ans, je me souviens que c’étaient les débuts. Il commençait à y avoir des blogs où des filles un peu rondes mettaient des photos d’elles. À l’époque, je commençais déjà à avoir un rapport sain avec ça. Puis c’est parti en cacahuète, après. Je regardais ces blogs-là et je me disais : « En fait, c’est OK, on n’est pas obligée d’être mince pour être bien. ». Sauf que ça, c’était la théorie. Dans la pratique, je voyais bien que personne ne pensait comme ça et que tous les jours, je recevais des remarques. J’ai notamment un souvenir avec une copine. Un jour, en cours d’arts plastiques, une de mes meilleures amies me prend à part et me dit : « Je te dis ça pour toi, mais ce serait bien si tu maigrissais un peu. ». Je me souviens que j’ai fondu en larmes. Je n’ai vraiment pas pu contrôler, c’était une vraie crise de larmes, d’un seul coup. Tous les jours, je supportais des petites remarques dans ce genre. En plus de ça, j’avais aussi celle de ma mère. Je sentais bien que ça l’embêtait un peu d’avoir une fille en surpoids. C’était des petites remarques, du type : « Tu mets vraiment cette taille de pantalon ? Tu devrais faire un peu attention… ». Bref, c’étaient des remarques continuelles et c’est important de l’avoir en tête pour bien comprendre mon anorexie, ma boulimie et mon témoignage. De plus, ma mère était tout le temps au régime. À l’époque, elle s’était lancée dans le régime Dukan. Du coup, à 14 ans, je voyais que ma mère ne mangeait pas comme nous et qu’elle perdait du poids. Je pense que ça m’a donné des idées. Donc je ne sais pas, ça me donnait un peu des idées. À mes yeux, mes TCA ont commencé comme ça, à cause de toutes ces remarques perpétuelles. Toute la journée, je me répétais : « OK, tu es grosse, tu es grosse, tu es grosse. ». Quand enfin je rentrais chez moi le soir… je n’avais pas d’éducation alimentaire. Je n’avais aucune idée de ce qu’étaient les calories, pas même celles que nous dépensons en pratiquant du sport. Je n’étais pas du tout dans la culture des régimes. J’avais faim donc je mangeais, c’est tout. Je n’avais pas spécialement de pensées de culpabilité, puisque je ne suivais pas mon poids. Il n’y avait pas trop de sujet là-dessus.
– Cela malgré le fait que tu voyais quand même ta mère contrôler son alimentation ? Mais tu te disais : « c’est elle », c’est ça ?
– Oui. J’étais totalement dénuée de pensées de régime. Cependant, j’avais quand même un comportement pas tout à fait sain car je mangeais des quantités alimentaires conséquentes pour mon âge. Surtout, je ne les mangeais pas parce que j’avais faim, je les mangeais vraiment parce que je ressentais un mal-être. C’est pour ça que je pense, avec du recul, que c’était de l’hyperphagie, même si à l’époque, je n’avais pas du tout formalisé ça comme ça. Bien sûr, je n’essayais pas de régler le problème.
– En t’écoutant, moi j’y vois vraiment une solution, un réconfort que tu trouvais dans l’alimentation durant cette période de harcèlement… Je ne sais pas si tu es d’accord avec ce mot-là ?
– Si : pour moi, c’était totalement du harcèlement. Depuis, j’ai fait tout un travail là-dessus. J’ai vu des psychologues. Là, ça va aller, mais il y a plusieurs fois où je me suis mise à pleurer en parlant de ça. Même 10 ans après, c’était automatique, parce que ça a tellement été une période triste dans ma vie que c’est dur d’en parler.
– Je comprends, c’est hyper marquant.
Le lycée et les compliments après le premier régime
– Exactement, c’est hyper marquant. Ce fut vraiment le terreau favorable pour le début de mes TCA. À la fin du collège, je savais que je rentrais au lycée. Durant l’été entre la 3e et la 2de, je m’étais vraiment faite à l’idée que beaucoup de mes harceleurs ne seraient plus avec moi au lycée. C’était un moyen de recommencer à zéro. C’était la nouvelle moi. Durant cet été-là, j’ai fait mon premier régime, mais ce n’était pas du tout un régime où je comptais mes calories. C’était assez sain. Enfin… je ne sais pas si c’était sain, mais en tout cas, ce n’était pas aussi malsain que ce qui allait arriver ensuite. J’étais tombé sur un livre débile. Enfin débile… tu vois ce que je veux dire. 😉 Il était dans les rayons d’un Carrefour et ça s’intitulait : « Le corps de rêve pour les paresseuses », quelque chose comme ça.
– Oui, je vois le genre.
– C’était tout mignon, disons. Je le prends, je le feuillette. C’était une sorte de programme sportif, du type : la première semaine, marchez cinq minutes, la deuxième semaine, courez 10 minutes. C’était vraiment tout gentil. Il n’y avait rien de spécial là-dedans. Mais juste en faisant ça, j’ai perdu du poids et du coup, je suis arrivée en classe de 2de en ayant perdu tous ces kilos qui faisaient que j’étais en surpoids. J’avais un poids normal. À la rentrée, tout le monde m’a fait des compliments. Tous les gens qui me connaissaient du collège ont dit : « Olala, tu as perdu du poids, tu es trop bien comme ça ! Tu es plus belle, tu es ceci, tu es cela. » Vraiment, il n’y a pas eu une seule fois sans que quelqu’un que je connaissais ne me voit sans faire de réflexion. Ça aussi, c’est très important pour comprendre mes TCA, ma boulimie et mon témoignage. C’est ça qui a fait que j’ai tout de suite eu cette pensée qui est que quand tu es mince, tu es appréciée et si tu es grosse, tu es harcelée. Ça, ça ne m’a jamais quittée. Mon lycée s’est passé normalement. Je n’avais plus de compulsion alimentaire et j’avais une alimentation normale. Je ne me restreignais pas. J’avais juste perdu du poids, j’avais un corps « dans la norme » et je vivais ma vie normalement.
– Je te coupe dans ton récit, mais je me pose une question. Avec le recul, quand tu revois des photos de toi en troisième, te trouves-tu grosse ? Comment tu te vois maintenant, ton corps de 15 ans ?
