Anorexie mentale et art-thérapie | Le témoignage d’Élodie

Dans ce nouvel article de mon podcast sur l’alimentation, “La pleine conscience du pouvoir”, vous allez découvrir le témoignage d’Élodie. Enfant, l’alimentation était un non-sujet pour elle. Devenue majeure, elle a vécu des événements difficiles et sombré dans l’anorexie mentale restrictive. Contrôler son alimentation et son corps était « son espace », le domaine qu’elle pouvait maîtriser. Je vous laisse découvrir son parcours au travers de notre échange. Quelle aide a-t-elle reçue pour cette anorexie mentale ? Quelle fut la place de l’art-thérapie dans son histoire ? Quel travail sur elle-même et sur ses pensées a-t-elle réussi ? Tout cela vous permettra de comprendre comment Élodie est passée du sentiment de « crever de vivre » à celui d’être la « funambule de sa vie ».

« J’étais une petite fille et une ado mangeuse intuitive et je n’avais vraiment aucun souci avec l’alimentation. »

« J’ai grandi, je suis devenue majeure. L’anorexie, quelque part, c’était mon terrain, sur lequel on ne pouvait pas venir. »

« La chute a été un peu brutale, mais insidieusement. »

« J’étais en train de crever de vivre. »

« J’ai repris du poids, ce qui est la permission pour pouvoir sortir et c’est à partir de là que ça a commencé à aller mieux. »

« Ces constructions-là, que j’avais, elles venaient remplir un vide. »

« Inverser les chemins, ce n’est pas impossible. »

« Qu’est-ce que cette maladie t’empêche de faire ? Ouvre les yeux chaque matin et dis-toi : qu’est-ce que tu veux construire ? »

« La vie commence maintenant, elle est maintenant. On devient le funambule de sa vie et… wouahou, c’est trop beau ! »

Mon témoignage pour tendre la main au sujet de l’anorexie mentale restrictive

– Bonjour Élodie ! Je suis vraiment ravie de t’accueillir dans cet épisode ! Tu as accepté de venir partager avec nous l’histoire de ta relation avec la nourriture. Avant que nous ne rentrions dans le vif de sujet, j’aimerais bien que tu te présentes. 😊

– Bonjour Anne et merci beaucoup de m’accueillir dans ton podcast sur l’alimentation ! C’était important pour moi de pouvoir témoigner. J’habite à Paris et y exerce mon métier depuis quelques années. Avant, je vivais en banlieue et c’est là que ma relation avec la nourriture s’est transformée. Aujourd’hui, j’avance encore sur mon chemin personnel et j’accompagne d’autres personnes dans ce sens.

– Nous en discutions avant de démarrer l’enregistrement de cet épisode : il est très important pour toi de venir témoigner ici. Ça s’inscrit dans un désir de transmission… Est-ce que ça te convient de le dire comme ça ?

– Oui, j’ai un désir de transmission, une envie de tendre la main là où j’ai eu le sentiment, en traversant toutes ces années d’anorexie mentale, de ne pas avoir croisé cette main dont je ressentais le besoin. Je n’ai pas eu le sentiment de recevoir une aide au cœur du sujet. Bien sûr, j’étais suivie par des médecins. J’étais entourée de soignants qui pouvaient m’apporter des mots sur ma situation. Mais ceux qui ont résonné avec le plus d’authenticité et de vérité par rapport à la réalité de ce que je vivais, j’ai le sentiment d’en avoir été carencée. Ce sont ces mots-là, que j’aimerais transmettre. Quand j’ai commencé l’anorexie restrictive, au tout début de ma vie d’adulte, je n’étais pas forcément très présente sur les réseaux sociaux, je n’écoutais pas non plus de podcasts. D’ailleurs, ce n’était pas très en vogue à l’époque. Du coup, j’ai manqué de tout le soutien véhiculé par ces biais-là. Puis, j’ai intégré des groupes de paroles et c’est là que j’ai croisé l’effet miroir, l’identification avec mon interlocuteur. Là, c’est devenu authentique. J’ai pu ressentir que ce n’était pas un discours détaché ni trop médical qui m’était adressé et ça m’a vraiment beaucoup aidé.

– Ce n’était plus de la théorie. C’est bien cela ? Ce n’était plus une explication, mais du vécu, ce qui permet une connexion entre les personnes. Ça permet de sentir que nous nous comprenons, que nous sommes ensemble dans l’épreuve traversée.

