Dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir », découvrez le témoignage de Marie. Souffrant de troubles alimentaires pendant 10 ans, Marie s’est longtemps sentie illégitime quant à ses TCA, puisqu’elle avait un poids considéré comme normal. De ce fait, rien ne transparaissait à l’extérieur, comme c’est souvent le cas avec la boulimie. Cela a commencé à l’âge de 13 ans, avec une période d’anorexie, puis la boulimie vomitive qui s’est vite installée et bien plus difficile à dire et vécu comme bien plus honteuse. Marie a même connu le TCA peu connu de l’alcoolorexie. La communauté Instagram ainsi que l’écoute de podcasts ont été une aide très précieuse dans le parcours de guérison des troubles alimentaires de Marie. Elle souhaite ainsi à son tour contribuer, en apportant ici son témoignage.
« Je suis restée malade très longtemps, un peu plus de 10 ans. Mais, avec un poids normal, j’avais l’impression de me faire un film toute seule. Je me disais que je n’avais pas de raison d’être malade. »
« Quand j’ai vu cette femme très maigre et toute l’inquiétude que ça avait l’air de générer autour, je me suis dit : « C’est moi et ça va être ma solution ». »
« J’avais l’impression de ne plus rien gérer du tout. »
« Je me suis dit « Marie, tu te sens tellement prisonnière que tu serais prête, enfin que je serais prête à prendre une quinzaine de kilos si ça pouvait me permettre de retrouver ma liberté ». À partir de ce moment-là, j’ai commencé à demander de l’aide. »
« J’ai vraiment baissé la garde et ça s’est fait avec beaucoup plus de douceur. »
« Hier, c’est hier. Demain, c’est demain. Qu’est-ce que tu peux faire aujourd’hui pour aller bien ? »
« Si on n’en parle pas, on ne reçoit pas l’aide dont on a besoin. »
Un ensemble de troubles atypique
– Bonjour Marie !
– Bonjour Anne !
– Bienvenue à toi dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, « La pleine conscience du pouvoir ». Je suis vraiment ravie que tu aies accepté de venir nous raconter ton parcours. 😊 Nous nous sommes connues par Instagram, grâce à ce réseau qui me permet d’aller de découverte en découverte et de connexion en connexion avec plein de personnes formidables !
– Je suis complètement d’accord, c’est un réseau merveilleux !
– Nous nous sommes connues par le biais de ton compte, @inthefoodforlife, dont tu nous parleras peut-être au fil de cet article. Dans tes publications, tu donnes des éléments de ton histoire et je me suis dit, en les lisant, que ce serait intéressant que tu viennes la partager ici, avec nous. Nous souhaitons toutes 2 contribuer à ce qu’il existe plus de contenu sur le sujet des TCA. Les témoignages, notamment, font partie de ce qui t’a aidé dans ton parcours de guérison.
– Merci pour la petite présentation ! 😉 Je suis ravie d’être là ! Effectivement, Instagram et les podcasts furent pour moi d’immenses leviers de guérison et de mieux-être. Je suis restée malade très longtemps, un peu plus de 10 ans, mais avec un poids normal et donc une souffrance complètement invisible. J’avais l’impression de me faire un film toute seule. Je me disais que je n’avais pas de raison d’être malade. Je n’étais pas « assez malade » pour être prise en charge, pas « assez malade physiquement » non plus pour être crédible auprès des médecins et demander de l’aide, même en ayant consulté. À part celui d’un diététicien, j’avais du mal à trouver du contenu vraiment aidant. Avoir, grâce à Instagram, plein de messages positifs, de guérison, d’astuces pratiques, etc., ça m’a énormément aidé. J’ai notamment pu me rendre compte que je n’étais pas la seule à souffrir de cette situation et que même si j’ai traversé des périodes d’extrême maigreur, nous n’avons pas toujours besoin d’en arriver là pour demander de l’aide. Tous ces messages, publications et podcasts furent une aide extrêmement précieuse.
– D’autant plus dans la mesure où tu étais dans quelque chose d’un peu atypique. C’est alors plus compliqué de s’identifier à d’autres personnes.