– C’est ça que je trouve horrible ! Pour moi, je n’étais pas grosse. J’avais un léger surpoids certainement, même si je ne me souviens même plus du poids que je faisais. Je trouve que l’IMC est un indicateur qu’il faudrait totalement revoir. Mais si on prenait mon poids et ma taille de l’époque, ça indiquerait un léger surpoids. Mais ce n’était rien de dramatique ! Je n’étais pas du tout ce qu’on peut définir comme quelqu’un de gros. J’avais juste un petit ventre, oui. J’étais une ado…
– Et oui, tu étais en pleine croissance !
– Oui, mais on me rappelait tout le temps qu’il était là. J’étais d’assez petite taille et ça jouait… À l’époque, je faisais une taille 38. C’est une taille totalement dans la norme, je pense. Mais je me souviens que j’avais des copines qui ne me croyaient pas. Elles disaient : « Mais non, tu ne fais pas un 38. » et je devais leur montrer mon pantalon : « Si, je fais du 38. ». Je pense qu’un 38 sur quelqu’un peut-être 1m50 ou 1m55, ça semble sans doute plus large que sur une fille qui mesure 1m70. C’est normal, mais non, je n’étais clairement pas si grosse que ce que leurs discours pouvaient laisser croire. D’ailleurs, je ne pense pas avoir perdu énormément de poids durant l’été entre le collège et le lycée. C’est juste que comme j’étais petite de taille, même si j’avais perdu entre 3 et 5 kilos, ça a dû se voir tout de suite.
– Oui, c’était flagrant.
Reprise de poids due à la pilule et le comptage des calories
– Vraiment, je n’avais pas perdu de poids en me restreignant plus que ça. Je m’étais juste mise au sport. Pendant toute la période du lycée, tout ça était assez normal. Je n’avais pas de problème. La rechute est arrivée en classe de terminale. À 17 ans, j’avais énormément d’acné et mon médecin traitant a cru bon de me mettre sous pilule. J’en ai pris une qui n’est plus du tout sur le marché aujourd’hui : Diane-35. Effectivement, je n’avais plus d’acné… mais ça m’a surtout fait prendre 10 ou 15 kilos. Là, mes vieux démons sont revenus. Néanmoins, personne ne faisait de remarque. Cette fois-ci, il n’y avait pas de harcèlement. Mais par contre, de moi à moi c’était horrible, parce que j’avais mes vieux traumatismes du collège qui revenaient. Je me disais : « Tout va revenir. Je suis redevenue grosse. Tout ça pour ça… ». J’avais plein de pensées horribles. Mais j’étais en terminale et le bac approchait, donc je ne me posais pas plus de questions que ça. D’autant plus que mon alimentation n’avait pas changé ! C’étaient vraiment juste les hormones qui étaient à l’origine de cette reprise de poids. Quelles que soient mes tentatives, rien ne changeait : mon poids restait tel quel. Après, je suis allée en prépa. Même scénario : j’ai gardé mes petits kilos en plus, sans me poser plus de questions que ça. Quand ma prépa s’est terminée, juste avant de passer les oraux pour les écoles de commerce, j’avais en tête le fait que j’allai passer des examens oraux… et donc être devant des gens.
– Et oui… Ces personnes allaient donc te voir.
– Exactement. « Ils vont me voir, je ne pas rester comme ça. Il faut que je maigrisse, que je sois présentable ! ». À quelques mois de mes concours écrits, j’ai commencé un régime, vraiment axé sur le comptage de calories. Une fille de ma classe m’avait parlé d’une application, qui s’appelle MyFitnessPal et qui permet de compter ses calories.
– La fameuse appli de comptage…
– Exactement. Elle m’avait montré ça et moi, comme je n’étais pas bien dans mon corps, forcément, je me suis dit : « C’est intéressant. C’est quoi, ça, les calories ? ».
– D’accord. Tu débarquais complètement, sur ce sujet.
– Exactement : je débarquais complètement ! Je n’avais aucune, mais vraiment aucune éducation alimentaire. J’étais une mangeuse intuitive. Je mangeais quand j’avais faim. Quand je n’avais plus faim, je m’arrêtais de manger. Je mangeais ce qui me faisait plaisir. Là, je découvrais cette application et le principe des calories : « OK, dans tous les aliments que je mange, il y a des calories. Quand je mange tel aliment, ce n’est pas la même chose que tel autre aliment. ». C’est là que mes troubles alimentaires ont commencé. Ça a quelque chose de débile, mais de savoir que, si tu manges des biscuits à 10 h, ça fait tant de calories… et bien tu arrêtes de manger les biscuits. Quand quelqu’un te les propose, tu dis non. Quand tu sais que le pain c’est tant de calories, à la cantine, tu finis par ne plus prendre de pain. J’étais rentrée dans le cercle infernal. Avant d’être une histoire de boulimie, mon témoignage, c’est aussi ça. Je me souviens à l’époque, quand je rentrais chez moi le soir, je ne prenais plus de goûters. Je prenais directement un dîner. Mais là encore : mon dîner était un repas très regardé. C’était tant de tomates, tant de ça, tant de ci. Je faisais les choses bien. Tous les jours, je respectais mon total calorique.
– Comment l’avais-tu fixé, d’ailleurs, ce total ? Il venait de l’application ?
– Oui. D’ailleurs, tant que nous parlons de ça… Alerte pour toutes les personnes qui écoutent ce podcast : premier conseil : ne téléchargez jamais ce genre d’application ; deuxième conseil : évitez MyFitnessPal, c’est la pire chose du monde.
Quand nous créons un compte, nous devons dire quel est notre objectif. Je n’ai plus aucune idée de l’objectif que j’avais mis, mais forcément, vu que je voulais perdre du poids très vite, je pense que ça devait être quelque chose comme : « perdre un kilo par semaine ».
– Oui, ça correspond à une perte de poids très rapide.
– De mémoire, le nombre de calories qui m’avait été proposé devait être 1 200 calories. Aujourd’hui, je sais que ça correspond plutôt au besoin de calories d’un enfant. En tout cas, c’est très peu.