– C’est ça. Ça facilite les choses !

– C’est d’ailleurs une des objectifs du podcast ! 😉 Nos 2 intentions se rencontrent et c’est cela qui fait que nous sommes aujourd’hui réunies toutes les 2 pour cet échange.

– J’ai envie de rajouter que lorsque cette identification a lieu, nous avons le sentiment que cela rend la possibilité d’une guérison plus envisageable, plus réaliste.

Mon enfance angoissée et mon difficile début de vie d’adulte

– Exact ! Ça ouvre des possibilités. Maintenant, même si tu as commencé à nous en parler, peux-tu nous raconter, chronologiquement peut-être, l’histoire de ta relation avec l’alimentation ?

– J’étais une petite fille et une ado mangeuse intuitive. Je n’avais aucun souci avec l’alimentation. Ce n’était pas un sujet sur lequel je me posais des questions. J’étais plutôt cataloguée parmi les enfants précoces et hyper-mature. J’avais une grande soif de connaissances, j’avais tout le temps envie de réaliser plein de choses. Je pratiquais beaucoup le dessin, je récitais de petits poèmes, j’inventais des chansons toute la journée, etc. J’étais ce genre d’enfant et l’alimentation était le dernier de mes soucis. Ado, j’étais plutôt fine. Je pratiquais beaucoup de danse. L’alimentation n’était vraiment, vraiment pas un problème.

– C’était un non-sujet, c’est bien cela ?

–  Oui. J’ai grandi, je suis devenue majeure et au début de ma jeune vie d’adulte, plusieurs choses sont arrivées. J’avais un rapport très fusionnel avec ma mère et j’étais très inquiète pour elle depuis… toujours. Elle est originaire du Sud et elle ne s’est jamais sentie très épanouie en Île-de-France. Je me suis toujours dit que sa vie était désormais là surtout parce que mon frère et moi étions là. Je me sentais presque coupable de cela, car j’avais l’impression qu’elle serait bien plus heureuse dans le Sud. C’est pour cela que j’étais constamment inquiète pour elle, depuis toute petite. Un jour, en thérapie, j’ai dit à ma psy : « Quand j’étais à l’école, à la maternelle ou en primaire, quand j’entendais les pompiers, j’avais peur que ce soit ma mère qui soit morte. ». Ma psy m’a répondu que ce n’était pas normal, pour un enfant, d’être aussi inquiet pour sa maman. « Ah bon ? Moi c’est comme ça que je vis depuis toujours… J’ai toujours eu une partie de mon mental concentrée sur ma mère, à se demander si elle va bien. ». J’avais ce rapport-là avec elle et, dans le même temps, en devenant ado, ce rapport fusionnel s’est transformé. À cette période de la vie, on a besoin d’une certaine indépendance, de créer son espace. Je crois que je n’arrivais pas à me le créer. L’anorexie mentale fut « mon terrain », celui sur lequel personne ne pouvait pas venir. La façon que j’avais, de maîtriser mon alimentation et mon corps, ce fut mon espace. Par ailleurs, dans mes premières expériences de vie d’adulte, j’ai été violée. Ces 2 problématiques corrélées ont mis le feu aux poudres. La chute a été un peu brutale, mais insidieuse. Au départ, ce sont des aliments qui sont partis. Ensuite, ce furent des moments de la journée : le déjeuner a disparu, par exemple. Ensuite, ce furent des familles d’aliments. Une hyperactivité s’est développée de façon intense. Forcément, pour moi qui étais déjà toute menue, il n’a pas fallu beaucoup de temps et de poids perdu pour tomber dans le rouge. Mes parents se sont sentis très dépourvus, je pense.

– Tu vivais encore chez eux, à cette époque ?