– C’est vrai. Il y a plusieurs facteurs qui rentraient en jeu. Mes troubles alimentaires se sont déclarés quand j’étais encore très jeune, vers 13 ans. Ce fut une façon, pour moi, d’absorber et de… mettre à jour disons, des conflits familiaux, la crise d’adolescence et le mal-être que je n’arrivais pas à verbaliser. Ainsi, c’était simple : c’était inscrit directement sur mon corps. J’avais un père dépendant, une mère très absente et je ne me sentais pas bien socialement. J’étais un peu trop différente et je ne savais pas quoi en faire. Je pensais beaucoup, très vite. J’avais des rites très solitaires à l’époque, et qui le sont toujours d’ailleurs, très axés sur l’écriture. J’ai découvert l’existence des troubles alimentaires dans un magazine de prévention pour ado. Quand j’ai vu cette femme très maigre et toute l’inquiétude que ça avait l’air de générer autour, je me suis dit : « Ce sera ma solution ! ». Pendant des années, la nourriture est devenue une béquille et un vrai moyen d’expression par rapport à mon entourage et à ma souffrance. J’ai une histoire assez riche car, à 19 ans, on m’a découvert un trouble bipolaire. Dès que les troubles alimentaires me lâchaient un peu la grappe, il y avait toujours un autre processus autodestructeur qui prenait le dessus. Récemment, j’ai un peu parlé de l’alcoolorexie autour de moi, car je trouvais important de lever un peu le voile là-dessus. Ça signifie que je pouvais avoir tellement peur de manger que l’alcool venait remplacer la nourriture. C’est là que je parle de trouble alimentaire atypique : mon régime alimentaire pouvait aussi se constituer de substances.
Des problèmes familiaux et de communication
– Est-ce que ça te va si nous repartons du début, même si tu l’as déjà partiellement évoqué ? Est-ce que nous pouvons rentrer un peu plus en détail la façon dont ça s’est installé ?
– Oui, bien sûr !
– Tu disais que les troubles ont commencé à l’âge de 13 ans. Tu as parlé d’un magazine dans lequel tu as lu ce fameux article. Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris : il t’a aidé à mettre un nom sur ce qu’il se passait, ou il a été déclencheur ?
– Ça a été un déclencheur. Avant, je n’avais pas de problème alimentaire. J’étais assez menue, mais je mangeais vraiment de bon cœur. Par contre, je ressentais une souffrance en sourdine : le mal-être de l’adolescent, avec un contexte familial qui n’était vraiment pas aidant. Avec ce magazine, j’ai pris connaissance de cette maladie, que je ne connaissais pas du tout avant. Je voyais ma mère au régime, mais je ne savais même pas que nous pouvions avoir des problèmes avec la nourriture. Pour moi, c’était surréaliste, tellement c’était instinctif chez moi. Mais quand j’ai vu cette jeune femme d’une extrême maigreur en couverture, toute l’inquiétude que ça générait pour son entourage et la prise en charge et les soins d’écoute dont elle pouvait bénéficier, je me suis dit que ça allait être ma solution. J’avais l’impression que je présentais des traits communs avec cette jeune femme, au travers d’une quête de perfection et beaucoup d’anxiété. Je me suis dit : « Ça, c’est moi et ça va être ma solution ». L’anorexie est donc arrivée, puis elle a rapidement dérivé vers de la boulimie. Le point de départ de mes troubles alimentaires, c’est quand la nourriture était devenue pour moi un moyen d’expression. Elle me permettait d’absorber le monde, ou de ne pas l’absorber plutôt, puis de le rejeter.
– C’était une façon de mettre en forme, si nous pouvons le dire ainsi, le mal-être que tu avais à l’intérieur de toi. C’est bien ça ?
– Exactement. J’avais beaucoup de mal à prendre la parole, j’étais quelqu’un de très timide. Ainsi, j’avais l’impression que mon corps s’exprimait à ma place. J’avais du mal à verbaliser ce que je ressentais et je me sentais coupable d’aller mal, d’être différente et de ne pas savoir pourquoi. L’alimentation est venue traduire ce que je n’arrivais pas à mettre en lumière moi-même.
La réaction de la famille face aux troubles alimentaires
– Est-ce que ça a fonctionné, du coup ? Comment ton entourage a réagi ?