– C’est assez classique… Je n’ai pas d’exemple précis, mais c’est ce chiffre en tête pour les régimes hypocaloriques.
La facilité à tenir un régime dans une période d’études intenses
– Oui, c’était complètement un régime hypocalorique. À ce moment-là, j’étais en prépa, donc c’était très différent de ma vie d’aujourd’hui. Maintenant, je ne ferais pas ça. Préparer ses repas pour 1 200 calories, c’est possible, mais dans la vie de tous les jours, il y a les restaurants, la vie sociale, etc. Aujourd’hui, il y aurait plein de choses qui feraient que je ne respecterais pas ce régime et que je me dirais : « Laisse tomber, c’est impossible à tenir. ». Mais en prépa, c’était simple : je n’avais pas de vie sociale. Il n’y avait que mes études qui comptaient. Je n’avais aucune activité dans ma vie, à part mes études. Ce régime, c’était presque mon « activité extrascolaire de la journée ». Compter mes calories, c’était rigolo.
– Oui je comprends : l’application a un côté ludique.
– Voilà, c’est ça. Quand je voyais que j’avais respecté, j’étais très fière de moi. Et puis surtout : ça marchait ! Tous les jours, je perdais du poids. C’était vraiment un jeu pour moi.
– En t’écoutant, j’entends quelque chose de grisant, en effet.
– Au final, j’ai perdu du poids hyper vite : en 3 mois, j’ai dû perdre facilement 10 kilos. J’étais redevenue mince. Je n’étais pas encore dans ma période d’anorexie, qui arrivera juste après, mais j’étais vraiment mince, voire très mince. D’ailleurs, beaucoup de personnes m’avaient fait la remarque en prépa. Les gens commençaient un peu à s’inquiéter. Encore une fois, vu que je ne suis pas très grande, la moindre perte de poids se voit très vite. Du coup, les gens s’inquiétaient un peu. Moi je le vendais en disant : « Je fais juste attention à mon alimentation, il n’y a rien de grave. ». Ça, c’était donc en prépa. Ensuite, je suis arrivée en école de commerce, mince donc. Je commençais ma vie étudiante, tout allait bien. Là, la descente aux enfers a commencé, avec une relation amoureuse. Je précise que j’ai été biberonnée aux séries américaines, avec l’image de leur vie dans les campus, tout ça. Mes profs en prépa m’avaient aussi vendu ça. On m’avait toujours dit : « La prépa, c’est dur. Ensuite, vous allez voir que l’école de commerce, c’est la chaise longue. Ça sera la meilleure période de votre vie. ». Du coup, moi j’étais vraiment arrivée en école de commerce en me disant : « Ça y est, ma vie commence. Je vais avoir plein d’amis, je vais faire plein de soirées, je vais avoir un copain merveilleux. ». Je suis allée à mon premier week-end d’intégration et je pense que je me croyais dans un film. Nous étions sur la plage et il y avait un garçon qui était le cliché du garçon dans les séries américaines. Il était brun, beau, musclé, souriant. Tout le monde l’aimait, c’était le capitaine d’une équipe… Moi, dans ma tête, j’étais une pom-pom girl et ça, c’était mon copain. Du coup, je me suis vraiment jetée dans les bras de ce garçon. Petite alerte pour les personnes qui lisent ce témoignage : c’est très mauvais d’aimer tout de suite quelqu’un et surtout de le mettre sur un piédestal tout en ne vous appréciant pas, vous. À cette période-là, même si ça y est, j’avais enfin perdu du poids, je n’avais aucune confiance en moi. Vraiment, je n’avais aucune estime de moi-même. Par contre, cette personne, j’avais une très haute estime de lui. Au début, tout allait bien. C’était vraiment une relation parfaite. Je le dis à chaque fois que j’en parle : les 2 premières semaines avec lui, c’était vraiment parfait. Il n’y avait aucun problème. Il cochait toutes les cases. Après, il a commencé à se rendre compte que je l’aimais beaucoup et que je l’avais aimé très vite.
– Toi, tu avais mis toute ta vie entre ses mains. C’est ce qui me vient quand je pense à ton « attention ». C’était un rêve qui se réalisait et tu étais tellement heureuse de ça…
– Oui. Il n’avait rien besoin de faire de spécial pour ça, parce que pour moi, il était parfait. Je trouvais déjà incroyable qu’il ait accepté d’être en couple avec moi. Je me disais : « Ouah, je suis cette fille dans les séries américaines qui n’a rien de spécial. ». C’est à cause de ça qu’aujourd’hui, je trouve que toutes les séries et comédies romantiques qu’on voit, c’est malsain. Ça donne un si mauvais modèle de l’amour aux jeunes filles… Pour moi, il était la personne parfaite et moi, j’étais un peu la personne qui n’est personne. Je lui ai vraiment donné beaucoup d’amour, mais lui n’était pas amoureux de moi. J’étais vraiment son petit jouet. Très vite, il s’est rendu compte qu’il pouvait tout faire et que tout pouvait passer. Il pouvait me tromper, j’acceptais. Il pouvait me mentir, j’acceptais. Il pouvait me dire de venir à telle heure du jour ou de la nuit, j’acceptais. Il pouvait m’appeler quand il voulait. En plus, j’étais un peu sa psy : dès qu’il avait le moindre problème, il me racontait tout. Je devais le conseiller. Lui, par contre, il ne m’aidait jamais pour rien du tout. J’étais à sa merci. Très vite, il m’a dit : « À un moment, je vais te briser le cœur. » Et c’est effectivement arrivé. Du jour au lendemain, il m’a quittée parce qu’il avait trouvé une autre fille qu’il trouvait plus sympathique. Il m’avait dit : « Tu sais, moi, j’ai besoin de trouver la femme de ma vie. Je pense que tu n’es pas la femme de ma vie. C’est peut-être plutôt elle. Dans le doute, arrêtons là. ». Moi, j’étais vraiment folle amoureuse et cette rupture a été très compliquée pour moi. C’est ça qui a fait que je suis tombée dans l’anorexie, car un jour, il m’avait dit : « Je n’aime pas les filles grosses. C’est bien, toi, tu n’es pas grosse. ». Mais dans mon passé, je l’avais été. J’étais une ancienne fille grosse (même si, encore une fois : je n’étais pas grosse, au fonds).