– Oui, je vivais encore chez eux. Moi, je ne voulais pas qu’on me parle de ça. Je me souviens notamment avoir vu un médecin généraliste, un remplaçant, qui, je pense, avait un mauvais rapport avec les troubles du comportement alimentaire. Peut-être qu’il a été touché dans sa famille, je ne sais pas… Mais en tout cas, il m’a vraiment crié dessus la première fois qu’il m’a placée sur une balance : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne te rends pas compte, tu vas mourir ! Tu es malade ! ». J’étais complètement apeurée et ce fut ça ma première expérience de soin. Je suis sortie de là en me disant « Qu’est-ce qu’il se passe ? Au secours ! ». Après ça, j’ai commencé à être suivie, mais ce n’était pas probant. Pendant ce temps, le symptôme grandissait. J’ai fait des années d’errance, pendant lesquelles je n’ai pas trouvé les soignants qui avaient les bons mots. J’ai été mise sous anti-dépresseurs, ce qui n’a évidemment rien fait. J’étais mal encadrée, je ne comprenais pas ce qu’il se passait et ça continuait. Dans le même temps, je poursuivais ma vie : j’ai fait 3 cursus, avec un bac +5. J’ai continué mes études, en faisant des allers-retours entre Paris et la banlieue, entre autres pour travailler. J’avais un rythme complètement dingue et je ne mangeais pas bien.

– Mais tu trouvais encore de l’énergie pour tout ça, d’après ce que j’entends ?

– Oui, je trouvais tout le temps de l’énergie. J’arrivais même à marcher en plus, à continuer à faire du sport. Je ne sais pas comment j’ai tenu ! Il y a eu 2 moments pendant lesquels ça s’est accentué : quand j’ai perdu ma grand-mère et quand mon père a fait un infarctus en ma présence. Étant pompier, il m’avait enseigné les gestes de premiers secours et je fus sa sauveuse. Ce furent 2 gros traumas qui ont accentué la maladie. Ensuite, je suis un petit peu remontée. Je suivais entre autres une psychothérapie, mais je ne trouvais pas le retour que j’espérais. Ces personnes n’étaient pas spécialisées dans les troubles du comportement alimentaire.

Les premiers suivis médicaux de mon anorexie mentale

– C’est ce que j’allai te demander : quels types de professionnels te suivaient à cette époque, pour cette anorexie mentale ?

– Psychologue ou psychiatre, psychothérapeute… mais, très sincèrement, ils n’étaient pas spécialisés dans les TCA, si bien que j’avais l’impression que ça sonnait faux, que je n’avais pas le retour que j’attendais. J’avais l’impression que ça faisait déjà 1 000 fois, 3 000 fois que je parlais de ma mère, de ma grand-mère, de mon poisson rouge, de tout le reste… mais que le symptôme était toujours là. J’ai donc commencé à m’adresser à plusieurs personnes et notamment à un psy qui était soi-disant spécialisé. Mais moi, je voyais que plus ça allait, plus j’allai mal. Je devenais complètement assujettie à la maladie. J’étais son esclave, je me laissais guider par ça, par les pensées anorexiques. Je me voyais m’enfoncer dans ce truc-là, je voyais que c’était horrible et que j’étais en train de « crever de vivre », en fait. J’avais une terrible envie de vivre, mais en même temps, j’étais en train de mourir.

– Comme s’il y avait une part de toi, c’est ce que j’entends du moins, qui pouvait voir ce qu’il se passait. Cette pulsion de vie ne voulait pas que ce soit ainsi et essayait de dire « Stop ! Stop ! », mais une autre part de toi était tellement plus forte qu’elle prenait le pouvoir sur cette part de vie.