– Mon entourage a réagi vite. Toute la famille s’est extrêmement restructurée autour de moi. Ma petite sœur, à l’époque, avait des problèmes de harcèlement scolaire, mais même ça, c’est passé à la trappe. Il y a une sur-inquiétude, une surprotection de la part de mes parents. Même si, à l’époque, nous commencions un peu à parler de troubles alimentaires dans la société, la prise en charge n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui. Même aujourd’hui d’ailleurs, je la trouve assez faible. Toute l’inquiétude familiale s’est cristallisée autour de moi et, dans un premier temps, ce fut une façon de ne plus regarder les problèmes de la famille. Le fait que ma mère était surinvestie dans son travail a été mis de côté, le fait que mon père buvait beaucoup trop et basculait dans l’alcoolisme a été mis de côté aussi et tout s’est cristallisé autour de mon anorexie, puis de ma boulimie. Au départ, il y a eu beaucoup d’inquiétude… puis, au bout d’un moment, beaucoup d’agacement. Cette espèce de cirque commençait à avoir un peu duré. Mes parents étaient très inquiets quand je souffrais d’anorexie sévère, mais la boulimie, pour eux, était quelque chose de sordide à cause des vomissements. C’est aussi ça qui m’empêchait de demander de l’aide auprès de médecin, alors que je commençais à saisir l’urgence de ma situation. Je voyais que je ne gérais plus du tout, mais je m’étais carapatée dans la honte à cause de la boulimie, des vomissements, des prises de laxatifs, etc. Je ne voulais surtout pas que les médecins puissent me visualiser en train de vomir car ça traduisait une espèce d’état un peu animal, un peu primitif, un fonctionnement pas naturel. Du coup, je restais avec ma souffrance. Par contre, j’ai toujours beaucoup écrit. J’ai toujours vomi des tonnes de pages et de mots. Je me suis aussi beaucoup confiée sur Doctissimo, qui était un peu l’Instagram de l’époque. Mais comme j’avais trop honte de demander de l’aide, fatalement je ne réussissais pas à en obtenir. C’est vraiment ça le message que j’aimerais réussir à faire passer : la boulimie est une maladie, avec des symptômes, comme le fait de se faire vomir. Plus tôt nous demandons de l’aide pour s’en sevrer, et plus vite nous obtenons cette aide. Si nous ne la demandons pas, à moins de faire des efforts conséquents pour aller chercher du contenu, nous ne la trouverons pas. Les outils comme Instagram et les podcasts sont géniaux, mais je pense que ça ne suffit pas et que ça ne remplace pas une thérapie, que ce soit avec un psychiatre, un psychologue ou les autres approches que nous pouvons trouver aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, pendant mes premières années, j’étais dans une errance médicale la plus complète. J’ai perdu beaucoup de poids très vite. J’en ai repris très vite aussi, après cet épisode d’anorexie, mais à ma sauce. Ça avait beaucoup inquiété ma famille et moi, je voulais retrouver ma vie et ma liberté. Je me suis dit qu’il fallait que je reprenne du poids très vite et j’ai adopté un régime hypercalorique sans aucun suivi médical. Je me suis retrouvée avec une quinzaine de kilos en plus en l’espace de 2 ou 3 mois, ce qui, à mon avis, était une autre forme de traumatisme pour mon corps. Il n’y a eu aucun suivi et je n’étais pas du tout cadrée. Ça a naturellement évolué vers de la boulimie vomitive. J’ai vécu la boulimie de façon bien plus coupable. Dans l’anorexie, il y a quelque chose de l’ordre de la fierté à réussir à se contrôler et à nier sa faim. Alors que la boulimie, c’est une perte totale de contrôle de son alimentation et je pense que ça peut vraiment donner l’impression de perdre le contrôle sur sa vie. Ce que j’avais de plus cher, c’est-à-dire le contrôle alimentaire, m’échappait. À partir de là, j’avais l’impression de ne plus rien gérer du tout.
Le diagnostic d’un trouble bipolaire
– Le diagnostic de trouble bipolaire dont tu nous as parlé tout à l’heure est venu se rajouter par-dessus ces troubles alimentaires ?
– Oui. J’ai été diagnostiquée à l’âge de 19 ans. Ça s’est un peu imposé à moi et je l’ai vécu comme un soulagement immense. J’ai eu la chance d’être très vite prise en charge et j’ai très vite aussi eu un traitement médical, même s’il a beaucoup évolué depuis. Ce fut vraiment un soulagement phénoménal. Avec ces écarts d’humeur monumentaux, caractérisés par des phases de surexcitation et des phases de dépression, j’avais parfois l’impression de devenir complètement tarée. Pendant les périodes d’excitation, il pouvait y avoir des dépenses complètement irréalistes. Mon humeur était en permanence versatile. J’avais l’impression, d’un jour à l’autre, de ne plus du tout être la même personne. Là, je pouvais enfin me dire que s’il y avait un diagnostic, c’est que d’autres personnes avaient forcément traversé la même période que moi et qu’il y aurait des solutions. « Un problème, des solutions », c’est une phrase de ma maman. Ce fut extrêmement salvateur de réaliser que s’il y avait une maladie, c’est qu’il pouvait y avoir des soins. Aujourd’hui, je peux encore avoir des phases de rechutes, quand je change de mode de vie, par exemple. Il y a quelques mois, j’avais un contrat de travail dans lequel je n’étais pas du tout alignée avec moi-même, pas à ma place, pas bien dans mes bottes. Ça s’est traduit par des problèmes de sommeil. Je dormais 2 ou 3 heures maximum par nuit, sans jamais montrer le moindre de signe de fatigue. Je créais beaucoup, je dépensais beaucoup, etc.