– Oui, mais dans ta tête, tu étais toujours une fille grosse.
L’envie de mincir pour plaire, par amour
– Exactement : dans ma tête, j’étais une fille grosse. Une fille grosse qui avait certes perdu du poids, donc qui ne l’était plus, mais qui pouvait toujours le redevenir. Du coup, je m’étais dit : « Oh mon Dieu, il n’aime pas les filles grosses. ». Au moment où il m’avait dit ça, j’avais commencé à refaire plus attention. Puis, quand il m’a quitté, je me suis dit : « OK, il n’aime pas les filles grosses, donc il faut absolument que je sois la fille la plus mince qui n’ait jamais eu de sa vie. Comme ça, il va vouloir revenir avec moi. Il va se rendre compte que cette autre fille avec qui il veut être, elle n’est pas aussi belle que moi. ».
– Tu te l’ais dit consciemment ça ?
– Oui, je me le suis dit hyper consciemment. Vraiment, le lendemain matin, j’avais pris une décision : « Allez, go, là, je fais vraiment le régime de ma vie. Je m’inscris à la salle de sport. ». En plus, le mouvement fitness commençait à vraiment émerger. J’ai commencé à suivre plein de comptes sur Instagram, que je trouve hyper malsains maintenant. Comme je n’étais plus chez mes parents, c’était super simple : je faisais mes propres courses et j’allais à la salle quand je voulais. Je faisais énormément de sport. Petit à petit, j’ai recompté mes calories, comme quand j’étais en prépa. Mais là, c’était beaucoup plus drastique et que j’avais des règles alimentaires hyper strictes… Encore une fois, je partage un autre avertissement : ne suivez pas ce genre de conseils fitness ! À l’époque, j’avais été jusqu’à totalement arrêter de manger des féculents. Je m’étais auto persuadée que les féculents, ce n’est pas utile. J’ai remarqué une sorte de biais de confirmation à ce sujet. Comme je voulais me persuader que les féculents ne sont pas utiles, je passais mon temps à faire des recherches Google, du type : « En quoi les féculents sont mauvais pour la santé ? ». Je ne lisais que des articles confirmant ça. J’ai donc arrêté des féculents, puis ce fut : « Le petit-déjeuner, ce n’est pas forcément utile non. » et je me suis mise au jeûne intermittent.
– Et c’est au moment de ces décisions que le cerveau se branche sur le biais de confirmation et que tu te mets à trouver toutes les informations qui vont dans le sens de tes croyances…
– Oui, c’est ça. Après, c’était : « L’huile n’est pas forcément utile. ». Tous les trucs « à éliminer », je pensais à les éliminer. Au final, je les ai tellement éliminés que cette fameuse l’application elle-même me disait que je ne mangeais pas assez. Je ne sais pas combien de calories je prenais dans une journée, mais je n’arrivais pas aux 1 200 calories, c’est sûr. Tous les jours, j’avais ce message d’alerte : « Attention, vous mangez au-dessous de vos apports journaliers. ». Mais bien sûr, je le prenais plutôt ainsi : « C’est bien, tant mieux. Continuons ».
– C’est la logique du : « toujours ça de gagné. ». J’ai souvent entendu cela. Ton anorexie, ta boulimie et ton témoignage sont des exemples parmi tant d’autres de ce type de pensées.
La fin du déni sur l’anorexie face à l’inquiétude des proches
– Exactement ! J’ai fait ça pendant des mois. Là encore, j’ai perdu énormément de poids. Je ne vivais plus chez mes parents, mais j’y revenais à chaque vacance scolaire. À chaque fois, ils voyaient que j’avais perdu du poids. Au début, ils disaient seulement : « Elle a perdu un peu de poids, c’est sûrement parce qu’elle fait plus de sport. ». Mais à chaque vacance, j’avais perdu du poids, j’avais perdu du poids, j’avais perdu du poids. Aux vacances de Pâques, je pense que j’étais vraiment arrivée à mon poids le plus bas. Je devais peser 43 kilos. Je rappelle que j’avais commencé l’école de commerce en étant mince, en ayant déjà perdu du poids avant. Je devais peser peut-être 53 kilos. Là, j’en avais perdu 10 de plus. J’étais vraiment anorexique au sens très médical du terme, c’est-à-dire qu’avec ce poids, j’avais vraiment à un IMC très bas. Mes parents ont commencé à s’inquiéter et à me dire clairement qu’il y avait un problème. Moi, de toute façon, j’étais dans le déni, je répondais : « Non, il n’y a pas de problème, tout va bien. ». Mais à un moment, je me suis retrouvée malgré moi face au problème. Je prenais la pilule, donc je devais renouveler l’ordonnance et mon médecin traitant exerçait près de chez mes parents. Je le consultais donc régulièrement lors des vacances scolaires. À chaque fois, il me pesait et à chaque fois, mon poids avait baissé. Avec sa courbe, forcément, il l’a vu et il m’a dit : « Ton poids, ce n’est même plus qu’il est en train de baisser. C’est que là, ton IMC est trop faible. Tu es en sous-poids. Est-ce qu’il y a un problème ? Qu’est-ce qu’il se passe ? ». Je commençais alors à ne plus être dans le déni parce que mes parents m’avaient fait la remarque, puis que lui m’avait fait cette remarque de façon ferme. Mes amies de l’époque m’avaient eux aussi fait la remarque. Elles étaient venues voir pendant une soirée et elles m’avaient dit : « Les gens s’inquiètent, ils ont peur. Nous voyons bien que tu as beaucoup maigri. ». Il commençait à y avoir beaucoup de personnes dans mon entourage qui s’inquiétaient. Ma meilleure amie et moi nous étions disputées à l’époque, elle m’avait que j’avais un problème. Mais j’étais vraiment dans le déni à ce moment-là. Je me disais « Non, je n’ai pas de problème. Je fais juste attention à mon alimentation. ». J’étais complètement…
– Tu avais ces œillères.
– Oui, j’avais ces œillères, les fameux biais de confirmation.