– C’est complètement ça ! J’ai toujours eu un esprit plutôt positif et combatif, avec une pulsion de vie énorme. Quand j’étais petite, ma mère me disait souvent « Oh tu me fatigues avec cette énergie ! ». Il y avait toujours 3 milliards d’activités que je voulais faire, de sujets que je voulais explorer, etc. Je ne m’arrêtais jamais. Mais là, j’étais prise dans une toile d’araignée, dans un tourbillon. J’étais coincée au milieu, je voyais tout tourner autour de moi et je ressentais le besoin que quelqu’un m’aide à entrevoir quelque chose qui pourrait arrêter ce tourbillon. J’ai eu une relation amoureuse qui a duré 3 ans. Quand je me suis séparée de cet homme, ce fut une chute vertigineuse. Je suis tombée très bas, je ne faisais plus que 26 kilos pour 1m60… Je continuais à faire mon hyperactivité. Je ne sais même pas comment je tenais. J’ai été hospitalisée en urgence. Les médecins m’ont dit très clairement que ce n’était plus possible de continuer ainsi. Avant ça, j’avais eu une autre petite hospitalisation, mais elle avait très peu durée. En France, pour les adultes, les TCA sont très mal pris en charge. Dans le public, il n’y a pas de place. La première fois, on m’avait même demandé de rédiger une lettre de motivation pour être hospitalisée. Là, j’étais dans une clinique qui m’a coûté 300 €/jour et j’y suis restée presque 1 an. J’étais placée sous sonde nasogastrique, parce qu’au bout d’un moment, les organes ne suivent plus. Ils n’étaient plus capables de recevoir une alimentation normale. Mon foie n’arrivait plus à faire son travail, le pauvre. Tout était complètement épuisé. En ce qui concerne cette hospitalisation, je rejoins le témoignage d’Alixe, qui parle de désociabilisation, de la rupture avec de plein de choses. Je la rejoins tout à fait. Un contrat de poids avait été mis en place. Le matin, une diététicienne arrivait avec une calculatrice en disant : « Bon alors, nous allons rajouter ça. Ça fera 80 calories en plus le matin ». C’est horrible, car on remet du comptage de calorie dans le quotidien d’une personne obsédée par le contrôle… Un jour, après qu’elle m’ait annoncé : « Nous allons rajouter un pot de confiture, ça fera 80 calories », je me suis énervée. J’ai demandé où était le plaisir, où était la spontanéité que j’essayais de remettre dans mon alimentation. J’avais juste l’impression qu’on me rajoutait 80 calories à la fraise, 80 calories à l’abricot ou à la prune… Et ça va faire quoi ? Évidemment, c’est nécessaire lorsqu’il y a un souci physiologique de cette importance. Malgré tout, ça m’a fait un peu avancer et j’ai repris du poids, ce qui est la condition pour avoir la permission de sortir quand il y a un vrai contrat de poids établi en arrivant. Mais pour moi, ça devenait insupportable de devoir forcément atteindre ce poids pour pouvoir sortir et reprendre ma vie sociale qui me manquait. J’ai eu des comportements de mensonge, que j’ai avoué à ma diététicienne en sortant. Je buvais de l’eau avant la pesée, par exemple. J’ai utilisé ce genre d’astuces connues.

– C’est vraiment l’encouragement, dans ce contrat, qui te manquait. N’est-ce pas ? C’était insupportable de ne pas avoir de vie sociale pendant 1 an… Avais-tu quand même de permissions ?

– Au départ, je n’en avais pas du tout car j’étais trop faible. Après j’en ai eu, mais seulement en étant accompagnée. Sur la fin, j’en ai eu sous forme de week-ends que je pouvais passer dans mon appartement, par exemple, afin de me réadapter. Sinon, j’avais le droit aux visites.

– Heureusement, parce que sinon, pendant 1 an, c’est très long…

– Oui, mais il y a des endroits où même les visites ne sont pas autorisées, ni même le téléphone portable. Ça existe encore… C’est à partir de ma sortie que j’ai commencé à aller mieux, car j’ai retrouvé ce que j’aimais : la vie et mes amis… au sein desquels j’avais quand même bien fait le tri ! Il y a des gens qui sont là quand tout va bien, mais qui disparaissent quand ça ne va pas. Quelque chose qui m’a appelée à continuer à construire et à avancer, c’est de me dire : « Tu as fait une partie du chemin, il n’est pas terminé mais tu es de retour dans la vie donc tu vas continuer, en te réunifiant avec l’alimentation et en construisant quelque chose pour défocaliser. ». C’est comme ça que j’ai construit mon projet professionnel de façon plus précise. J’ai aussi continué mon activité d’écriture, qui était importante pour moi.

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La place de l’art-thérapie dans ma vie et mon TCA

– Est-ce que ce fut un soutien, l’écriture, pendant tout ce temps ?

– Oui, l’art de manière générale a toujours été mon soutien. Je ne sais pas si je l’ai dit, mais aujourd’hui, je suis thérapeute. J’ai fait des études très artistiques, notamment autour des arts de la scène. Puis, j’ai fait une remise à niveau et j’ai continué en psycho et en art-thérapie. Ainsi, j’utilise notamment l’écriture en art-thérapie et je la mêle avec l’olfacto-thérapie. C’est cela qui m’a aidée et c’est ça aussi que j’aime transmettre. L’art seul, en soi, ne guérit pas. Mais, dans le cadre d’une art-thérapie, c’est possible et c’est cela que je veux pratiquer et mettre en avant. J’ai mis beaucoup de temps à me sentir légitime à accompagner des gens qui traversent des troubles du comportement alimentaire, tout simplement parce que j’avais encore un peu de poids à prendre. Mon corps portait des stigmates de l’anorexie mentale. Un jour, une amie m’a demandé : « Est-ce qu’un jour quelqu’un t’a demandé si tu avais un TCA ? ».