– Ce fut le signal d’alarme.
– Oui. Quand ça commence à merdouiller au niveau de l’alimentation et du sommeil, c’est un signal. Ce sont les 2 points clé qui me font me dire : « Là, tu ne gères plus, demande de l’aide. Tu as la chance d’être bien entourée, que ce soit par tes amis, ta famille et tes soignants. ». J’éprouve beaucoup de gratitude à avoir un entourage aussi présent et compréhensif ! 😊 Il est d’ailleurs beaucoup plus compréhensif depuis que j’arrive à verbaliser ce qu’il peut m’arriver. Si, à l’occasion il y a pu avoir une crise de boulimie, je réussis désormais à en parler à ma mère, à mettre des mots dessus, à expliquer qu’en ce moment, ce n’est pas évident pour moi, qu’il se passe ça et que ça se manifeste de telle façon. Voir que je ne lui cache plus rien et ne plus avoir de problème de communication avec ma famille, c’est vraiment indispensable pour gérer mes troubles du comportement alimentaire. Les parents peuvent être beaucoup plus compréhensifs à partir du moment où nous sommes honnêtes avec eux.
– Et oui… D’après ce que j’entends, tu as eu moins de difficulté à demander de l’aide et à aller consulter pour le trouble bipolaire que pour la boulimie. N’est-ce pas ?
– Oui, en effet, et je n’ai pas du tout rejeté le diagnostic. Je l’ai accepté avec une forme de soulagement qu’on puisse mettre des mots sur ce qu’il m’arrivait et que nous puissions mettre des choses en place. Alors qu’à l’époque, pour le diagnostic de boulimie, j’avais beau être hyper consciente que ce que je vivais était pathologique, il n’y a pas eu cette forme de soulagement. Je pense que c’est aussi lié à l’existence d’une méconnaissance des troubles alimentaires, surtout quand ils ne sont pas alarmants, sans grande maigreur ni surpoids important. J’ai une psychiatre qui est géniale, c’est vraiment une perle qui me donne toujours des conseils pleins de bons sens et très pratiques. Mais c’est vrai qu’au sujet des troubles alimentaires, elle est complètement larguée. Elle a quelques notions, mais c’est tout. Avec elle, j’ai beaucoup travaillé sur le trouble anxieux, sur la quête de perfection, sur le fait qu’avoir une vie équilibrée permet aussi de retrouver un équilibre alimentaire. Mais sur le plan pratique, elle ne peut pas me donner les bons conseils pour que ça s’améliore. Tout au plus elle pourra me donner le minimum syndical : « ne contrôlez pas trop votre alimentation », « faites-vous plaisir ». Mais rien de plus aidant, concrètement.
Le processus de guérison de la boulimie vomitive
– Du coup, à quel moment et comment as-tu pu te faire aider faces à tes troubles alimentaires ?
– J’ai vraiment entamé un vrai processus de guérison il y a maintenant un peu plus d’un an et demi. Nous étions au mois de septembre 2021. À ce moment-là, il y avait beaucoup d’alcool dans ma vie, ainsi que beaucoup de restriction, même si ce n’était pas non plus des restrictions drastiques. C’étaient des restrictions souples, autour de la qualité et de la qualité. Ce n’était pas impressionnant mais tout était encore extrêmement mentalisé. Il n’y avait aucune spontanéité. Un jour, je me rappelle avoir fait une ultime crise de boulimie. C’était le topo classique : une journée de perfection alimentaire, et le soir j’avais eu l’impression d’être complètement possédée. Mes chevilles m’avaient traînée toute seule jusqu’à l’épicerie pour la dévaliser. J’ai regardé ma chambre, à ce moment-là dans un bordel absolu, les mains toutes tâchées de chocolat et je te passe les détails du tableau. Là, je me suis dit : « Marie, tu te sens tellement prisonnière que tu serais prête, enfin que je serais prête à prendre une quinzaine de kilos si ça pouvait me permettre de retrouver ma liberté. ». À partir de ce moment-là, j’ai commencé à demander de l’aide et j’ai eu une grosse prise en charge. J’ai rencontré ma psychiatre actuelle, avec laquelle j’ai pu travailler les causes de mes troubles alimentaires : anxiété, perfectionnisme, difficulté à communiquer, etc. Nous avons aussi travaillé sur le pourquoi de ce désir excessif de minceur. Pourquoi est-ce que je catalysais tout sur mon poids ? Pourquoi est-ce que, chaque jour en me levant, mon but ultime était de maintenir mon poids ? Pourquoi est-ce que c’était l’objectif principal de mes journées ?
– Je te coupe, mais c’en était là ? C’était l’objectif principal de ta journée ?