– Physiquement, comment te sentais-tu ? Tu étais affaiblie ou est-ce qu’il te restait une certaine pêche ?
– Je n’étais même pas affaiblie, tellement persuadée que je faisais les choses bien. De plus, je ne voyais pas vraiment ça comme de l’anorexie. Je pense que c’en était parce qu’il y avait clairement cette peur de prendre du poids. Le fait est que j’étais obsédée par la balance et que je faisais très attention à mon alimentation pour cette raison. Mais moi, au début, je l’avais plutôt formalisé comme de l’orthorexie, parce que je me disais : « C’est juste que je mange sain. ». Maintenant, avec le recul, je sais que non, franchement, je ne mangeais pas sainement. J’avais éliminé la totalité des féculents et du gras. À un moment, je m’étais dit que même les fruits, c’était mauvais parce que c’est du sucre… Clairement, ce n’est pas de l’orthorexie. Les gens souffrant d’orthorexie ont plutôt les bons apports caloriques.
– C’est ça, c’est l’obsession du manger sain.
– Voilà, donc moi c’était clairement de l’anorexie. Mais moi, à l’époque, j’avais l’impression de « juste manger sainement ».
– Et physiquement, tu ne sentais rien, d’accord. Quand tu te regardais dans la glace, tu ne te voyais pas si maigre ?
– Non, pas du tout. En fait, ce sont les autres qui me le faisaient remarquer.
– D’accord, c’est venu de l’extérieur.
– Moi, je ne me voyais pas maigre. D’ailleurs, je me souviens qu’à l’époque, j’avais un compte Twitter sur lequel je parlais de mon régime. Je racontais un peu ma vie et ce que je mangeais. C’était très répandu, à ce moment-là. Il y avait des comptes pour ça. À un moment, j’avais posté un avant/après, qui avait super bien marché. J’avais eu plein de commentaires : « Comment tu as fait ? », « Trop bien. », « Super. », etc. Plus tard, j’ai donc posté un nouvel avant/après, avec mon nouveau poids. Mais là, dans les commentaires, je n’avais plus que des gens qui me disaient : « Mais tu es trop maigre. Est-ce que tout va bien ? On s’inquiète. » Ce n’était plus du tout les mêmes réactions. Avec tout ça, je commençais à me dire : « OK, c’est peut-être bizarre. ». C’est là que je suis sortie de mon déni et que je me suis dit que j’avais un problème. Mon médecin avait notamment fait un courrier pour l’un de ses confrères : “Je vous envoie Madame Untel, qui souffre d’anorexie. Poids en baisse depuis…” »…
– Il avait posé le diagnostic.
Le passage de l’anorexie à la boulimie dans le témoignage d’Inès
– Oui, et il m’avait orienté chez un médecin dans une clinique spécialisée. Je n’étais plus dans le déni, mais il a laissé place à une autre phase lors de laquelle il me fallait accepter la nécessité de guérir. Avec le diagnostic, c’était presque pire parce que du coup, tout le monde était au courant. Tout le monde savait qu’ils avaient raison. Mes parents ont commencé à hyper surveiller tout ce que je mangeais et mes amis aussi. C’était assez compliqué aussi comme période. Ce médecin-là m’a mis la vérité devant les yeux. Il m’a dit : « Vous ne pourrez pas être comme ça toute votre vie. Vous avez un poids trop faible. Vous n’avez plus vos règles. Votre poids de forme, c’est ce poids-là. Il va falloir reprendre du poids. ». On dit souvent que la perte de poids, c’est compliqué, mais que la prise de poids, c’est très compliqué aussi et c’est vrai. Il m’a fallu beaucoup de temps pour reprendre du poids. Comme je l’ai dit, je ne me voyais pas mince… jusqu’au moment où je me suis vue mince, et même très maigre. Ce qui a été très malsain, à cette période-là, c’est que je me suis remise en couple avec le fameux ex, dont nous avons parlé tout à l’heure. Il a bien vu que j’étais très maigre et du coup, je lui ai expliqué mon problème et pourquoi j’avais perdu du poids. Il n’a pas du tout été compréhensif et il m’a dit : « C’est horrible. Il faut vraiment que tu regrossisses. ». De la même façon que j’avais perdu du poids dans l’espoir de le récupérer, là, j’avais tellement peur qu’il me requitte, que je me suis dit « Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, il faut vite que je reprenne du poids. ». C’est comme ça que je suis tombée dans la boulimie. Comme je n’arrivais pas à reprendre du poids, je remangeais beaucoup. Je réintroduisais plein d’aliments, je me faisais d’énormes petits-déjeuners avec lui, je mangeais vraiment beaucoup… Mais je n’arrivais pas à reprendre du poids. Ça remontait vraiment doucement. J’ai commencé à me forcer à manger des aliments très caloriques comme des glaces, des barres chocolatées, etc. Je me rendais compte que ces aliments étaient très bons et je me disais : « De toute façon, tu es mince, il faut que tu manges, donc vas-y, fais-toi plaisir. ». C’étaient vraiment des compulsions alimentaires. Je n’arrivais plus à m’arrêter et mon poids s’est mis à monter très vite… et j’ai paniqué.
– Tu as eu peur, c’est compréhensible.
– Je me suis dit : « Oula, qu’est-ce qu’il se passe ? Il ne faut pas non plus aller si vite ! ». C’est là que j’ai commencé à compenser mes excès alimentaires. Je me disais : « OK, tu as mangé tout ça. Demain, tu manges moins ou demain, tu fais du sport, ou tu prends du thé. ». J’avais plein de méthodes de ce type et je suis passée de l’anorexie à la boulimie. Comme je compensais, finalement, je ne prenais pas tant de poids que ça. Je me suis alors dit : « Ouah, c’est trop bien. Je ne suis pas obligée de me restreindre. Je ne suis pas obligée d’être dans ce cercle infernal où je ne mangeais rien. Je peux manger comme tout le monde. Je peux me péter le bide si j’ai envie. L’important, c’est que le lendemain, je fasse attention. ». Si je tiens à parler de boulimie avec ce témoignage, c’est aussi pour avertir que ce passage d’un TCA à l’autre est courant. Ça a été très dur d’en sortir. Heureusement, je me suis séparée de ce fameux ex. Je me suis ensuite mise en couple avec mon compagnon actuel. Lui, pour le coup, il m’a beaucoup aidée dans mes troubles du comportement alimentaire. Il a été hyper compréhensif. Finalement, je n’ai réussi à guérir de ce TCA qu’assez récemment, ce qui me permet aujourd’hui de vous parler de ma boulimie avec ce témoignage.