– Dans ta pratique professionnelle, s’entend ?

– Oui. Je l’ai regardée, j’ai répondu que « ben… non ». Elle a alors rajouté : « Ba alors ! Ça veut dire que ce n’est pas un problème pour eux ! ».

– Ça me fait penser au fameux syndrome de l’imposteur, connus chez les travailleurs indépendants. Dans la formation « Pratique inclusive », que je suis en ce moment, nous parlions du fait de pouvoir se sentir légitime en tant que diététicienne en ayant un poids qui peut paraître trop bas ou trop haut. Ces approches, que tu proposes, tu les as expérimentées pour toi-même, dans les accompagnements que tu as suivi en sortie d’hospitalisation. C’est bien ça ?

– Oui, c’est ça.

– Nous en étions là, dans la chronologie. Je suis curieuse ! Quand tu es sortie de l’hôpital, quelles furent tes ressources ? Comment as-tu cheminé ? Combien de temps cela t’a-t-il pris ?

– J’ai continué à être suivie par la psy qui m’avait, entre guillemets, envoyée dans cette clinique. Elle y exerçait à l’époque et possédait un cabinet en libéral par ailleurs. J’ai continué à être suivie par elle et j’avais également un suivi avec une diététicienne, mais elle ne me correspondait pas vraiment. Ensuite, j’ai trouvé une personne fantastique, que je consulte toujours ! Elle est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus adaptée à ma façon de voir les choses maintenant. Elle tend vers l’alimentation intuitive et ne pratique pas du tout le comptage. Sa pratique me semble plus fluide et elle m’a permis de réapprendre le plaisir. De plus, et c’est important, elle m’a aidé à déconstruire toutes mes idées reçues, toutes ces règles qui n’ont pas de vérité mais qui étaient ma loi interne et qui répondaient à ma logique de maîtrise. Toutes ces pensées n’étaient propres qu’à moi, elles ne sont absolument pas valables et le fait de les dégommer aide à faire de la place dans son mental.

La fin des pensées grossophobes et des idées reçues sur l’alimentation

– Tu serais d’accord pour partager avec nous un exemple de ces règles et pensées que tu avais et qui étaient liées à la maladie ?

– Il y en a plein ! Il y en a tellement ! Il en existe sur l’index glycémique, par exemple. Je connaissais l’index de presque tous les fruits et légumes. Alors qu’on s’en fiche complètement, puisque les conditions influent aussi. Ça ne marche pas aussi simplement que la façon dont il nous est présenté. Cet index est de plus en plus remis en cause, même pour le sucre blanc. Elle m’a aidée à déconstruire ce concept. Une fois, nous parlions d’une tranche de pain avec du miel. Avant, j’aurai vu ça comme une bombe ! « Ce sont 2 sucres rapides ! Quelle horreur ! » Elle, elle m’a suggéré cela : « Ce n’est pas grave : mets plein de beurre sur ta tartine ». Là, évidemment, j’ai répondu : « Mais c’est encore pire ! C’est horrible ! ». Aujourd’hui, j’en rigole, mais sur le coup, je me disais que ça avait l’air très bon, mais que je ne pouvais pas faire ça. « Ça n’aura aucun effet, justement. », rajouta-t-elle. « Comment ça, aucun effet ? »… « Et bien non, si tu mets plein de gras, ça ralentira l’absorption du sucre. Ainsi, ton corps sera hyper content parce que tu te seras fait hyper plaisir et parce qu’il recevra de l’énergie petit à petit. » C’est comme le fait de se dire que « aujourd’hui, il faut absolument que je fasse une activité sportive, il faut que je fasse 30 min de gym alors que je n’en ai pas du tout envie… ». Attention : pratiquer 30 min de gym, c’est très bien. Après, on se sent mieux et ça donne la pêche. C’est cool ! Mais, en matière de calories, souvent ça ne permet pas d’éliminer grand-chose. Cela aussi, le concept du métabolisme de base, elle me l’a expliqué en me disant : « Élodie, si tu es dans le coma, c’est-à-dire que tu ne fais absolument rien, tu utilises tel pourcentage de ta ration journalière alimentaire. ». C’est ce genre d’idées reçues qu’elle a déconstruit. Ça paraît bête dis comme ça, mais, comme de nombreuses personnes, j’étais pleine de ce genre de calculs. En plus d’être lourd à vivre et d’empêcher de manger normalement, ça désociabilise. Avec des pensées de ce type, on ne peut pas aller au restaurant. S’il fallait aller quelque part et que ce n’est pas moi qui avais préparé à manger, j’étais affolée : comment pouvais-je savoir si la personne avait mis 1 ou 3 cuillères d’huiles ? Pourtant, c’étaient aussi ces pensées qui m’aidaient à tenir. J’ai l’impression que ça venait remplir un vide. Ça m’empêchait de penser à d’autres soucis. Elles me servaient, ces pensées.