– Oui, vraiment. Pendant des années, je n’ai pas mis les priorités au bon endroit, même si je ne vais pas me taper dessus. J’aurai peut-être pu me concentrer sur des compétences professionnelles ou me fixer comme objectifs de faire plus de voyages, par exemple. Mais au lieu de ça, j’en étais à avoir comme but numéro 1 de la journée de maintenir mon poids. Si j’avais l’occasion, au cas où, peut-être, on ne sait jamais, de perdre 2 ou 300 grammes, là ça devenait hyper bonifiant. Toute mon énergie était focalisée sur le fait de réussir à stabiliser mon poids.
– Du coup, je comprends pourquoi tu parles du besoin de retrouver ta liberté. Tu étais emprisonnée là-dedans.
– Oui, j’étais complètement emprisonnée dans ce désir excessif et omniprésent d’extrême minceur. Bien sûr, j’avais aussi toutes les peurs qui vont avec, comme de devenir moche, pas désirable, de décevoir les autres, de me décevoir, etc. si je prenais du poids. J’aurai pu me fixer plein d’autres objectifs en-dehors de ça, mais à ce moment-là, toute l’énergie mentale que j’avais était assignée à ça.
– Je comprends aussi d’autant mieux l’importance de ce déclic où tu t’es dit que tu pouvais prendre 15 kilos tellement tu en avais marre.
– C’était vraiment la soirée de rébellion. 😉 J’étais épuisée, j’avais l’impression d’être enfermé à l’intérieur de moi-même, en plus d’être très seule, car mes TCA m’avaient beaucoup isolée. Je me suis dit que j’étais en train de complètement passer à côté de ma vie. Je ne voulais pas accomplir de grandes choses, je voulais juste être tranquille avec la nourriture. Je voulais arrêter de faire des crises et j’ai fini par comprendre que, pour ça, il fallait que j’arrête de me restreindre. L’un ne va pas sans l’autre. Avant, je me concentrai exclusivement sur les moments où je mangeais beaucoup trop, mais je passais complètement sous silence tous les moments où je ne mangeais pas assez, alors que c’était une conséquence.
Les bénéfices des changements de vie et de la cuisine contre les TCA
– En t’écoutant, j’ai l’impression que tu as vite fait le rapprochement entre les 2. N’est-ce pas ?
– Ça n’a pas été immédiat. Là j’en parle comme si ça avait été assez rapide, mais, comme beaucoup de choses, ça prend son temps. Ce fut une période où plein d’éléments se sont mis en place. Je venais de rependre un petit boulot de caissière. Avant, je travaillais dans la publicité, mais entre le covid et le défaut de confiance en moi, j’étais incapable de faire autre chose. Ce petit boulot de caissière m’a aidé à retrouver un équilibre de vie, car c’est assez prenant. Ça occupait une bonne partie de mes journées, donc j’avais moins de temps pour faire des crises. J’étais dans une équipe hyper familiale, dans une boutique d’habitués où je sentais que je devenais quelqu’un d’apprécié. Ça m’était rarement arrivé, d’avoir l’image d’être quelqu’un de positif. Progressivement, ce petit boulot m’a permis de remettre du plaisir dans ma vie, au quotidien. Le plaisir n’était plus uniquement constitué des moments où je mangeais. C’étaient aussi ceux où j’allai travailler, où je discutais avec les clients, où je me marrais avec mes collègues. Ça m’a permis de remettre de la vie dans ma vie. Accessoirement, quand tu es caissier, tu es hyper exposé à la nourriture et ça m’a vraiment aidé, justement. Les premiers temps, ce fut un peu compliqué. Être chef de rayon des gâteaux apéros, c’était un peu chaud patate. Mais rapidement, le fait d’être exposée à la réalité de ce que je mange les gens, qui n’était pas la réalité à laquelle m’avait habituée ma mère et pas non plus la réalité que nous pouvons voir sur Instagram, ça m’a beaucoup aidée. J’ai pu voir que les pâtes c’est normal, le chocolat, c’est normal aussi et qu’en manger ce n’est pas forcément faire un cheat-meal, c’est juste se nourrir. Je pense que ça m’a beaucoup aidé, de voir des gens qui avaient l’air de passer des bons moments en organisant des soirées pizzas, ce genre de repas.
– C’était thérapeutique en soi, en fait.