– Pendant cette période-là, tu continuais à être suivi médicalement ? Le confrère vers lequel ton médecin traitant t’avait dirigé a-t-il accompagné cette prise de poids ?
– Non, justement, c’est ça la bêtise que j’ai faite. J’ai considéré que la guérison de l’anorexie se ferait juste en reprenant du poids. Je me disais : « Si je reprends du poids et que je n’ai plus de peur alimentaire, c’est bon, je suis guérie. ». Or ce n’est pas vrai du tout. L’anorexie, ce n’est pas juste manger peu. L’anorexie, c’est avoir peur de grossir et être obsédée par le poids. C’est aussi penser beaucoup aux aliments. Or, je n’avais pas du tout réglé tout ça.
– Et oui, c’est loin de n’être qu’une question de poids.
– Non, pas du tout. C’est pour ça que souvent, sur mon compte Instagram, je dis que j’ai souffert d’anorexie, puis d’anorexie-boulimie. Pour moi, il y a un gros lien avec l’anorexie, parce que j’avais encore beaucoup de mécanismes d’anorexique. Souvent, quand je faisais des compulsions alimentaires, c’est parce qu’avant, je m’étais beaucoup restreinte. Je vais quand même ce réflexe de me dire : « Mais avant, tu mangeais comme ça, tu peux bien remanger comme ça une semaine. ». Certains mécanismes qui étaient toujours présents. De même, j’avais toujours vraiment très peur de grossir. Ma boulimie était beaucoup liée à ça. J’avais mes compositions alimentaires, mais comme je n’acceptais pas de prendre du poids, je me restreignais ensuite. C’était un cercle infernal. Ça a duré vraiment longtemps : environ cinq ans. Autant pendant l’anorexie, une fois le diagnostic posé, je savais qu’il y avait un problème et qu’il fallait le régler et j’ai donc essayé de guérir. Mais avec la boulimie, il n’y avait pas du tout ça. Je pensais que j’avais une vie normale.
– Tu pensais : « Je surveille mon alimentation, c’est tout. »
Le rôle du confinement sur le besoin de minceur et la guérison des TCA
– Voilà : « Je surveille mon alimentation. ». Alors que non, il ne s’agissait pas de ça. Quand j’avais des compulsions alimentaires, c’était de grosses quantités de nourriture, je ne mangeais pas pour me faire plaisir et ça n’avait rien de sain. Ce n’est pas : « J’ai envie d’un Paris-Brest. Allons-y, faisons-nous plaisir. ». Non, c’était : « J’ai envie d’un Paris-Brest. Allez, on va en manger cinq. ». Bien sûr, une fois qu’ils ont été mangés, on se déteste. Il m’a fallu très longtemps pour me dire que j’avais un problème et que c’était de la boulimie. Dans ma tête, une boulimique, c’était quelqu’un qui se fait vomir ou qui prenait des laxatifs, etc. Ce n’était pas moi. Moi, c’était juste : « Je fais attention, donc quand j’ai un excès alimentaire, il faut que je fasse du sport. ». J’ai des souvenirs de lendemain de Nouvel An ou de Noël, où je suis allée à la salle de sport à la première heure et où je suis vraiment 2 heures sur le tapis. Ce n’est pas se faire vomir, mais ce n’est pas très loin non plus. Ça, ça a duré très longtemps, comme je le disais. Ce qui m’a fait sortir de la boulimie, c’est le confinement. Ce qui faisait que je me restreignais après des compulsions alimentaires, c’est que le lundi arrivait. J’avais un fonctionnement du type : « OK, le week-end, tu te fais plaisir, mais le lundi… mon Dieu, mon Dieu, il ne faut pas que les gens voient que tu as pris du poids. Il faut faire attention, il faut se reprendre en main ! ». Mais avec le confinement, nous étions enfermés chez nous et il n’y avait pas vraiment de lundi. C’était un dimanche tous les jours. En plus de ça, pendant le premier confinement, il y avait quand même beaucoup de contenu publié autour de la nourriture. Les gens passaient leur temps à faire des cookies, des gâteaux, du pain, etc. Pour les gens souffrant de troubles du comportement alimentaire, c’était hyper compliqué, parce que toute la journée, nous voyions des gens qui se faisaient plaisir, qui mangeaient… Et moi, j’étais là à me demander : « Tout le monde fait des cookies, tout le monde se fait plaisir. Pourquoi moi ne me ferais-je pas plaisir, moi aussi ? »… Et c’est ce qu’il s’est passé. J’en ai fait des cookies, des gâteaux et du pain ! Je me suis autorisée à manger plein de choses. J’allais à la boulangerie et j’achetais tout ce qui me faisait plaisir. Je n’avais plus peur du jugement, je me disais : « C’est OK, je suis chez moi, personne ne me voit. OK, j’ai mangé des cookies. J’ai sûrement pris un kilo, mais personne ne le voit. C’est bon. ». Ce fut à la fois sain et malsain. Je me suis autorisée à manger, mais je faisais des crises tous les jours. Tous les jours, je mangeais beaucoup. Je n’arrivais pas à m’arrêter. Je suis quelqu’un d’assez anxieux et c’était quand même une période qui était très anxiogène. Je compensais tout par la nourriture et j’ai pris énormément de poids… mais je n’ai pas compensé. Je n’ai jamais compensé durant le confinement parce que je n’y arrivais plus et parce que de toute façon, il n’y avait plus de salle de sport. Je ne pouvais plus faire 2 heures de tapis de course. Nous n’avions pas le droit de sortir et si nous sortions, c’était pour une heure maximum, un kilomètre seulement autour de chez nous. Je n’avais aucun moyen de compenser mes excès puisque je compensais tout par le sport. Ce n’était donc plus possible et, logiquement, j’ai pris du poids. À la fin du confinement, bien sûr, j’ai revu des gens. Je pense que j’avais pris entre 5 et 10 kilos facile… Et personne ne m’a fait de remarques. J’ai continué à avoir des compliments sur mes tenues, sur comment j’étais, etc. Au boulot, ça a continué