– C’est ce que tu disais au début, quand tu as expliqué la genèse de ta relation compliquée avec l’alimentation. Tu as dit que ça a été pour toi la chose que tu pouvais contrôler, la part de ta vie que tu pouvais maîtriser et qui te permettait aussi de décentrer ton attention des traumas que tu as vécu au début de ta vie d’adulte.

– C’est ça, c’était mon espace. C’était ma maîtrise. Sur le terrain de l’anorexie mentale, personne ne pouvait venir. J’étais dans mes stratagèmes de restriction et personne ne pouvait venir là. On ne pouvait plus non plus avoir envie de toucher mon corps, devenu complètement décharné. Plus personne ne pouvait de nouveau avoir envie de lui faire du mal. J’ai presque envie de dire que j’avais mis en place une machine, quelque chose de presque démoniaque. L’anorexie mentale tend vers la mort, c’est un jeu dangereux. C’est aussi pour ça que, maintenant, je tiens à dire que ce n’est pas le temps pendant lequel on a pu être malade et avoir une alimentation troublée qui fait qu’on peut s’en sortir ou non. Ce n’est pas parce qu’on a été malade 20 ou 25 ans que ce sera plus difficile que si on a été malade 2 ans. Il n’y a pas de loi. Ce n’est pas parce que ce fut très très grave que ce sera forcément plus dur d’en sortir. Quoiqu’il en soit, inverser les chemins est possible, il ne faut rien exclure.

L’existence d’un chemin inconditionnel de guérison de l’anorexie mentale

– Sur ce sujet aussi, il y a des croyances que tu as envie de déconstruire.

– Oui, parce que c’est ce qu’on nous renvoie, en nous disant : « Olala tu te rends compte, toi ça fait longtemps, ce ne sera pas possible… ». En fait, si : c’est possible. Ceci étant, il ne faut pas lâcher. C’est ce qu’on dit toujours : sur un chemin de guérison, il y a des moments où tu stagnes et des moments où tu recules. Mais, pour moi, il ne s’agit pas vraiment de reculer. C’est plutôt qu’on a besoin de se réapproprier quelque chose d’avant, pour se rassurer. Ça peut être rassurant, réconfortant, de se dire : « oui je peux encore un peu le faire ». De toute façon, entre guillemets : on sait comment retourner dans la spirale de restriction et de perte de poids. Si l’avancée devient, à un moment, vraiment insupportable pour la personne : elle sait comment faire pour revenir en arrière pendant un temps. Du coup, quel est le risque ? Si vraiment tu deviens malheureuse et que tu te sens mal en essayant de te sentir bien… tu sais comment faire demi-tour.

– Oui, je vois tout à fait ce que tu veux dire. Le retour en arrière est toujours possible et ça peut être rassurant de se dire ça.

– Après, en allant mieux, on se rend compte que nous n’avons plus envie d’y retourner. Mais tant qu’on est dans le cheminement, on peut parfois en ressentir le besoin. C’est comme si, avec un fil, tu dois traverser une vallée, avec du vide autour, pour te retrouver de l’autre côté de la montagne. C’est vertigineux ! Mais, en même temps, tu peux te dire : « Essaie ! Et si vraiment tu as trop peur et que la vue ne te semble pas hyper belle, que ce champ des possibles ne te plaît pas… Alors tu sais comment faire pour revenir en arrière. » Tant pis, tu ne verras pas la belle lumière, mais ce n’est pas grave, si ça ne te rend pas heureuse.