– Oui. Ça m’a permis de travailler sur le symptôme alimentaire. J’ai pu sentir les restrictions s’éloigner, au fil des semaines et des mois sans crise et j’ai pu me dire « essais de ne pas te concentrer uniquement sur la partie alimentaire et de travailler ce qu’il y a autour ». Typiquement, quand je souffrais de boulimie, la fin de mon assiette me plongeait dans la tristesse et dans le désarroi. Je me mettais à compter les heures, parce que je ne prenais pas le temps de remettre des activités dans ma vie. Ce qui m’a vraiment aidé, c’est d’inclure des moments de plaisir et de partage ne s’articulant pas forcément autour de la nourriture : écouter des podcasts en me baladant, faire les boutiques, m’occuper des gens que j’aime, etc. Cette période fut vraiment super car tout était propice au changement : j’avais un nouvel appartement, un nouveau boulot, je me suis mise en couple avec mon compagnon actuel, etc. C’était un peu « le moment ou jamais ».
– J’ai souvent cette image des pièces du puzzle qui s’emboîtent les unes dans les autres et forment un tout. Ça, c’était quand déjà ?
– Ça a commencé il y a environ un an et demi, donc c’est encore assez récent. Ce qui m’a aussi beaucoup aidé à l’époque, ce fut d’ouvrir mon compte Instagram. Depuis, il a un peu… non beaucoup changé de forme. J’ai commencé par trouver le contenu sur les troubles alimentaires dont j’avais besoin. Je suis tombée sur toute une ribambelle de nanas géniales qui publient beaucoup de contenu par rapport à la boulimie, la nutrition bienveillante, l’alimentation intuitive, à laquelle je me suis beaucoup intéressée, etc. Au départ, c’était un compte sur lequel je postais mes recettes au fil du temps. Je partageais ma cuisine et tout ce que je réintroduisais dans mon alimentation. Je sentais comme une petite forme d’obligation en raison du regard en face. Je voulais poster de jolis petits plats, mais je ne voulais pas poster de crise ni de repas dérisoire. Il y avait une espèce de compte à rendre qui était comme une façon de me valider. Ça m’a beaucoup aidé, notamment à trouver le goût de me mettre à la cuisine. Pendant des années, j’étais terrifiée par ça. Je me faisais toute une montagne de certains aliments et certains plats qui, dans mon imaginaire, étaient hyper riches. Je peux citer les pâtes, par exemple, que je mange très souvent aujourd’hui. Je crois que c’est ma mère qui m’a fait croire que les pâtes étaient plus addictives que l’héroïne… De tenir des aliments dans les mains, de faire des efforts de dressage et de présentation, ça m’a permis de les démystifier et de me rendre compte qu’en fait, ce n’était pas grand-chose. Tout ça alors que, pendant des années, j’étais incapable de manipuler de la nourriture et de cuisiner quelque chose. J’avais toujours peur de mettre trop. Quelle quantité préparer ? Et si mon assiette est trop petite ? Et si elle est trop grande ? Et si ceci, et si cela… Je trouve que c’est important, dans la guérison de troubles alimentaires, de se construire des nouvelles habitudes, plus saines et qui font du bien sur le long terme. Pour moi, c’est devenu une habitude, de me cuisiner un petit truc en rentrant chez moi. Juste prendre soin de découper les légumes, la viande ou le poisson, pour moi ça a quelque chose de thérapeutique, rien que dans le geste. C’est une petite manifestation d’amour, une façon de prendre du temps pour moi, pour me faire du bien. C’est venu remplacer le problème des crises nocturnes, quand la soirée était longue et que je ne savais pas comment m’occuper. Prendre l’habitude de cette petite activité manuelle, ça m’a vraiment aidé.
– Je retiens que tu t’es réhabituée aux aliments à la fois grâce à ton travail de caissière, qui te permettait de constater que c’est normal d’en acheter, et à la fois par ce travail, presque sensuel, de toucher, de manipulation. C’est une forme de thérapie, en effet.
– La cuisine fait partie de la thérapie, je pense. Après, je sais que ce n’est pas à prendre pour une généralité. J’ai publié un article sur mon compte Instagram dans lequel je racontais combien ça m’avait aidé. Des jeunes femmes m’ont répondu qu’elles se sentent emprisonnées dans la cuisine, qu’elle cuisine des plats qu’elles ne mangent pas, qu’elles ont ceci ou cela, ou que c’est ça qui leur permet de garder le contrôle, etc. Ça peut être à double tranchant ! Ce qui peut aider quelqu’un n’est pas forcément favorable pour une autre.
– Tout à fait.