à bien se passer. Tout se passait bien avec mon amoureux aussi. Rien n’avait été impacté : ni mes relations sociales, ni mes relations professionnelles, ni ma relation amoureuse. Du coup, je me suis dit : « En fait, quand tu grossis, tout le monde s’en fiche. » Ça a vraiment été le déclic de ma vie. Je me suis dit : « Attends… tout ça pour ça ? Une grande partie de ta vie tu t’es privée et tu as compensé tous tes excès. Tu as eu peur de partir en vacances, de partir en week-end, de manger une part de pizza de plus… Tout ça pour ça ? Là, tu as mangé plus que tu n’as jamais mangé dans ta vie et du coup oui, tu as pris du poids, mais il ne s’est rien passé. ». C’est comme ça que je suis sortie des troubles alimentaires et que je peux aujourd’hui parler d’anorexie et de boulimie via un témoignage. À partir de là, je me suis tellement donné la permission de manger que je n’ai plus de crises. Je ne dis plus : « C’est seulement pour une certaine durée que je peux manger ça. ». Dans mes crises, il y avait toujours cette idée : « Je me fais plaisir parce qu’après, c’est régime. ». De la même façon, pendant le confinement, je m’étais dit : « Bon, là, je me fais plaisir parce que ce n’est qu’un moment dans ta vie. ». Finalement, ça a duré plus longtemps. En sortant du confinement, comme j’ai remarqué que tout le monde s’en fichait, je me suis dit : « Tu n’es pas obligée de faire des crises tout le temps parce que tu n’es pas obligé de te restreindre ensuite. Tu n’as même pas besoin de perdre du poids, parce que tout le monde s’en fiche. ». C’est là où j’ai vraiment totalement arrêté de me restreindre. Arrêter de me restreindre, ça fait que j’ai arrêté les crises. Tout était lié.
– En fait, tu as cassé le cercle vicieux.
– Oui, c’est ça. J’ai totalement cassé le cercle vicieux.
– En tout cas au niveau physiologique.
Les pièces du puzzle ayant permis de guérir de ses troubles alimentaires
– Exactement. La sortie du confinement fut vraiment une libération, dans le sens où toutes les pensées et croyances que j’avais se sont complètement arrêtées. Dans le même temps, j’ai suivi une thérapie. Il y avait plein de choses imbriquées et ça a complètement normalisé mon rapport au corps et à l’alimentation. Depuis, je n’ai jamais spécialement essayé de perdre les kilos que j’avais pris au confinement. Tout s’est régulé naturellement. Aujourd’hui, je me pèse plus, donc je n’ai aucune idée de mon poids, mais finalement, je reporte normalement des vêtements qui étaient un peu serrés en sortie de confinement. Il n’y a plus aucun sujet ! Plein de copines me font la remarque. Moi, je ne le remarque pas, tellement c’est naturel et fluide désormais. Je n’ai plus aucun problème ni sujet avec l’alimentation. Quand je vais au restaurant, je n’ai plus ces pensées qui me poussent à prendre le plat le plus sain. Je fais mon choix selon ce qui me fait plaisir et du coup, en rentrant chez moi, je ne ressens plus ce besoin de « je me suis restreinte : vite, il faut manger ». Ça a réglé tous les problèmes que j’avais, tant liés à l’anorexie qu’à la boulimie. Vraiment tout ça a eu lieu… j’allais dire « grâce au confinement », mais ce n’est pas vrai parce qu’il y a aussi eu la thérapie et le fait que j’ai grandi. Il y a plein d’éléments, mais le confinement a joué un rôle.
– Oui, c’est un ensemble d’éléments. Cette relation dans laquelle tu te sens bien a sans doute son importance aussi.
– Oui, ça aussi ça a beaucoup joué.
– C’est un ensemble de pièces du puzzle qui se sont emboîtées à ce moment-là, comme je dis souvent.
– Il y a un autre point auquel j’ai pensé dernièrement. Je dis souvent que c’est grâce en partie au confinement. Mais c’est surtout que, finalement, si nous reprenons l’histoire à sa base, le problème, c’était le regard des autres. Bien sûr, j’étais avec mon compagnon pendant le confinement, donc il y avait son regard. Mais c’est quelqu’un en qui j’ai beaucoup de confiance. Il y a beaucoup d’amour entre nous, donc je n’ai jamais eu peur de son regard à lui. Je pense que si j’avais été avec mon ex-compagnon, ça n’aurait pas du tout été la même affaire… Le seul regard dont j’avais peur, c’était le regard extérieur. Là, pour la première fois dans ma vie, il n’y avait pas ce regard de l’extérieur : ni les amis, ni les collègues, ni les gens dans la rue, ni même ma famille même. Il n’y avait personne. Personne ne jugeait ma prise de poids et c’est ça qui a été libérateur.
– Oui, c’est ça. L’élément déclencheur de tes TCA était absent, et ça t’a permis de faire ce travail tranquillement, physiologiquement et psychologiquement.
– Oui, totalement. C’est comme ça que je suis sortie de tout ça, après 10 ans de troubles du comportement alimentaire. Comme je le dis à chaque fois : pour moi, la boulimie a duré cinq ans, l’anorexie a duré deux ans et avant ça, c’était l’antichambre de mes TCA. C’est vraiment long et je suis hyper reconnaissante d’en être arrivée là. Je souhaite à toutes celles et ceux souffrant de TCA de pouvoir éprouver ça et parler librement d’anorexie et/ou de boulimie dans un témoignage – ou d’un autre trouble d’ailleurs. Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de dire que « je suis reconnaissante qu’il y ait eu un confinement », car c’est plus compliqué que ça…
– Je crois que tu n’es pas la seule. Nous l’avons toutes et tous vécu différemment, mais j’entends régulièrement des personnes presque nostalgiques de cette période-là, ou de certains de ses aspects en tout cas.
– Ce moment a permis une période de remise en cause dans la vie.