Ma vision actuelle de la vie et des troubles du comportement alimentaire

– J’aime beaucoup cette image, merci pour ce partage ! 😉 C’est très parlant. Au moment où nous enregistrons ce témoignage, nous sommes en novembre 2021. Où est-ce que tu dirais que tu en es, aujourd’hui ?

– Aujourd’hui, je pense que je suis toujours en train de travailler sur ce sujet, mais je n’ai plus du tout les mécanismes de pensées anorexiques comme j’ai pu en avoir. J’ai quitté cet enfermement et je me sens réellement dans une posture d’ouverture. J’ai même envie de dire que je me sens un appétit de vivre assez incroyable ! J’ai envie de faire plein de choses, d’aider, de créer, de vivre. Dans l’anorexie mentale, on peut être assujetti à des rituels, d’horaires notamment, qui participent à la difficulté d’en sortir. Reprendre une vie sociale m’a aidée. Il y a des nouvelles personnes que j’ai rencontrées et auxquelles je n’ai pas parlé de ça. J’ai dû tout mettre de côté pour être avec eux. Au départ, ça me faisait hyper peur. Les premières fois où on part en vacances après une guérison par exemple, on ne sait pas ce qu’on va manger. C’est vraiment vertigineux ! Ça donne envie de se dire : « Ça va casser tous mes rituels, comment je vais faire ? En plus je ne leur en ai jamais parlé… ». Finalement, ces moments sont tellement bien, tellement mieux, que ça pousse à décider de vivre. C’est là-dedans que je suis aujourd’hui. J’ai encore un peu de poids à prendre. Mon corps et mon organisme ont beaucoup souffert, certains organes ont été chamboulés. Du coup, il est très important que la renutrition soit progressive et suivie sur un plan médical. C’est pour cette raison qu’elle dure dans le temps et que j’ai encore quelques kilos à prendre. Mais, maintenant, j’ai un rapport sain avec mon corps. Je me dis que tout ce que je vis aujourd’hui, c’est grâce à lui. J’ai envie de le remercier, parce qu’il m’a tenue alors que l’enjeu était vital. Il y a eu une période, lors de l’hospitalisation, où les médecins disaient à mes parents : « Élodie, chaque matin en entrant dans sa chambre, nous ignorons si elle sera encore là. ». Mais mon corps m’a accompagnée, il ne m’a pas lâchée. C’est aussi grâce à cela que je suis dans une période de transmission et d’expérimentation, au niveau alimentaire, mais au niveau de la vie aussi. J’expérimente de plus en plus de flexibilité. Mon quotidien a été tellement rigide pendant tant d’années, que redécouvrir de nouvelles saveurs par exemple, c’est hyper bien ! Il y a un côté très « wouahou », très ludique, à l’instar de la réaction des enfants qui découvrent de nouveaux goûts. Je redécouvre la convivialité, le plaisir de passer de bons moments à table, de goûter de nouveaux aliments. Parallèlement, je travaille encore à déconstruire certaines pensées de restriction cognitive. Tout n’est pas encore très fluide donc je reste vigilante. Un jour, ma psy m’a dit une phrase très vraie : « Est-ce que vous arrivez à identifier ce qui fait partie de vous et ce qui est de l’ordre de la maladie ? Demandez-vous qui parle. ». Ça, c’est un conseil que je retiens et dont je me sers encore. Parfois, je me demande si telle pensée vient vraiment moi, ou s’il s’agit d’un reste de la maladie. Je pense qu’il ne faut vraiment pas avoir peur d’aller vers ce qui fait peur. Expérimentez votre peur en (re)découvrant des aliments ou des activités que n’avez jamais connus ou complètement oubliés. Essayez d’expérimenter votre peur, car c’est la vie qui se cache derrière. Derrière cet inconfort se cache la vraie vie. Ce que vous pensez être votre zone de confort peut s’avérer ne pas être confortable du tout.