– Il faut réussir à trouver ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas. En ce moment, ce que j’essaie de partager sur mon compte, ce sont tous les petits tips, tous les conseils qui ont pu m’aider, moi, à aller bien. Je ne suis pas quelqu’un qui prône la guérison à 200 %. Je pense que ça restera toujours une faiblesse chez moi. Mais je pense malgré tout que le fait de retrouver un rapport serein avec la nourriture est possible, même si ce n’est pas un comportement complètement décomplexé, intuitif et enfantin. Être bien dans son assiette contribue à être bien dans sa tête. Encore aujourd’hui, quand je vois que les choses m’échappent, comme avec cette période de flou professionnel que j’ai traversée et qui n’est pas complètement finie, j’ai tendance à rementaliser l’alimentation. Dès que je remets un peu de contrôle, il m’échappe très vite. J’y suis vraiment allergique. Dans ces cas-là, j’essaie d’être attentive à ce que mon comportement alimentaire m’envoie comme message. Souvent, quand ça dérape, c’est qu’il y a quelque chose dans ma vie qui ne me convient pas, avec lequel je ne suis pas alignée. Je dois alors trouver une solution, car la nourriture n’en est pas une. Ça peut soulager, mais rien ne vaut le fait de reconnaître et de se demander : « Je traverse une période compliquée. À qui pourrais-je en parler, qui pourrait m’aider ? ».
– C’est ce que tu évoquais tout à l’heure avec le dialogue désormais possible avec ta mère. Tu peux t’ouvrir de plus en plus.
L’importance de la communication et du moment présent
– C’est ça. Il ne faut pas rester seul avec ses problèmes. Une expérience récente me l’a encore prouvé. J’ai pu voir que seul, nous pouvons avancer. Mais à 2, en communiquant sur ses difficultés et ses besoins, nous pouvons aller beaucoup plus vite et ça se faire avec plus de douceur. Un autre conseil que je peux donner, c’est de parfois changer un peu son vocabulaire. Je me suis beaucoup dit : « je vais me battre contre ma boulimie, je vais lutter contre les compulsions ». Mais en fait, quand j’ai effectivement baissé la garde, ça s’est fait avec beaucoup plus de douceur que je ne le pensais. Ça ne doit pas être une souffrance non plus.
– Finalement, ça ne ressemblait pas à une guerre ou à un combat. C’était autre chose. C’est ça ?
– Voilà. Ce n’était pas une guerre, ni un combat. C’était un jour après l’autre. Une phrase que j’aime bien et qui vient des groupes de paroles « Narcotiques anonymes », c’est : « C’est juste pour aujourd’hui ». L’idée, c’est de dire qu’il faut rester dans sa journée. Hier, c’est hier. Demain, c’est demain. Qu’est-ce que tu peux faire aujourd’hui pour aller bien ? Il faut aussi accepter que ça peut changer d’un jour à l’autre. En ce moment, ma problématique c’est le rapport au corps. J’ai repris un peu de poids récemment, à cause de ce contrat de travail qui se passait mal. Du coup, j’avais moins envie de cuisiner et je me tournais plus vers des plats riches. J’ai mangé au-delà de mes besoins. Ma vie n’était pas équilibrée, donc mon comportement alimentaire en a pâti aussi. Aujourd’hui, je dois accepter que j’ai pris un peu de poids et que, d’un jour à l’autre, je peux me sentir hyper bien dans mon corps et le lendemain pas tellement. C’est comme ça et ce n’est pas grave : faisons un jour après l’autre, en restant dans notre journée.
– Je trouve cette citation très inspirante ! 😊
– Elle incite à se demander comment faire pour être bien aujourd’hui, bien dans sa tête, bien dans sa vie. Elle propose de s’interroger sur ce que nous pouvons mettre en place, là, maintenant.
Les aides professionnelles autour des troubles alimentaires
– Oui. 😊 Je vois que le temps passe, comme d’habitude beaucoup trop vite… Il me reste une question que je souhaitais te poser. Au niveau du suivi, as-tu eu des aides professionnelles ? Tu as parlé de ta psychiatre, mais y a-t-il eu d’autres personnes ?
– Il y a eu ma psychiatre oui, qui me donne toujours des conseils pratiques, imagés et plein de bon sens. Je suis aussi suivie par un centre, appelé SAMSAH, pour mon trouble bipolaire. Ce sont des travailleuses sociales qui viennent me rendre visite quand j’en ai besoin, pour sonder mon humeur, ma qualité de vie, etc. Les visites sont assez denses et courtes, avec des nanas jeunes et pleines de vie, qui me donnent elles aussi des conseils. J’ai également un suivi en addictologie, dans un centre de soin pour dépendants. J’ai un addictologue-psychiatre et, si j’en ai besoin, je peux également voir leur psychologue. Je suis très bien entourée. À raison d’une fois toutes les 3 semaines chacun, ce ne sont pas des soins hyper fréquents non plus, mais c’est un soutien très précieux. Je suis d’ailleurs assez surprise de voir à quel point l’addictologue comprend mieux les problématiques des troubles alimentaires que ma psychiatre. C’est assez marrant ! J’encourage, si besoin il y a, à consulter si on sent qu’on se réfugie de plus en plus dans l’alcool pour se permettre de manger, pour soulager la culpabilité liée à la prise alimentaire. Les addictologues sont aussi formés à ces sujets. Certains de ses suivis sont gratuits et ça, c’est quand même super. Idem pour le centre SAMSAH : c’est gratuit. À contrario, ma psychiatre est certes extra, mais elle représente un budget quand même important. À un moment donné, j’ai aussi été suivie par un diététicien génial, mais là aussi, c’est aussi un budget. J’ai de la chance que mes parents aient pu m’aider un peu, car seule, c’est un suivi qui serait complètement passé à la trappe. Des centres pour addicts, il y en a, mais j’espère qu’un jour, il y aura aussi des centres gratuits pour les personnes qui souffrent de troubles alimentaires.