– C’est ça. Une période où chacun et chacune a pu en tout cas essayer de se poser, de déposer les lourdeurs de nos quotidiens. Ça a été très compliqué pour certaines personnes, et puis pour d’autres, comme tu le décris là, ce fut un moment assez central.
– Oui, c’est ça.
Le mot de la fin sur la boulimie et le témoignage d’Inès
– C’est bientôt le moment de nous quitter… C’est passé extrêmement vite. Comme je le demande aux personnes qui viennent témoigner : est-ce qu’il y aurait une dernière chose que tu as envie de partager ? Y a-t-il un élément important que tu aimerais rajouter ? Ou peut-être as-tu envie de nous en dire plus sur là où tu en es aujourd’hui ? Comment souhaiterais-tu conclure ?
– Il y a 3 choses que j’aimerais dire. Premièrement : je ne sais pas quel âge ont les personnes qui lisent ces lignes, mais je tiens à dire que le collège, c’est une période très compliquée pour beaucoup de personnes. Il y a quelque temps, j’ai lu quelque chose à ce sujet qui disait que si jamais vous avez apprécié le collège, c’est que vous étiez un harceleur.
– Ah carrément ?
– Je pose ça là, comme ça, faites-en ce que vous voulez. 😉 C’est horrible à dire, mais je pense que c’est vrai.
– Ce n’est peut-être pas faux.
– Les enfants sont très méchants, mais heureusement, c’est une période qui passe. Si c’est dur pour vous : tout ça ne va pas durer toute la vie. Il y a une vie après tout ça. Il y a une vie après le harcèlement et de la même façon, il y a une vie après les troubles du comportement alimentaire. Un TCA ne dure pas forcément toute sa vie. Il y a des moyens d’en sortir. Il y a des gens très compétents pour vous aider donc il ne faut pas hésiter à se faire accompagner. Il ne faut pas hésiter à en parler autour de vous, à vos proches. N’hésitez pas à en parler en professionnels de santé. J’ai beaucoup parlé du confinement, mais au fond, ce qui m’a vraiment aidée, c’est la thérapie. J’ai souvent mis mes problèmes sous le tapis et les professionnels de santé sont là pour ça. N’hésitez surtout pas. Il ne s’agit pas forcément d’aller voir un psy… La première étape, ça peut juste être d’aller voir votre médecin traitant. Il saura vous orienter vers le bon professionnel. Pour moi, ce fut un psy, mais ça peut être un tout autre professionnel qui vous convient. C’est ça, les 3 messages que j’ai vraiment envie de (re)donner : il y a une vie après le collège, il y a une vie après les TCA et il y a des gens qui sont là pour vous aider.
– Je reste fixée sur ce que tu as dit à propos du collège. Pour accompagner régulièrement des adolescents, y compris des adolescents au collège, je sais combien c’est fréquemment dur. Cela dit, j’ai un regard biaisé parce que s’ils viennent me voir, c’est forcément qu’il y a un problème. Mais j’entends si souvent la complexité de… cette jungle, qui commence même en primaire. Et souvent, même si nous ne changeons pas complètement en quelques mois, le passage au lycée marque un cap.
– Il y a vraiment un changement. Je pense que les gens sont plus matures. Je ne saurais pas expliquer ce qui fait qu’au collège, les gens sont aussi méchants. Je ne sais pas si ça changera un jour. Par contre, je sais qu’aujourd’hui il y a beaucoup de sensibilisation à ce sujet. Peut-être que ça a changé depuis. Pour moi, le collège, ça remonte. Mais quoiqu’il en soit, ça ne durera pas toute la vie. Ces gens-là, demain, vous ne saurez même plus qu’ils sont. Vous n’en entendrez plus trop parler.
– Oui. Je te remercie beaucoup, Inès, pour ce précieux partage. Je suis sûre qu’il va beaucoup inspirer les personnes qui le liront. Est-ce que tu serais d’accord pour que les personnes de contact via ton compte Instagram, par exemple ?
– Bien sûr ! J’essaie de répondre au maximum, d’aider au maximum. Les TCA m’ont suivi pendant longtemps et j’en ai tellement souffert. J’ai longtemps pensé que j’étais seule avec mon problème. Je n’en parlais pas autour de moi parce que j’avais honte, mais je pense qu’il ne faut pas avoir honte. Il faut en parler. J’ai aussi commencé aussi à parler de mon compte Instagram à mon entourage proche. Ça commence à être une part de ma vie, donc j’ai envie d’en parler. Je sais que j’ai de très bonnes copines qui se sont rendu compte qu’elles avaient un problème grâce à ce compte Instagram. Elles m’ont dit : « C’est fou, il y a plein de choses dont tu parles que je connais. », « Ah oui, c’est vrai, je fais ça, je ne m’en rendais pas compte. ». Moi, je m’en étais rendu compte. Je savais que ces copines-là avaient un problème. C’est aussi pour ça que je leur en ai parlé. Je me suis dit que ça pouvait semer une brèche.
– Cela me fait penser à cette frontière dont tu parlais entre le fait de penser « j’ai un mode de vie sain » et une relation troublée avec l’alimentation.
– Exactement. C’est pour ça aussi que je trouve que c’est important de communiquer et de partager à ce sujet. Cela permettra à certains de sentir que, vraiment, ils ne sont pas seuls. Que ceux qui souhaitent échanger n’hésitent pas : je suis disponible.
– Super. Merci beaucoup pour ton témoignage Inès. Merci pour ton accueil et à très bientôt.
– Merci à toi, Anne. C’était trop bien ! 😊 À bientôt.
Si vous aussi, vous souffrez d’une relation troublée avec l’alimentation, j’espère que ces mots sur la boulimie et le témoignage d’Inès vous auront apporté de l’aide et du réconfort. Tout comme elle, je suis à votre écoute sur mon site internet et sur mon compte Instagram. Je serais ravie de recevoir votre avis sur cet article ou d’échanger avec vous pour voir si mon accompagnement Indépendance Cannelle peut vous aider à être de nouveau sereine avec la nourriture… Et cela que vous souffriez d’un TCA avéré ou « seulement » d’une relation pesante et conflictuelle avec votre alimentation. 😉