– Ça me fait penser à ce que tu disais tout à l’heure, au sujet du précipice, du fait d’expérimenter le vertige et de la possibilité que ça amène d’accéder à une belle vue malgré la peur que ça induit.

anorexie mentale

Mon mot de la fin pour soutenir toutes les guérisons de TCA

– Nous arrivons bientôt à la fin de cet article de témoignage sur l’anorexie mentale restrictive. Élodie, est-ce qu’il y a une dernière chose que tu as envie de partager avec nous, un dernier conseil, une dernière parole ?

– C’est compliqué de n’en choisir qu’une ! Mais je pense que je vais de nouveau conseiller d’essayer de regarder plus loin, de chercher la vue en avançant sur le fil. Me défocaliser en construisant des choses à côté de la maladie m’a vraiment aidé. Demandez-vous ce que cette maladie vous empêche de faire, puis encouragez-vous à tenter de le construire, même si c’est dur dans les premiers temps. Ouvrez les yeux en vous répétant chaque matin ce que vous voulez construire d’autre que cette maladie. Elle ne construit rien, elle ne fait que détruire. Défocalisez-vous en construisant autre chose, pour vous. En faisant cela, forcément, vous défocaliserez de l’alimentation. Vous vous rendrez compte que vous en tirerez des bénéfices 1 000 fois plus gratifiants et réconfortants qu’une espèce de pseudo-maîtrise de votre comportement alimentaire qui, finalement, rend la vie et vous-même très stériles. Voilà mon mot de la fin : construisez à côté de votre maladie ! Bien sûr que les gens autour de nous peuvent nous aider, ils sont très importants ! Mais construisez votre projet de vie et dites-vous que c’est possible de le réaliser ! Si vous êtes encore dans un comportement alimentaire troublé, ce n’est pas grave. C’est comme dire : « tant que je ne pèse pas tel poids, je n’achète pas cette robe, parce que je ne mérite pas de l’acheter ». Si ! Achetez-là et sentez-vous belle dès maintenant ! Ça vous permettra de vous sentir mieux et, si besoin, vous en achèterez une autre plus tard, mais cela ne doit pas vous priver de l’instant présent. Sinon, vous ne ferez que reporter et au final, ça fait peur et ça empêche d’avancer.

– Oui, ça bloque.

– C’est vraiment ça que j’ai envie de transmettre. Il ne faut pas se dire que la vie commence quand nous sommes guéris ou quand nous pesons tel poids. Non, elle se déroule maintenant. Il ne faut pas attendre, car la vie se construit à chaque seconde. Tout est hyper fragile, nous avons tous envie de cette vie et elle se construit au présent, sans se censurer avec des « ça, je le ferais quand… quand ça ira mieux, ou quand je pèserai tel poids ». Non ! Il faut construire d’abord, le reste suivra forcément. C’est la construction qui défocalise. Elle amène tellement de retours positifs que ça donne envie de continuer à avancer. On devient le funambule de sa vie et là, c’est « wouahou ».

– J’aime beaucoup cette image ! Je suis impressionnée par cet esprit créatif qui t’anime. Personnellement, ce genre d’images me parle beaucoup. Merci pour cela, en plus de tout le reste. Je te remercie d’être venue apporter ton témoignage et tous ces messages bienveillants. Merci d’avoir partagé avec nous des morceaux très intimes de ton histoire. Je te souhaite une belle continuation sur ce fil, avec toute la dextérité qui t’anime pour ce travail d’équilibriste !

– Merci beaucoup Anne. J’échangerais volontiers avec tous ceux qui le souhaiteront !

Nous arrivons à la fin de l’article de témoignage d’Élodie. Quelle belle pulsion de vie s’offre à nous au travers de son parcours contre l’anorexie mentale ! Si vous souhaitez la contacter, pour échanger avec elle ou en savoir plus sur son travail d’art thérapeute : vous la retrouverez sur son compte Instagram. De mon côté, je suis à votre écoute sur mon compte Instagram et mon site Internet pour toute question, envie de témoigner à votre tour ou renseignement sur mes accompagnements autour de la pleine conscience et d’un retour à une alimentation sereine.

2 réponses

  1. “Devenir le funambule de sa vie tout en construisant ” OUI BRAVO Elodie,
    et Merci à toutes les deux Anne et Elodie favoriser ce partage
    Ghislaine

    1. Merci Ghislaine pour ton écoute et pour ton commentaire ! Quelle force de vie nous partage Elodie, n’est-ce pas ?

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