– Oui, ce serait pas mal ! Ce serait bien que nous ayons des centres spécialisés pour ça. C’est pris en charge quand il y a des hospitalisations, mais ça touche surtout l’anorexie, et de façon très aggravée, avec un pronostic vital engagé. Pourtant, il y a tellement à prendre en charge bien avant d’en arriver là !
– Oui ! Surtout vu les dégâts que peut causer la boulimie. Moi, je souffrais de boulimie vomitive avec des vomissements très violents. J’avoue que je ne connais pas précisément les dégâts que ça a causés sur mon organisme, mais à cette époque-là, je n’étais pas très en santé et je n’avais pas la bonne mine que je peux avoir aujourd’hui. L’un des problèmes de la boulimie, c’est que c’est une souffrance invisible.
– Invisible, mais pas sans dégât pour le corps, pour sa physiologie. Tu as raison de le rappeler !
– Pour le corps et pour le mental aussi… J’espère donc qu’un jour, nous pourrons monter des projets comme cela, collectivement.
Un dernier mot pour les personnes désirant guérir de leur TCA
– Cette fois-ci, nous sommes arrivées à la fin de cet article. Cependant, avant que nous ne nous quittions, je te pose, comme aux autres, la question du dernier mot. Y a-t-il un dernier message que tu souhaiterais partager avec nous avant de partir ?
– Il y aurait tellement à dire ! Mais si je dois terminer par un seul point, je dirais que les gens sont souvent beaucoup plus compréhensifs que nous le croyons, si nous trouvons les bons mots. Ainsi, n’hésitez pas à demander de l’aide partout où elle peut se trouver. Par exemple, comme je le disais : j’étais étonnée des compétences de mon addictologue pour aider les gens souffrant de troubles alimentaires. Avec ces maladies, il peut aussi y avoir une addiction aux vomissements ou à la perte de poids, par exemple. Communiquez sur vos difficultés parce que si vous n’en parlez pas, fatalement, vous ne recevrez pas l’aide dont vous avez besoin. Il n’y a pas mal à souffrir de trouble d’un comportement alimentaire. Ce sont des maladies. C’est comme un cancer : nous ne le choisissons pas. Et si c’est une maladie, c’est que nous avons besoin d’être soignés. Comme je le disais : nous ne retrouverons peut-être pas notre spontanéité infantile face à l’alimentation. Mais, malgré tout, il est possible de retrouver une bonne qualité de vie, une bonne relation avec son alimentation et son corps et une vie épanouissante. Vivre dans un trouble alimentaire, c’est plutôt une survie, tellement ça monopolise l’espace mental.
– Oui ! De plus, comme tu l’as dit pour le trouble bipolaire, le fait de réaliser qu’il s’agit d’un trouble, d’une maladie, ça peut être aidant pour se dire qu’il y a peut-être une solution, un traitement, des aides. Je te remercie beaucoup, Marie, pour ce partage et pour ton authenticité. Tu me disais avant l’enregistrement de cet épisode de podcast que c’est une petite sortie de ta zone de confort que de partager avec ta voix, donc merci d’autant plus !
Si vous souhaitez échanger avec Marie, vous pouvez la retrouver sur son compte Instagram, inthefoodforlife. Si vous éprouvez le besoin d’être accompagné pour vous libérer de troubles alimentaires et retrouver une relation sereine avec la nourriture : je suis disponible pour échanger avec vous ! Ainsi, nous pourrons étudier ensemble si mon accompagnement Indépendance Cannelle est fait pour vous. Vous pouvez me contacter via le formulaire de contact de mon site Internet ou sur mon compte Instagram.
2 Responses
Lucidité incroyable qui doit effectivement l’aider. Bravo Marie .
Oui effectivement ! Merci pour votre écoute du témoignage de Marie, ainsi que pour votre commentaire 😊